Note de Serge Ravanel concernant Eysses

Genre : Image

Type : Note

Source : © Archives privées Jacques Delarue Droits réservés

Détails techniques :

Document dactylographié sur 3 pages, format A4.

Date document : 1965

Lieu : France - Nouvelle-Aquitaine (Aquitaine) - Lot-et-Garonne - Villeneuve-sur-Lot

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Analyse média

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Ce document de 3 pages a été tapé à la machine par Serge Ravanel à l’attention de Jacques Delarue (résistant et historien) en 1965. Il a été annoté et corrigé par Serge Ravanel lui-même. Il s’agit ici de la première page. L’ensemble du document est accessible dans l’album joint.
Dans cette note, Serge Ravanel raconte comment, fin décembre 1943, Marcel Degliame, responsable de l’action immédiate auprès du CNR, lui demande d’aider une opération d’évasion des résistants incarcérés à la Centrale d’Eysses, située à Villeneuve-sur-Lot dans le Lot-et-Garonne.



""         Serge Ravanel's Note on Eysses

This three page document was written on a typewriter by Serge Ravanel to the historian and resistance fighter Jacques Delarue in 1965. It was annotated and corrected by Serge Ravanel himself. The photo on the left is the first page. You can read the entire document in the album below.

In this note, Serge Ravanel recalls how in December, 1943, Marcel Degliame—head of the Action Immédiate for the CNR—asked him to help plan an escape attempt for prisoners held at Eysses, the prison located in Villeneuve-sur-Lot in Lot-et-Garonne.



Traduction : Catherine Lazerwitz


Auteur : Laure Bougon

Contexte historique

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Le 19 février 1944, Eysses est le théâtre de la plus ambitieuse tentative d’évasion collective (à mille deux cents) sans doute jamais tentée dans l’histoire des prisons et qui mérite une analyse. La solidarité et l’efficacité de l’organisation des prisonniers politiques imposent rapidement un projet d’évasion collective pour toutes les formations de résistance représentées dans la centrale et ne se limitant pas à une évasion des cadres. Fin 1943, en vue de ne pas entraver l’évasion collective prévue, les FTPF et les MUR avaient interdit toute tentative d’évasion individuelle ou d’un petit groupe.

 Étant donné le nombre et la valeur des détenus incarcérés (beaucoup de responsables de mouvements ou de réseaux), c’est le Conseil national de la Résistance qui s’occupe directement de l’évasion. Il donne instruction, début décembre 1943, par l’intermédiaire de Marcel Degliame responsable de l’« action immédiate », à Serge Ravanel de sa mise en œuvre. Si plusieurs organisations de résistance, dont le Parti communiste et Combat, en relation constante avec la centrale, travaillent sur le plan d’évasion, chacun se range au plan d’ensemble sous l’égide du CNR et tente de coordonner l’action. La préparation du projet d’évasion avance en coordination avec l’extérieur sur les points suivants :
- les premières armes entrent dans la centrale en décembre, au moment de l’action les détenus ont en leur possession 17 mitraillettes et 300 grenades à main,
- le 24 décembre l’évasion de Kleber (Fenoglio), chargé par les détenus de les représenter à l’extérieur pour les contacts nécessaires à la réalisation du plan d’évasion, réussit pleinement grâce à la complicité du personnel résistant et à l’équipe de Libération dirigée par G. Bouvard,
- une filière de faux papiers pour les évadés est mise en place, grâce aux complicités de la Résistance à la mairie de Villeneuve-sur-Lot et à la préfecture d’Agen ; tous les comités d’action paysanne de la région se sont mobilisés fin 1943, pour trouver les « planques » aux évadés dans l’attente de leur transfert vers les maquis AS et FTP.

Ravanel a une première entrevue avec Kleber, en décembre 1943 ou début janvier 1944, afin de coordonner l’action. L’opération doit se faire par une action simultanée des prisonniers et de la résistance extérieure. Il prévoit de faire venir de Lyon - 60 hommes avec traction (une dizaine de voitures et une camionnette avec une réserve d’essence) -, et secondairement de Marseille (deux voitures), ses meilleurs Groupes-Francs entraînés, avec armement lourd, afin d’évacuer les détenus. Les itinéraires des voitures sont étudiés de près ainsi que les zones de camouflage près de Villeneuve-sur-Lot. Ravanel met Kleber en contact avec le responsable régional des groupes francs Joyeux Joly pour lui remettre un dépôt d’armes provenant de l’armée d’armistice à Toulouse. Car les détenus tiennent à avoir suffisamment d’armes pour assurer la première partie du plan : se rendre maîtres de la centrale. C’est Kleber qui est chargé, avec l’aide de la Résistance villeneuvoise, de les faire pénétrer dans la centrale.

