Voir le verso

Lettre adressée à Rémi Dreyfus par son frère Philippe , septembre 1941

Légende :

Par ce courrier, Philippe, engagé dans la France Libre, adresse à son frère Rémi tous les conseils et recommandations utiles pour rejoindre l'Angleterre.

Genre : Image

Type : Lettre

Source : © Archives privées Rémi Dreyfus Droits réservés

Détails techniques :

Lettre dactylographiée avec mentions manuscrites

Date document : Septembre 1941

Lieu : Angleterre

Ajouter au bloc-notes

Analyse média

Dès février 1941, Philippe, le frère aîné de Rémi Dreyfus, s’évade de la France occupée, afin de rallier le Général de Gaulle en Angleterre. Comme la plupart des évadés de France (environ 30 000 français de 1940 à 1944), il rejoint d’abord l’Espagne, pays « neutre ». L’objectif est de se rendre auprès du consulat anglais pour obtenir son soutien, car l’évasion est sévèrement punie. Philippe sera ainsi retenu prisonnier pendant 3 à 4 mois à Barcelone. C’est alors, en septembre 1941, qu’il envoie à Rémi de nombreuses indications, soit disant pour écrire une nouvelle pour un journal… Il s’agit en fait de conseils pour aider Rémi à le rejoindre en Angleterre. En effet, comme les correspondances sont surveillées en France, il ne peut écrire ouvertement à son frère et doit donc ruser, en utilisant des images, un vocabulaire familial…

Par exemple, dans la lettre jointe :

« J’ai traduit toutes mes notes sur Rolandberg Youngsen (…). Il était de taille moyenne, pour un pafus suédois » : il faut en fait traduire Roland Young, le nom sous lequel Rémi Dreyfus doit se présenter au consul d’Angleterre de Barcelone ! « pafus » est un surnom familial pour « Dreyfus ».

« Rien dans les mains, rien dans les poches » est le premier conseil précieux. « Quand je vais de Suède en Norvège, un peu d’argent norvégien, et surtout pas trop, et pas d’argent suédois ni turc, car à cette époque la Norvège avait un sévère contrôle de devises. » : ce passage indique à Rémi Dreyfus qu’il doit emporter un minimum d’argent s’il ne veut pas être accusé de trafic en cas de contrôle ou d’arrestation.

« Pas de papiers d’identité, expliquait-il aussi, sauf les siens suédois pour voyager dans son pays et qu’il abandonnait dès qu’il était en Norvège. En bref, c’était un vrai maniaque du mystère ! » Philippe lui recommande ainsi de ne pas garder ses papiers d’identité avec lui.

« Pouvez-vous être aussi pauvre que le diable, mais il ne faut jamais ressembler à un vagabond. Mêmes usés les vêtements doivent garder un aspect propre ; il ne faut jamais perdre son savon, son peigne ni son rasoir. » Pour tout bagage, Rémi Dreyfus emmène donc un rasoir, un petit savon, un mouchoir et une paire de chaussettes de rechange dans la poche de son manteau. Ainsi, ayant eu la chance d’arriver à Barcelone sans s’être fait arrêté, et alors qu’il a traversé à pied les Pyrénées,  il sort de la gare habillé comme un jeune cadre venant travailler en ville (pas de paquet, pas de chaussure sale et une cravate au col) !

« En Norvège, pour s’amuser, il se faisait passer couramment pour anglais ou plutôt écossais à cause de son léger accent. » Afin d’éviter les ennuis, Rémi Dreyfus se fait passer pour anglais, dès qu’il est en Espagne.

Viennent ensuite les conseils pour marcher dans les campagnes, de nuit, en évitant les villages : « Il détestait le chemin de fer et marchait toujours », « Il disait, par exemple, qu’il aimait tant les grandes étendues libres, à la campagne, que même le plus petit village offensait son goût de la nature : il préférait les contourner à travers champs que de les traverser », « il voyageait de préférence la nuit ».

« En Norvège il allait ainsi toujours à pieds et presque toujours de nuit, jusqu’au village de ses amis Romanaberg » : les Romana sont en fait une puissante famille bourgeoise catalane, ancien collègue du père de Philippe et Rémi. Les Romana aidèrent avec efficacité le consul pur faire libérer Philippe de la forteresse de Montjjuich, d’où il écrit cette lettre.

Philippe indique également à Rémi l’adresse du Consulat anglais à Barcelone, et qu’il ne faut pas être surpris par les deux policiers en faction devant la porte dont la présence est purement honorifique. On peut passer devant eux sans problème.

Ainsi, Rémi Dreyfus rejoint Toulouse, où il va voir sa cousine Colette qui lui indique les coordonnées d’un passeur. Le 4 février 1942, un an après le départ de son frère Philippe, il rejoint Osséja, dans les Pyrénées-Orientales, à la frontière avec l’Espagne. Durant la nuit, il part à travers les montagnes enneigées des Pyrénées, à pied, avec le passeur, un pilote tchèque et un français de Bayonne qui parle espagnol. La neige leur arrive jusqu’au genou. Ils rejoignent le côté espagnol et trouvent refuge à l’aube dans une ferme. Le passeur, qui s’était engagé à emmener le groupe jusqu’à Barcelone, s’enfuit et les laisse livrés à eux-mêmes.

