Journal Défense de la France, n°26, 20 janvier 1943

Légende :

Newspaper "Défense de la France", n°26, January 20, 1943.

Genre : Image

Type : Presse clandestine/ Clandestine Press

Source : © Archives nationales, fonds Défense de la France (don association Défense de la France) Droits réservés

Détails techniques :

Journal imprimé sur un feuillet au recto-verso. Format 21 x 31 cm. Le papier acheté au marché noir est jaunâtre et de médiocre qualité.

Lieu : France - Ile-de-France

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Analyse média

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Ce 26e journal de Défense de la France est daté du 20 janvier 1943, imprimé sur la Rotaprint acquise par le mouvement au printemps 1941. En 1943, le tirage va connaître une croissance spectaculaire qui s’explique d’une part par l’extension des effectifs et, d’autre part, par le développement du professionnalisme des imprimeries. Ainsi au début de l’année, le tirage atteint une moyenne de 100 000 à 120 000 exemplaires.

Ce numéro ne porte plus la mention « Ni Allemands, ni Russes, ni Anglais ». Défense de la France abandonne définitivement son isolement et finit par admettre les réalités d’un contexte qui évolue dans le sens d’une unification des forces intérieures et d’une reconnaissance des puissances extérieures.

Cette édition est entièrement consacrée aux généraux de Gaulle et Giraud :

Après une « Lettre ouverte aux généraux Giraud et de Gaulle » co-rédigée par plusieurs journaux clandestins (Défense de la France, Pantagruel, France Continue, Chantecler, Franc-Tireur, Libération, Combat et Résistance), "Indomitus" expose les craintes de l’Allemagne que suscite l’union des deux chefs tout en défendant leur nécessaire association.

Tout juste émancipé de son maréchalisme, Philippe Viannay, influencé par Jean-Daniel Jurgensen, abandonne peu à peu ses dernières réticences à l’égard du général de Gaulle et nuance sa préférence accordée jusque-là au général Giraud. « Jean-Daniel Jurgensen m'avait fait [...] évoluer en me faisant ressortir l'impossibilité d'une autre solution que de Gaulle que finalement toute la Résistance finissait par accepter. » confie Viannay. 

Sur la proposition de son ami Robert Salmon, Jean-Daniel Jurgensen rallie Défense de la France à la fin de l'année 1942 et intègre rapidement la direction du journal. Spécialiste des affaires étrangères, il rédige la quasi-totalité des articles que Défense de la France consacre aux relations internationnales. outre cette participation rédactionnelle, l'arrivée de Jean-Daniel Jurgensen inaugure surtout un tournant dans la ligne suivie par Défense de la France. (1)

Ainsi, au cours de ces premiers mois de l’année 1943, le positionnement de Défense de la France évolue pour admettre définitivement la réalité londonnienne dont il souhaite, finalement, obtenir la reconnaissance.

Dans son troisième article, « Jean Lorrain », Jean-Daniel Jurgensen, expose les mérites de ces deux grands chefs et justifie leur union.

 

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L’impression du journal s’effectue, depuis la fin du mois de septembre 1942, dans un appartement de la rue Gazan (Paris) entièrement insonorisé, grâce à deux épaisseurs de liège fixées sur les murs au moyen de colle et d’épingles, évitant ainsi aux vibrations de passer. Cette « imprimerie qui fut une des plus belles réalisations techniques de Défense de la France »permet à « Simone » d’augmenter son tirage (2). 

Par ailleurs, le soutien apporté au mouvement par Jacques Grou-Radenez, depuis bientôt un an, contribue très largement à l'expansion de l'organisation. En ce début d’année 1943, Défense de la France sort définitivement de sa phase artisanale. 

« Outre la fourniture du matériel, ce professionnel dépanne le mouvement pour l’impression de certains documents » (3) et le met en relation avec des photograveurs et des techniciens qui n’hésitent pas à former les jeunes militants inexpérimentés au métier d’imprimeur et à l’ensemble des règles de la typographie.

Parmi eux, Charlotte Nadel, pionnière du mouvement,  bénéficie d’un apprentissage rapide et utile, lui permettant de coiffer, à terme, toute la branche technique du mouvement. Dès lors, le mouvement installe un atelier de composition au n°41, de la rue du Montparnasse (Paris).

Ces stages chez l’imprimeur complètent l’apprentissage de ces pionniers de l’imprimerie qui, dans l’ensemble, se forment sur le tas.

« Ainsi était mise en route une logique qui nous portait, nous emportait plutôt, et nous obligeait à répondre aux multiples interrogations que suscitait son propre développement. Le journal n’était plus une fin en soi mais un support. […] Notre expansion nous contraignait à sortir de notre petit ghetto. » (4)

Cette préprofessionalisation du mouvement s’accompagne d’une volonté d’expansion. « De parisien, il se mue, en une organisation nationale et élargit par ailleurs le champ de son action. » (5)

Nul doute, le début de l’année 1943 marque une étape importante ; le mouvement change de dimension. Défense de la France entre dans une seconde phase.

La fusion avec une partie des effectifs du mouvement les Volontaires de la Liberté va, à bien des égards, largement contribuer au développement de Défense de la France : « Avec l’adhésion des Volontaires, […] Défense de la France changea de dimension », raconte Philippe Viannay (6). Elle lui permet, certes, de renforcer considérablement ses rangs mais elle lui apporte aussi et surtout un réel potentiel qualitatif qui influe favorablement notamment sur l’organisation de la diffusion.