Jean Gay, alias Mortier, Jacqueline, chef régional Rhône-Alpes de « l’action ouvrière et immédiate », reçoit de son chef, Ravanel, chef national des groupes-francs et de l’action immédiate, la mission de prendre contact et d’assurer une liaison avec les détenus politiques pour les aider à préparer l’évasion : « Muni de tous les papiers d’identité nécessaires justifiant ma visite dans la prison, j’ai pu, pour les fêtes de noël 1943, prendre contact à l’infirmerie de la centrale avec un responsable militaire prévenu de mon arrivée et informé de ma mission. Par deux fois, en un intervalle de deux jours, notre entretien a porté sur les besoins matériels nécessaires à la réussite de l’évasion ainsi qu’aux moyens de transport pour le transfert des insurgés évacués vers des lieux à fixer au moment voulu. Des contacts pris, tant avec des patriotes extérieurs à la prison qu’avec des membres du personnel de la centrale, j’ai pu, dans mon rapport, fournir à mon supérieur tous renseignements sur les moyens de pénétration des armes et autres fournitures nécessaires à la révolte, de même que la nécessité de conjuguer à l’action intérieure de la prison l’appui armé extérieur » (Attestation de Jean Gay, 20 mars 1974).
De son côté, un des adjoints de Ravanel, Berthet-Deleule, vient à Toulouse le 3 janvier ; il est convenu qu’il doit se rendre à Lyon et Marseille pour organiser les équipes destinées à participer à l’opération. D’après Ravanel, les groupes-francs pouvaient être opérationnels à partir des 10-12 janvier. Il envoie donc Deleule à Toulouse avec mission de le tenir au courant de l’opération. Ce dernier s’y rend vers le 10 janvier : « A Paris, j’attendis le message de Deleule, mais rien n’arrivait […] jusqu’au jour où Deleule lui-même rentra à Paris m’annonçant qu’à Toulouse il avait trouvé Joly absolument déchaîné. Prétendant qu’Eysses était entre les mains des communistes, il avait refusé de remettre à Kleber les armes promises et décidé de ne pas participer à l’opération » (Témoignage dactylographié de Ravanel, non daté (vers 1965), fait confirmé par Kleber). Joyeux Joly refuse donc de livrer les armes promises par sectarisme et méfiance politique vis-à-vis des communistes, nombreux dans la centrale. On peut cependant souligner que la direction du Collectif aurait pu anticiper ce type de réaction, en désignant une personne mieux à même de faire emporter à l’extérieur l’adhésion du projet.

Suite à cet incident, Ravanel essaie vainement de rétablir le contact avec Kléber, après avoir réprimandé Joly pour son attitude sectaire, mais les règles de prudence, la méfiance aussi, ne lui permettent pas d’aboutir. Fin janvier, les groupes-francs de Lyon et Marseille sont informés que l’opération est momentanément décommandée.

A l’intérieur, les Eyssois sont sur le qui-vive, impatients d’agir, mus par une force collective rodée et efficace qui a déjà permis en décembre 1943 de triompher des GMR. Après débat, la direction du Collectif se range derrière le plan proposé par le commandant Bernard : saisir la première occasion pour se rendre maître de la centrale de l’intérieur, puis avertir la résistance extérieure après maîtrise du central téléphonique. L’occasion saisie est la venue d’un inspecteur général, le 19 février 1944. Prévenu le matin même de sa visite, le plan est enclenché en début d’après-midi…



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On February 19th, 1944, Eysses was the stage for the most ambitious jailbreak that had ever been attempted in the history of prisons with 1,200 prisoners planning to escape. This extraordinary plan deserves a closer look. The prisoners at Eysses quickly formed a collective escape plan for all of the Resistance groups in the prison, not only certain sections. At the end of 1943, the FTPF and MUR banned any individual or small group escape plots in order to ensure the larger escape plan would go ahead. It was the prisoners’ cunning and solidarity that made such a daring plot possible.


Given the large number of resistance fighters held at Eysses, many of whom were leaders in the movement, the Conseil National de la Résistance (CNR) was directly involved in the operation. In the beginning of December, 1943, they gave their orders to Serge Ravanel through Marcel Degliame, leader of the Action Immédiate, telling him to get everything in place. All of the Resistance organizations involved, including Combat and the Communist Party, had to work together under the CNR's guidance and coordinate their actions.

