« Le Train de la Marseillaise »

Légende :

Témoignages d’Edgard Franchot et Fernand Chabert extraits du documentaire « Eysses, une prison dans la Résistance » (Amicale d'Eysses / IFOREP).

Genre : Film

Type : Film documentaire

Producteur : Amicale d’Eysses / IFOREP

Source : © Association nationale pour la mémoire des résistants et patriotes emprisonnés à Eysses Droits réservés

Détails techniques :

Durée totale : 52 minutes.  Durée de l'extrait : 00 :01 :51s. Emplacement de l'extrait : 00 :08 :44s.

Date document : 1987

Lieu : France - Nouvelle-Aquitaine (Aquitaine) - Lot-et-Garonne - Villeneuve-sur-Lot

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Analyse média

Le film retraçant l'histoire d'Eysses est décidé lors du 40ème congrès en 1985 pour donner un contenu plus historique aux livres édités précédemment. Le film tourné à Villeneuve-sur-Lot et à Eysses en février 1986, sort en janvier 1987, sous le titre « Eysses, une prison dans la Résistance ». Il retrace en cinquante deux minutes les victoires remportées dans la prison, le grand dessein : l'évasion du 19 février et son échec, ce qu'était l'esprit d'Eysses, fait de tolérance, de civisme, d'abnégation, tout en le replaçant bien dans le contexte.  

Dans cet extrait, Edgard Franchot et Fernand Chabert expliquent ce que fut le « Train de Marseillaise ». Leurs témoignages sont recueillis par Anna Dupuis-Defendini au sein-même de la Centrale. 

Anna Dupuis-Defendini s’adressant à Edgar Franchot : « Qu’est ce que c’était le Train de la Marseillaise ? » 
Edgar Franchot : « Et bien, c’est un train où l’on a chanté la Marseillaise tout le long du chemin. Il s’est formé en gare de Lyon un matin d’octobre 1943, vers la mi-octobre. Nous étions à ce moment-là à la prison Saint-Paul où se trouvaient regroupées toutes les prisons environnantes. Encadrés par les GMR, les gardes mobiles, enchaînés, nous avons été conduits très rapidement et brutalement dans ce train. Nous nous demandions si nous allions partir en Allemagne ou vers le Sud. Finalement, le train s’est ébranlé et est parti vers le Sud. Cela nous a un peu soulagés. Arrivés à Valence, il s’est arrêté et nous avons vu arriver d’autres détenus, enchaînés eux aussi, venant de la prison de Valence. A ce moment-là, quelqu’un a lancé les premières strophes de La Marseillaise et nous avons chanté La Marseillaise et crié « Vive de Gaulle », « A bas Pétain ». Puis le train a continué par la suite sur Nîmes où nous avons passé la nuit à la maison d’arrêt. » 

Anna Dupuis-Defendini s’adressant à Fernand Chabert : « Toi je crois que tu es monté à Nîmes ». 
Fernand Chabert : « Nous avons retrouvés le train en question à la gare de Saint-Césaire, à quelques kilomètres de Nîmes, où déjà des camarades se trouvaient. Une fois le train plein, nous sommes repartis sur Montpellier où là il a été mis sur une voie de garage pour prendre des camarades de la prison de Mende et de Montpellier. Et là à force de regarder l’attroupement qui s’était formé sur le quai de la gare, j’ai vu mon père qui était sur le quai, mon père qui était un employé des chemins de fer. Il n’a pas pu s’approcher du train et moi je lui faisais voir que j’avais les mains attachées avec des chaînes, comme un vulgaire bandit alors qu’on était des résistants. De là, nous sommes partis sur Béziers où on a continué à chanter La Marseillaise et Le Chant du Départ en criant « A bas Pétain », « Laval au poteau », « Vive la Résistance » et en invitant les jeunes qui se trouvaient là à rejoindre la Résistance ». 

Anna Dupuis-Defendini : « Et la population, comment elle réagissait ? » 
Fernand Chabert : « Je dois dire que lorsque nous sommes arrivés à Narbonne, nous avons chanté La Marseillaise là-aussi en faisant voir que nous étions attachés. Et là il y a des gens qui se sont mis à pleurer sur le quai de la gare ».


Auteur : Fabrice Bourrée
Sources : Documentation Corinne Jaladieu. Claude Emerique, « Procès et condamnation de Jean Robert et Vinicio Faïta le 29 mars 1943 » in Cédérom La Résistance dans le Gard, édition AERI, 2009. François Frimaudeau, « Edgar Franchot » in Cédérom La Résistance en Lot-et-Garonne, édition AERI, 2011.

Contexte historique

Eysses devient en quelques mois un pôle de la France pénitentiaire sous Vichy. Entre le 30 septembre 1943, date à laquelle la prison ne compte parmi ses 1075 détenus que 10% de politiques, et le 18 février 1944, quand le plafond de population carcérale est atteint (1430 détenus), la centrale est devenue à 90% une prison de résistants arrivés par convois successifs. .Parmi ces convois, le plus important est celui des 15 et 16 octobre 1943 (« Train de la Marseillaise »), venu de Lyon, Saint Etienne, Marseille, Montpellier, Nîmes, drainant 568 résistants des prisons de zone Sud. Le 8 février 1944, ce sont 250 détenus qui sont transférés de Marseille à Eysses, et quatre jours plus tard, ils sont une centaine à quitter la prison de la Santé pour rejoindre la Centrale.

Le circuit carcéral des détenus est complexe ; la plupart sont passés par trois prisons avant d’arriver à Eysses. Parmi les maisons d’arrêt d’où proviennent les condamnés, citons dans l’ordre décroissant : les prisons lyonnaises (16,9 % des condamnés proviennent de Saint Paul), la prison de Limoges (14,4%), la centrale de Nîmes (14%) qui regroupe tous les condamnés du sud-est jusqu’en octobre 1943. Les prisons de Marseille (Saint Pierre et Saint Nicolas) ont accueilli pour leur part un dixième du corpus, celle de Montpellier 7,4%. En zone Nord, la Santé constitue la première prison d’origine avec un peu plus de 11% des condamnés.

Le transfert massif des politiques vers la centrale d’Eysses les 15 et 16 octobre 1943 constitue l’acte de naissance du Collectif d’Eysses. Les premiers numéros de L’Unité, du Patriote enchaîné et du Jeune enchaîné lui consacrent un article, on lui trouve un titre fédérateur : « le train de la Marseillaise » ou « le train des patriotes ». Les slogans vengeurs : « Laval au poteau », « vive de Gaulle », « vive l’Armée rouge » et les chants patriotiques ou révolutionnaires : « la Marseillaise », « l’Internationale » lancés par des « patriotes enchaînés » ont transformé ce transfert de prisonniers en une manifestation de résistance. Mais la plus grande satisfaction pour ces détenus enchaînés sont les manifestations de sympathie de la population rencontrée dans toutes les gares traversées. Ressenti comme une victoire commune par tous les participants, première étape d’un combat à poursuivre, ce transfert a bien la vocation d’événement fondateur du Collectif.


D’après Corinne Jaladieu, Les centrales sous le gouvernement de Vichy : Eysses, Rennes, 1940-1944, thèse de doctorat, Histoire, Rennes 2, 2004.