Article « Bienvenue aux arrivants »

Légende :

Un des articles dans Le Patriote enchaîné du 20 décembre 1943, « Bienvenue aux arrivants », est adressé aux détenus du convoi arrivé à Eysses deux jours plus tôt en provenance de la zone Nord.

Genre : Image

Type : Presse clandestine

Source : © Archives FNDIRP Droits réservés

Détails techniques :

Support papier. Format article : 4 x 4,5 cm. Format page du journal : 19,5 x 25 cm.

Lieu : France - Nouvelle-Aquitaine (Aquitaine) - Lot-et-Garonne - Villeneuve-sur-Lot

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Analyse média

Cet article publié dans le journal clandestin Le Patriote enchaîné daté du 20 décembre 1943 est adressé aux détenus du convoi arrivé à Eysses deux jours plus tôt en provenance de la zone Nord :
« Le 18 décembre est arrivé dans nos murs un premier convoi de camarades de la zone Nord : 124 patriotes venus des prisons d’Amiens, de Paris et de Poitiers. Ainsi notre collectif grandit toujours et représente de plus en plus fidèlement tout le peuple de notre belle France. La population de nos différents préaux s’est arrangée pour recevoir le mieux possible nos nouveaux camarades. La rédaction de notre journal leur adresse nos plus ardents souhaits de bienvenue et leur exprime sa satisfaction de les voir ici, au milieu de notre puissant collectif éloigné des griffes de la Gestapo. »

Jusqu’à cette date, la provenance des détenus rassemblés à Eysses était essentiellement la zone Sud (Toulouse, Toulon, Tarbes, Marseille, Nîmes, Lyon, Montpellier…). La dernière phrase de l’article laisse sous-entendre que les détenus se sentent plus en « sécurité » dans cette maison centrale de zone Sud aux mains de l’administration française, mais surtout protégé par l’action du Collectif, que dans une prison de zone Nord aux mains des Allemands (avec le risque d’être déporté en Allemagne). Ces quelques lignes insistent sur l’union des détenus : « notre collectif grandit toujours », « notre puissant collectif »… L’auto perception est davantage celle d’une microsociété libre et solidaire, à l’image de la République proclamée sur la citadelle du Vercors que d’une centrale. Le terme « recevoir » employé dans la phrase « La population de nos différents préaux s’est arrangée pour recevoir le mieux possible nos nouveaux camarades » renvoie à l’image des détenus déjà incarcérés à Eysses comme constituant une famille d’accueil pour les nouveaux arrivants.


Auteur : Fabrice Bourrée

Contexte historique

Eysses devient en quelques mois un pôle de la France pénitentiaire sous Vichy. Entre le 30 septembre 1943, date à laquelle la prison ne compte parmi ses 1075 détenus que 10% de politiques, et le 18 février 1944, quand le plafond de population carcérale est atteint (1430 détenus), la centrale est devenue à 90% une prison de résistants arrivés par convois successifs.

Plusieurs arrivées massives de résistants condamnés contribuent à modifier la nature de cette population carcérale ; parmi les convois, le plus important est celui des 15 et 16 octobre 1943, venu de Lyon, Saint Etienne, Marseille, Montpellier, Nîmes, drainant 568 détenus politiques des prisons de zone Sud. Le 8 février 1944, ce sont 250 détenus qui sont transférés de Marseille à Eysses, et quatre jours plus tard, ils sont une centaine à quitter la prison de la Santé pour rejoindre la Centrale.

Le transfert massif des politiques vers la centrale d’Eysses les 15 et 16 octobre 1943 constitue l’acte de naissance du Collectif d’Eysses. Les premiers numéros de l’Unité, du Patriote enchaîné et du Jeune enchaîné lui consacrent un article, on lui trouve un titre fédérateur : « le train de la Marseillaise » ou « le train des patriotes ». Les slogans vengeurs : « Laval au poteau », « vive de Gaulle », « vive l’armée rouge » et les chants patriotiques ou révolutionnaires : La Marseillaise, L’Internationale lancés par des « patriotes enchaînés » ont transformé ce transfert de prisonniers en une manifestation de Résistance. Mais la plus grande satisfaction pour ces détenus enchaînés sont les manifestations de sympathie de la population rencontrée dans toutes les gares traversées. Ressenti comme une victoire commune par tous les participants, première étape d’un combat à poursuivre, ce transfert a bien la vocation d’événement fondateur du Collectif.


D'après l'ouvrage de Corinne Jaladieu, La prison politique sous Vichy. L’exemple des centrales d’Eysses et de Rennes, L’Harmattan, 2007.