Les conseils de son frère Philippe et le fait que son compagnon de route parle espagnol vont lui être d’un grand secours. Rémi envoie une lettre au consul d’Angleterre, lui indiquant où il se trouve, afin que le consul vienne le chercher. Finalement, on lui conseille de rejoindre directement le consulat pour y être le mercredi suivant.

Les fermiers qui les hébergent les conseillent : pour voyager avec le moins de frais possible jusqu’à Barcelone, eux-mêmes ont l’habitude de rejoindre à pied une ligne de chemin de fer à une trentaine de kilomètres de la ferme. Cette ligne désert des mines et se raccorde à Manressa à la ligne Madrid-Barcelone. Elle est donc moins contrôlée que celle en provenance de la France. Une fois à Londres, Rémi Dreyfus indiquera cet itinéraire aux services anglais et à ceux de la France libre, afin qu’il soit utilisé par les réseaux d’évasion de pilotes alliés. Il a ainsi été emprunté pendant plus d’un an, avant que la police espagnole ne vienne inspecter la ligne Madrid-Barcelone.

A Barcelone, le consul anglais le loge chez des catalans qui prennent le risque de le recevoir à condition qu’il ne sorte pas. Rémi passe ainsi une longue semaine à jouer aux dominos avec deux autres évadés polonais... Enfin, une voiture diplomatique vient les chercher pour les emmener à Madrid !

A la mi-février, alors qu’ils arrivent à Madrid et qu’ils doivent rejoindre l’ambassade d’Angleterre, les choses se compliquent : les contrôles d’identité ont été renforcés. Le chauffeur laisse le choix à ses passagers : soit il les ramène à Barcelone, soit il les laisse à Madrid. Rémi et ses compagnons choisissent la deuxième option et trouvent refuge dans un appartement ami à Madrid. Rémi attend ainsi jusqu’à Pâques, que les barrages de police soient levés. L’ambassade lui propose alors de le conduire dans une voiture diplomatique jusqu’à à la frontière portugaise, où un passeur l’attendra… Mais la voiture tombe en panne et ils prennent du retard ! Lorsqu’ils arrivent à la frontière, le passeur a disparu. Avec un camarade, ils vont alors à pied vers l’ouest, sans carte, se dirigeant par rapport à l’étoile polaire… Ils atteignent une grosse rivière (le Rio Guadiana, qui longe au sud la frontière hispano-portugaise), qu’ils traversent tant bien que mal à l’aide d’une barque trouvée sur la berge. Ils sont désormais au Portugal, pays neutre « ami ». La population les dirige vers le bureau officiel de la France Libre à l’ambassade d’Angleterre à Lisbonne. Il rejoint ensuite Gibraltar en bateau, puis au premier convoi maritime qui part de Gibraltar à l’Angleterre, il monte à bord et arrive 15 jours plus tard à Glasgow.

Une fois arrivé à Glasgow, il est accueilli avec d’autres évadés d’Europe, soumis à un contrôle d’identité très minutieux, pour éviter tout risque infiltration… Il rejoint ainsi les rangs de la France Libre.


Fabrice Bourrée

Contexte historique

Né le 6 septembre 1919, Rémi Dreyfus a 22 ans, lorsqu'il décide, en 1941, de quitter la France occupée pour rejoindre la France libre du général de Gaulle. Son voyage pour gagner Londres, en passant par l'Espagne, lui prend trois mois. Dès son arrivée, il rencontre le général de Gaulle en personne qui lui demande des nouvelles de la France et l'oriente vers une école d'élèves officiers. Après sa formation, il choisit de rejoindre les parachutistes du 3e régiment SAS (Special Air Service). Dans ce cadre, Rémi sera l'un des rares Français à participer au Débarquement de Normandie. Les 177 hommes du commando Kieffer prendront Ouistreham à l'aube du 6 juin 1944. Rémi, quant à lui, arrivera en planeur en début d'après-midi à Ranville. Son rôle, comme il est bilingue, est de faire le lien entre le commandement de la 6e division aéroportée britannique et la population française. 

Revenu en Angleterre, il est parachuté en Bourgogne le 15 août 1944 - jour du Débarquement de Provence. Sa mission est de couper aussi souvent que possible la Route nationale 6, pour compliquer au maximum la remontée vers le Nord des unités allemandes repoussées par les armées françaises. Il opérera en liaison et avec le soutien du maquis du Charolais jusqu'au 4 septembre, date à laquelle l'armée atteindra, puis dépassera, Chalon-sur-Saône. Le 8 mai 1945, il est à Londres pour fêter la capitulation des Allemands.


Fabrice Bourrée