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Tract destiné aux surveillants patriotes après les Trois Glorieuses

Légende :

Tract recto-verso intitulé : « Les détenus politiques de la centrale d’Eysses aux surveillants patriotes »

Genre : Image

Type : Tract

Source : © Dépôt MRN, fonds Amicale d'Eysses (carton 14) Droits réservés

Détails techniques :

Tract manuscrit recto-verso. Dimensions : 19 x 25,5 cm.

Date document : Décembre 1943

Lieu : France - Nouvelle-Aquitaine (Aquitaine) - Lot-et-Garonne - Villeneuve-sur-Lot

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Analyse média

Le recto du tract est orné sur la gauche d’un bandeau tricolore. Les appels aux surveillants sont écrits en caractères plus gros et soulignés pour bien les démarquer du reste du texte. Après avoir rappelé les événements survenus à Eysses entre le 8 et le 10 décembre 1943, journées au cours desquelles les détenus politiques de la centrale d’Eysses se sont opposés aux forces du maintien de l’ordre pour empêcher le départ en zone nord des internés administratifs également détenus à Eysses (les « Trois Glorieuses »), le rédacteur de ce tract s’adresse aux surveillants de la centrale. 

Ce tract leur est destiné afin de leur montrer leur gratitude : « Cette victoire a été possible grâce à l’attitude courageuse et magnifique de patriotisme des surveillants de la prison centrale qui ont refusé, malgré les ordres formels qui leur ont été donnés, de prendre les armes contre ceux qui ont uni toutes leurs forces et leur courage au service de la Patrie », « Surveillants patriotes de la centrale d’Eysses nous vous remercions », « Vous pouvez être fiers de votre geste »
8 décembre 1943 concluent le tract en demandant aux surveillants de poursuivre leurs actions dans la même voie que celle engagée lors de ces journées.


Auteur : Fabrice Bourrée

Contexte historique

Cent soixante-huit internés administratifs arrivent à Eysses entre le 23 octobre et le 27 novembre 1943, en provenance de Saint Sulpice la Pointe et Saint Paul d’Eyjeaux. Grâce à certains appuis, le directeur parvient à obtenir leur transfert. Mais le départ prévu le 8 octobre échoue car les internés ont été avertis par les cheminots de leur destination et ont refusé de se laisser conduire en zone Nord. Par ailleurs, le matériel roulant a été reconnu insuffisant pour loger les escortes et leur protection. Les internés sont donc réintégrés à Eysses au bout de plusieurs heures. Pourquoi cette résistance ? Le passage sous autorité allemande renvoie à la référence angoissante des otages de Châteaubriant présente chez tous les internés, d’autant que le 22 octobre est jour de mémoire dans les prisons de résistants. Dès lors, l’action commune rendue possible par la liaison entre condamnés, internés et surveillants à l’intérieur de la prison, la Résistance à l’extérieur, se coordonne pour faire échec à un nouveau départ.

Le lendemain, 9 décembre 1943, l’action se poursuit dans la prison. Le départ étant remis à 13 heures, les détenus font obstruction dans le réfectoire. Cette action constitue une première victoire puisque les délégués obtiennent la promesse du capitaine de gendarmerie que les internés administratifs resteraient à Eysses jusqu’à la construction d’un camp en zone sud. Le 10 décembre à six heures du matin, alors qu’en l’absence du directeur malade, le sous directeur M. L., prend la situation en mains, M. H. intendant de police de Toulouse, tente de prendre possession des internés par la force, accompagné de deux cents cinquante GMR et gendarmes. Ceux-ci s’étant barricadés à l’intérieur, la troupe fait usage de grenades lacrymogènes et suscite l’intervention des condamnés des autres préaux, avançant en colonnes par quatre, se tenant par le bras et chantant la Marseillaise. C’est la première action du « bataillon d’Eysses ». Les GMR, gendarmes et gardes extérieurs, sont impuissants face à des hommes préparés militairement mais désarmés. Quant aux surveillants, ils sont placés dans les couloirs et sans armes ; « les armer serait fournir des armes aux rebelles » justifie le sous-directeur. Cette remarque est révélatrice de l’absence totale de confiance de la hiérarchie envers ses gardiens, considérés comme des alliés des politiques.

Pendant ces journées, la Résistance villeneuvoise fait pression sur les autorités ; le 10 décembre 1943, une lettre ouverte est envoyée par le parti communiste, les FTP, les milices patriotiques, le Front national de Villeneuve, à M. le préfet du Lot et Garonne, lui demandant de « ne pas vous faire complice des assassins hitléro-vichyssois… Que la vie de ces hommes soit protégée d'une manière certaine, par un ordre officiel émanant d'autorités responsables, ou nous nous verrons dans l'obligation de faire payer aux collaborateurs de cette région, la vie de nos camarades, des otages collaborateurs seront exécutés sans autre forme de procès, dès que nous saurons qu'on a attenté d'une manière ou d'une autre à la vie des patriotes ». Le 12 décembre, des tracts signés « PC, JC, FN de lutte, FTP, Milice patriotique », sont distribués entre 3 h et 5h du matin, à Villeneuve sur Lot : « Appuyer de votre sympathie agissante ces hommes courageux ; ils luttent ils souffrent pour la vraie France la votre. GMR gendarmes surveillants ne vous faites pas les vassaux de l'Allemagne nazie. "Bas les mains devant ces héros "».

Suite à cet incident, un haut fonctionnaire de l’administration pénitentiaire arrive à Eysses le 12 décembre 1943. Directeur général de l’administration pénitentiaire, préfet, intendant régional de police, directeur de la centrale, entament des pourparlers avec les délégués des internés administratifs et des condamnés (MM. Auzias et Fuchs). Un accord ayant été conclu, les cent vingt internés administratifs sont conduits le 13 décembre 1943, au camp de Carrère, dépendance de la maison centrale, dans l’attente de leur départ pour un camp de zone sud. Ils sont transférés à Sistéron le 22 décembre 1943. Cet épisode nous renseigne sur la mentalité des détenus. Fin 1943, le système pénitentiaire français en zone sud (pourtant occupée) est perçu comme protecteur : il leur garantit la vie sauve face à des prisons de zone nord réservoirs d’otages.

Les conséquences de ces trois journées sont énormes. En imposant une négociation et empêchant le départ des internés en zone nord, des détenus sans armes, portent atteinte à une souveraineté si chèrement défendue par Vichy. En même temps, leur préférence pour un système pénitentiaire français renforce l’Etat français dans son illusion de souveraineté. En effet, fin 1943, le système pénitentiaire français en zone sud (pourtant occupée) est perçu comme protecteur, il leur garantit la vie sauve, face à des prisons de zone Nord, réservoirs d’otages. Cette première victoire constitue un encouragement à de nouveaux combats. Mais elle discrédite le directeur auprès d’une administration pénitentiaire qui lui accordait jusque là sa confiance et conduit à la perte d’un allié essentiel pour les détenus.


D'après l'ouvrage de Corinne Jaladieu, La prison politique sous Vichy. L’exemple des centrales d’Eysses et de Rennes, L’Harmattan, 2007.