Le feuillet de M.J Ménard, collège-lycée d’Angers, 1940-1941 : l’esprit de Résistance au quotidien en milieu scolaire

Légende :

Feuillet conservé dans le cahier de textes de Marie-Juliette Ménard, élève de 1ère au collège-lycée Joachim Du Bellay d’Angers, année scolaire 1940-1941.

Ce document, assez unique, a été retrouvé dans le cahier de Marie-Juliette Ménard. Cette élève imagine avec humour, l’enterrement d’Adolf Hitler. Écrire ceci pouvait pourtant avoir de lourdes conséquences, d’autant que son établissement subit, entre 1940 et 1943, la présence des troupes d’occupation allemandes. De janvier à mars 1943, la Gestapo procède même aux arrestations et déportations vers Ravensbrück de la directrice, de la gestionnaire et de professeures, toutes accusées d’entretenir un « esprit anti allemand » et de cacher des jeunes filles juives. Depuis 1945, la mémoire des disparues, enrichie des témoignages des survivantes, est honorée chaque année.

Genre : Image

Type : Manuscrit

Source : © Musée national de l'Éducation Droits réservés

Détails techniques :

Feuillet manuscrit

Date document : 1940-1941

Lieu : France - Pays de la Loire - Maine-et-Loire - Angers

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Analyse média

Marie-Juliette Ménard, élève de classe de Première au collège-lycée de jeunes filles Joachim du Bellay d'Angers en 1940-1941, a livré un fort et émouvant secret : une feuille volante, glissée entre les pages, sur laquelle l'élève a déversé toute l'animosité qu'elle nourrissait à l'égard de l'occupant nazi : elle imagine en effet, une invitation à « assister au convoi, service et enterrement de Monsieur Adof Hitler décédé subitement suite à une indigestion d'immitation [sic] simili-beurre à la graisse de baleine ». L'allusion au rationnement alimentaire et aux ersatz de produits alimentaires, caractéristiques du contexte de guerre, revient à la fin du texte : « le brunch » [après l'inhumation] se fera « aux ersatz, sans fleurs ni couronnes, seuls les cadeaux en nature seront acceptés : saucisse, pain blanc, etc. ». À une époque de développement encore modeste des médias d'informations, journaux exceptés, la jeune Marie-Juliette Ménard affiche déjà une solide connaissance de l'actualité en conviant à l'enterrement, la famille inventée du défunt, composée en réalité d'une liste assez longue de dignitaires nazis : Goering, Goebbels, Von Ribbentrop, Von Brauchitsch, Himmler, Forster. Toute sa haine transparait à travers le lieu imaginaire des obsèques : « la société générale de vidange étant chargée des obsèques, on se réunira aux lieux d'aisances de la maison [puis] à la décharge publique communale ».

Il est intéressant de replacer ce document dans son contexte. En effet, l'établissement fréquenté par notre élève était alors très largement occupé par les soldats de la Wehrmacht, ce qui rendait évidemment complexe la coexistence entre soldats et membres du collège-lycée Du Bellay. Le climat y était d'autant plus délétère, que la Gestapo multiplia les arrestations jusque dans les locaux, après certaines dénonciations anonymes d'un « esprit anti-allemand » qui y aurait régné, auquel venaient s'ajouter des rumeurs d'hébergement clandestin de jeunes filles juives réfugiées. La directrice, quatre professeurs et l’économe (la gestionnaire) furent appréhendées et déportées à la fin de l'hiver 1943. Ces éléments suffisent à démontrer le risque encouru à l'époque, consciemment ou non par Marie-Juliette Ménard. Nul ne sait à ce jour ce qu'il est advenu d'elle après 1941, date jusqu'à laquelle le Munaé possède ses cahiers, qui ne contiennent aucune autre marque d'esprit de résistance. Peut-être a-t-elle tout simplement obtenu son Baccalauréat l'année suivante, un diplôme encore rare à l'époque pour une jeune femme et qu'elle quitta cet établissement ? Une recherche pourrait être intéressante, afin de déterminer s'il s'agissait d'un simple témoignage personnel et isolé du rejet de l'occupant ou d'une pièce d'un ensemble d'écrits anti-nazis, éventuellement diffusés clandestinement. Depuis cette sombre époque et jusqu'à nos jours, le lycée Joachim du Bellay d'Angers a entretenu la mémoire de ces faits, à travers des commémorations annuelles.


MUNAE

Contexte historique

Le lycée Joachim Du Bellay d’Angers pendant la Seconde Guerre mondiale

Lors de l’occupation nazie, les locaux furent en grande partie occupés par les troupes d’occupation, dans des conditions de cohabitation très difficiles, jusqu’en octobre 1943. Le collège dut alors se réfugier à l’Ecole normale des garçons, rue de la Juiverie (devenue rue Anne Frank). En 1943, la directrice, Marie Talet, quatre professeurs et l’économe du lycée furent arrêtées et déportées pour « esprit anti allemand du personnel se révélant dans l’enseignement ».

Un monument érigé sous le cloître appelle à honorer la mémoire de Marie Talet, Anne-Marie Baudin et Marthe Mourbel, mortes en camp de concentration. Une plaque rappelle le souvenir des enseignantes et des élèves du lycée juives ou résistantes victimes du nazisme.


Cet historique est inspiré de l’ouvrage Des Cours Secondaires au Lycée Européen, le Lycée Joachim du Bellay d’Angers par Marie-Louise Triollet et Micheline Neveu, anciens professeurs.

Sources :
https://du-bellay.paysdelaloire.e-lyco.fr/
https://du-bellay.paysdelaloire.e-lyco.fr/le-lycee-joachim-du-bellay/histoire-du-lycee-du-bellay/