The preparation for the outside Resistance and those inside the prison followed these points:
-The first arms had to be snuck into the prison in December, so that when the time came, the prisoners would have seventeen sub-machine guns and 300 grenades.
-On December 24th, Kleber (Fenoglio), chosen by the prisoners to represent them on the outside because of his contacts, successfully escaped thanks to guards that were on the Resistance's side and Libération's team, led by G. Bouvard.
-The Resistance in Villeneuve-sur-Lot and the police in Agen created a false paper trail for the prisoners, and all of the action groups in the region were mobilized by the end of 1943; they were tasked with finding hideouts for the prisoners until they could be transferred into the maquis, AS, and FTP.

Ravanel met with Kleber for the first time in either December, 1943, or January, 1944, to coordinate and plan the escape. In order for the operation to work, the Resistance on the inside had to coordinate simultaneously with those on the outside. They organized transportation for sixty men to go to Lyon (reserving a dozen cars and a truck with extra gas), and also two cars to take the others to Marseille. In addition, the best Groupes Francs were armed and ready to be at Eysses to evacuate the prisoners. The transportation for the prisoners as well as the zones near Villeneuve-sur-Lot where they would be hidden were studied very closely. Ravanel put Kleber in contact with the regional leader for the GF, Joyeux Joly, so that they could access the Armistice army's weapon depot in Toulouse. This would ensure that the prisoners had enough weaponry to complete the first part of the operation: take over the prison. It was Kleber who was in charge of penetrating Eysses from the outside, helped by the Resistance in Villeneuve.

Jean Gay Jacqueline, alias Mortier, head of the region Rhône-Alpes for the «worker's action immediate» received his mission from his superior Serge Ravanel, National Head of the Groupes Francs and Action Immédate: make contact with the prisoners and assure that Mortier's men would help them to escape. His orders were as follows: «I was to have all of my false papers ready so that I could make contact with a soldier who knew to expect me in the infirmary during the Christmas party in 1943 and inform him of the mission. Twice over two days, we met to exchange the necessary materials for the escape, as well as the information for the transportation of the prisoners once they got out. With contact established between the Resistance inside of the prison and those of us on the outside, I could give my superiors the information they needed to smuggle in arms and anything else necessary for the revolt» (Jean Gay's testimony, 20th March, 1974).

One of Ravanel's deputies, Berthet-Deleule went to Toulouse on January 3rd where he was to organize teams for the operation there, and then send them to Lyon and Marseille. According to Ravanel, the Groupes Francs would be ready for action by either January 10th, 11th, or 12th. He sent Deleule to Toulouse to keep him updated on the mission's progress. But on January 10th, a problem had arisen: «In Paris, I waited for word from Deleule, but hadn't heard anything... until Deleule returned to Paris. He told me that Joly was completely out of line in Toulouse. Under the impression that Eysses was run by communists, Joly refused to give Kleber the arms he had promised and refused to participate in the operation» (Serge Ravanel, 1965, confirmed by Kleber).

Joyeux Joly refused to give the prisoners arms promised by his division because he believed the political prisoners in Eysses to be communists. But it seems that the prisoners in Eysses had anticipated a reaction like this, and had already elected another man to help them from the outside. After reprimanding Joly for his prejudice, Ravanel tried in vain to reestablish contact with Kleber, but both his common sense and his distrust kept Ravanel from successfully reaching him.

At the end of January, the Groupes Francs in Lyon and Marseille were told that the operation was temporarily postponed. Inside Eysses, the prisoners were on alert already driven by their successful overthrow of the GMR in December, 1943, impatient to escape. After much debate, the prisoners gathered together behind Bernard and his plan: the first opportunity they had, they would take over control of the prison, and then would inform the outside Resistance via telephone. The time came along with the inspector general on February 19th, 1944. On the morning of his visit, the prisoners launched their operation just after noon...



Traduction : Catherine Lazerwitz


Sources : Entretiens de Corinne Jaladieu avec Serge Ravanel, témoignage écrit daté du 24 octobre 1999. Serge Ravanel, L’esprit de Résistance, Paris, 2000, pp. 197-200. Attestation de Jean Gay, Caluire, 20 mars 1974 (fournie à l’amicale d’Eysses en vue de la constitution du dossier d’homologation du bataillon d’Eysses). Témoignage dactylographié de Ravanel, non daté (vers 1965), archives privées Jacques Delarue. Témoignage enregistré de Fenoglio Laurent, alias Kleber en 1999, fourni à l’auteur par sa fille Mme Marie Claude Moulin.