La compagnie juive "Marcel Rayman"

Légende :

Le drapeau de la 5e compagnie Rayman du bataillon 51/22 est aujourd’hui conservé au Mémorial de la Shoah.

Genre : Image

Type : Objet

Source : © Mémorial de la Shoah, Paris (France) Droits réservés

Détails techniques :

Dimensions 61 x 56 cm

Lieu : France - Ile-de-France - Paris - Paris

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Contexte historique

Le 25 août 1944, un groupe de résistants juifs prend possession de la caserne de Reuilly située dans le XIIe arrondissement de Paris en vue d’y constituer une compagnie juive. Elle répond ainsi à l’appel lancé à la mi-août 1944 par la section juive de la MOI à tous les responsables militaires et politiques des FTPF de constituer des détachements juifs "afin de conserver le peuple martyr et pour démontrer au monde que les Juifs comme tous les autres peuples ont le droit à la vie et au bonheur" mais aussi afin de "briser une arme de l’ennemi : le racisme et l’antisémitisme". Jacob Tancerman, qui a le grade de lieutenant, fait fonction de commandant de compagnie. Un tract en yiddish daté du 31 août 1944 émanant de la milice patriotique juive de Paris annonce la création de la compagnie Rayman et appelle les jeunes juifs parisiens à venir grossir ses rangs.

Selon le témoignage de Boris Holban, ancien chef militaire des FTP-MOI de la région parisienne, et commandant du bataillon Liberté, ce bataillon comprend deux compagnies italiennes, deux compagnies juives, les compagnies "Rayman" et "Marcus" commandées respectivement par Jacques Tancerman et Sigmund Tumin, ainsi qu’une compagnie mixte comprenant des Espagnols, des Roumains, des Hongrois ou encore des Tchèques.
La compagnie juive - 2e compagnie du 3e bataillon Liberté du 1er régiment de Paris - prend l’appellation de compagnie "Marcel Rayman" en hommage à cette figure emblématique de la jeunesse juive résistante, fusillé le 21 février 1944 au Mont-Valérien. Il semble que le choix de ce nom revient à Jeruchem Kleszelski, adjoint au commandant du bataillon Liberté et membre de l'équipe de Marcel Rayman en 1942.
La compagnie comprend environ 160 volontaires juifs, français et étrangers, âgés pour la plupart de 15 à 18 ans, dont la plupart des familles ont été déportées. Ces jeunes volontaires sont essentiellement issus des groupes de combat de l’Union des Juifs pour la Résistance et l'Entraide (UJRE), de l’Union de la jeunesse juive (UJJ), de la milice patriotique juive ou sont des rescapés des divers détachements FTP-MOI anéantis par plusieurs vagues d’arrestations.
L’afflux de volontaires entraine la création d’une seconde compagnie juive qui prend la dénomination de "Compagnie Markus" du nom de guerre de Meyer List, chef du 2e détachement des FTP-MOI de juin 1942 à juillet 1943, fusillé le 1er octobre 1943.

La compagnie Rayman devient l’orgueil des organisations juives reconstituées qui lui apporte l’appui moral et matériel nécessaire. La Nouvelle presse (Notre Voix sous l’Occupation) du 6 septembre 1944 appelle les jeunes Juifs à rejoindre la compagnie Rayman. De même, Droit et Liberté, journal de l’UJRE, publie dans son numéro du 21 février 1945 un entretien "avec le lieutenant Yves de la compagnie Rayman". Ce dernier appelle les femmes juives à parrainer individuellement des soldats de la compagnie et leur adresse ses plus chaleureux remerciements : "Dîtes aux femmes Juives que nous leur sommes profondément reconnaissants de tout ce qu’elles font pour nous et que nous connaissons les sacrifices qu’elles s’imposent pour le collectage et la confection de nos colis".

Le 15 septembre 1944, les hommes officialisent leur engagement dans l’Armée française "pour la durée de la guerre" comme le stipule leur contrat. Boris Holban, obtient l’équipement nécessaire par l'intendance américaine. Il est alors prévu que la compagnie Rayman soit affectée soit à la Première Armée française soit à une unité américaine pour rejoindre le front.

Le 21 septembre 1944 est signé par le général Revers le procès-verbal de formation du bataillon 51/22, nouvelle appellation du bataillon Liberté. Le procès-verbal dresse la liste des officiers composant le bataillon. Il est surprenant de constater que les noms de Holban et Tancerman n’y apparaissent pas. Jeruchem Kleszcelski apparaît comme commandant du bataillon. Son état-major comprend notamment les capitaines Raoul Baron et Puig Serra. Le bataillon comprend alors six compagnies commandées par le capitaine Hanz Hernandez (1ère Cie), le lieutenant Sigmond Tumin (2e Cie), le capitaine Elie Perzie (3e Cie), le capitaine Elie Cagnoni (4e Cie), le capitaine Rodgan Janitch (5e Cie) et le lieutenant Joseph Olek (6e Cie). Il semble que la compagnie Rayman devient à ce moment la 5e compagnie du bataillon 51/22. La 2e compagnie commandée par Tumin serait-elle l’ancienne compagnie Markus ?

Le 20 novembre 1944, le commandant Boris Holban, appelé à de nouvelles fonctions au ministère de la Guerre, est remplacé par son adjoint Jeruchem Kleszcelski, ancien membre de la direction des FTP-MOI parisiens sous l’Occupation. Le bataillon 51/22 prend ses quartiers à Coulommiers (Seine-et-Marne). Au moment où la compagnie quitte Paris, Sigmond Tumin,  dit commandant Yves, semble être le commandant de la compagnie comme le montre un tract dactylographié signé de sa part intitulé "Adieux de la compagnie Rajman à la population juive de Paris". Baladée de caserne en caserne, à Coulommiers, Fontainebleau, Provins, la compagnie est affectée à des tâches subalternes voire ingrates selon ses hommes qui ne désirent que se battre.

En avril 1945, les 136 Français du bataillon 51/22 sont intégrés au 3e bataillon du 48e régiment d’infanterie implanté à Provins. Le 8 juin 1945, le bataillon 51/22 est dissous. Ses effectifs sont mutés et répartis par la subdivision militaire de Seine-et-Marne. Les Polonais sont affectés à la Première Armée française, les Français et les Juifs aux 46e et 48e régiments d’infanterie à Provins, les Italiens au 14e Groupement de Pionniers étrangers à Bordeaux et les autres au 11e Groupement d'infanterie (GI) à Montauban. Il apparut par la suite, que le fait d'avoir des étrangers et de surcroît d'avoir constitué une compagnie juive posait un problème pour l'autorité militaire.

Selon Jacob Tancerman, il fallait éviter de montrer qu'il y avait des étrangers qui se battaient pour la France et à plus forte raison des Juifs. Dès octobre 1944, la compagnie Rayman fait l’objet de correspondances et de notes au plus haut niveau de l’autorité militaire, au niveau du général Koenig, gouverneur militaire de Paris, ou encore d’Alfred Malleret-Joinville, responsable de la direction des FFI au ministère de la Guerre. Dans une note datée du 28 novembre 1944, ce dernier écrit "Même avec de bonnes intentions, il n’y a pas lieu de faire de particularisme racial". Une autre note non signée datant du 10 octobre 1944 mentionne "Juifs : Contre le particularisme. Intérêt des Juifs c’est de s’intégrer dans les nationalités auxquelles ils appartiennent. Position concernant des formations particulières jugées comme fausses". Un autre paragraphe du même rapport relatif à la MOI cette fois-ci stipule "qu’il ne faut pas de bataillon de marche qui remplace en quelque sorte la Légion étrangère".
Dans une note de service du 22 mars 1945, le lieutenant-colonel Reymond, commandant le 48e régiment d’infanterie, écrit "La position prise par le gouvernement de Vichy à l’égard des Juifs, position qu’il ne nous appartient pas de discuter, a créé dans la nation un préjugé tel qu’une affectation massive de ce genre provoquerait dans le régiment une réaction regrettable. Il semble donc qu’il y ait intérêt, si des Israélites ne pouvaient être maintenus dans leur corps actuel, à les disperser dans l’ensemble des unités d’infanterie en cours de reconstitution".

Comme le souligne Léon Tsevery, ancien membre de la compagnie, "la compagnie juive Marcel Rayman n'a pas combattu en tant que telle, mais a eu le mérite d'avoir été constituée en tant que compagnie juive, et ce dans une période cruciale pour notre communauté, celle de la Shoah, pendant que les nazis assassinaient les nôtres, nous, jeunes Juifs ayant déjà perdu nos familles, nous n'étions qu'une poignée, prêts, déterminés à nous battre armes à la main, avec ce qui nous restait, notre dignité et notre vie."

Le drapeau de la 5e compagnie Rayman du bataillon 51/22 est aujourd’hui conservé au Mémorial de la Shoah.


Auteur : Fabrice Bourrée

Sources et bibliographie :
Mémorial de la Shoah, Paris : CMXXV-8 : "Page historique du bataillon 51/22" rédigée à Coulommiers le 8 mars 1945 par Jeruchem Klesczelski, commandant le bataillon 51/22.
Archives départementales de Seine-Saint-Denis :
- 335J/31, fonds David Diamant, texte tapuscrit "Les adieux de la Compagnie Rajman".
- 304J/2, fonds Malleret-Joinville : note n° 452 du général Joinville, 28/11/1944.
Musée de la Résistance nationale, Champigny-sur-Marne : fonds David Diamant, carton n°12, liste des membres de la compagnie Rayman et adresses de leurs familles, sans date.
Service historique de la Défense, Vincennes : GR 12 P 11 (48e régiment d’infanterie) ; GR 13 P 80 (bataillon Liberté) ; GR 8 Ye 135 992 (dossier individuel d’officier de Jacob Tancerman)
Mc Master University, Canada : David Diamant collection, "Procès-verbal de formation du bataillon 51/22, 21 septembre 1944".
Archives privées : Jean-Louis Tancerman, Geoffrey Krystal.

Boris Holban, Testament. Après 45 ans de silence, le chef militaire des FTP-MOI de Paris parle, Paris, Calman-Levy, 1989.
Annette Wieviorka, Ils étaient juifs, résistants, communistes, Paris, Perrin, 2018.
La Presse antiraciste sous l'occupation hitlérienne, Paris, UJRE - Union des Juifs pour la Résistance et l'Entraide, 1950
Léon Tsevery, "Historique de la 5e compagnie juive FFI "Marcel RAYMAN" Bataillon 51/22-1er Régiment de Paris", Notre Volonté, n°32, octobre-novembre 2006
Boris Holban, "L’existence éphémère de la Compagnie Marcel Rayman", La lettre des résistants et déportés juifs, n°29, juin-juillet 1996.
"Avec le lieutenant Yves de la compagnie Rayman", Droit et Liberté, 21 février 1945.