A la tête de ce nouveau groupe, Jacques Lusseyran. Privé de la vue depuis l’âge de 8 ans, il est « un aveugle voyant qui vit parmi les voyants ordinaires. » (7) Doté d’une intelligence et d’une maturité exceptionnelles, ce jeune étudiant en khâgne, âgé de 18 ans, « exerce [avec charisme] une véritable domination sur ses camarades. […] Certains avaient pour lui une sorte de culte. » (8)

Au sein de Défense de la France, il est chargé, avec son ami Jacques Oudin qui avait fondé avec lui les Volontaires de la liberté, de diriger la diffusion du journal. Il entre au comité directeur et devient l’un des rédacteurs du journal. A l’origine d’un recrutement intensif, Jacques Lusseyran va imposer à son nouveau mouvement un rythme de diffusion qui, jusque-là, manquait à Défense de la France. (9)

L’évolution du conflit depuis la fin du mois de novembre 1942 influe favorablement sur le développement de la Résistance. La presse clandestine adapte son discours et fortifie son engagement.

C’est le cas pour Défense de la France qui change progressivement le contenu de son journal. Tout en restant fidèle à ses principes énoncés dès 1941, le mouvement abandonne peu à peu son répertoire, centré jusqu’ici sur une simple protestation morale, au profit d’un message plus radical visant à mobiliser activement les Français afin qu’ils « ruinent définitivement l’ennemi ».

Ainsi, sur les 27 numéros publiés par Défense de la France du 1er novembre 1942 à août 1944, ce thème revient à 8 reprises et bénéficie parfois d’articles particuliers. Par ailleurs, la contre-propagande comme les informations militaires, jusqu’alors privilégiées, passent au second plan. De même « la nocivité du nazisme et du régime pétainiste étant désormais admise par l’opinion, le journal juge inutile de s’étendre sur ces thèmes. » (10) 

La ligne du journal connaît donc un revirement total et « se consacre à définir les modalités du combat. » (11)


Sources : (1) Olivier Wieviorka, Une certaine idée de la Résistance, Défense de la France 1940-1949, éditions du Seuil, 1995. (2) Extrait d’un Exposé synthétique de ce que fut le mouvement « Défense de la France, document non daté. Mais la nature de ce document d’archive nous permet de situer sa rédaction dans les années 1945-1950, collection Jean-Marie Delabre. (3) Olivier Wieiviorka, Op.cit. (4) Philippe Viannay, Du bon usage de la France, Résistance, Journalisme, Glénans, éditions Ramsay, 1988. (5) Olivier Wieviorka, Op.cit. (6) Philippe Viannay, Op.cit. (7) Jacqueline Pardon, extrait de la préface Et la lumière fut,  de Jacques Lusseyran, éditions du Félin, 2005. (8) Philippe Viannay, Op.cit. (9) Jacqueline Pardon, Op.cit. (10) Olivier Wieiviorka, Op.cit. (11) Ibid

 

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 This 26th issue of Défense de la France is dated January 20, 1943 and was printed on the Rotaprint, which was acquired by the movement in the Spring of 1941. In 1943, the printing achieved even greater numbers of publications partly as a result of an increase in the access to materials, but also due to their professionalization. Thus, at the beginning of the year, DF achieved an average of between 100,000 and 120,000 copies.

This issue no longer bears the motto, « Neither Germans, nor Russians, nor English ». Défense de la France definitively abandoned its isolation, finally admitting to the realities of the conflict, and realizing the necessity of unification of interior forces and of a coordination with exterior forces.

This issue is entirely consecrated to Generals de Gaulle and Giraud. After an « open letter to the generals de Gaulle and Giraud » co-written by several underground newspapers (Défense de la France, Pantagruel, France Continue, Chantecler, Franc-Tireur, Libération, Combat, and Résistance), « Indomitus » exposed the German fear that the two leaders would unite by defending their necessary association. Recently emancipated from his Marshallism, Philippe Viannay, influenced by Jean-Daniel Jurgensen, abandoned, little by little, his former reluctance toward General de Gaulle and alluded to his previous preference toward General Giraud.

« Jean-Daniel Jurgensen made me change my opinion by making me understand the impossibility of finding another solution but de Gaulle to finally unify all of the Resistance, and that I must accept it » confided Viannay.

On the proposition of his friend, Robert Salmon, Jean-Daniel Jurgensen joined Défense de la France at the end of 1942 and rapidly integrated to the direction of the newspaper. A specialist in foreign affairs, he wrote a majority of the articles focusing on international relations. Apart from his participation as a writer, the arrival of Jean-Daniel Jurgensen, above all, ushered in a change in the direction of Défense de la France. Thus, in the course of the first few months of 1943, the position of Défense de la France evolved to admit, finally, to the reality of the situation in London, with which they hoped to establish relations.


- In the third article, « Jean Lorrain », Jean-Daniel Jurgensen, listed the merits of these two leaders and justified their union.


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Since the end of September, Défense de la France, the printing took place in an apartment along Rue Gazan which was completely soundproof, thanks to two cork coverings attached to the walls with glue and pins. This « printing press, which was one of the best technological realizations of the movement » (1), allowing them to augment their printing. Since February 1942, the professional printer, Grou-Radenez, offered his support to Défense de la France, and contributing greatly toward its professionalization.

« In addition to the supply of materials, Grou-Radenez promised to help Défense de la France with the printing of certain documents » (2). This created a relationship between the movement and photo-engravers and technicians and, above all, to teach the young, inexperienced members the rules of typography.

Among them, Charlotte Nadel, one of the pioneers of the movement, benefited from a rapid and useful apprenticeship, permitting her to control the technical branch of the movement. From then on, the movement operated out of a workshop at 41, Rue du Montparnasse in Paris.

These apprenticeships at the printers helped the young pioneers, on the whole, to learn on the job. « Thus a logic was set in place that carried us, swept us rather, and obligated us to respond to the multiple interrogations that sparked its own development. The newspaper is no longer a goal in and of itself, but a base [...]. Our expansion compels us to leave our little ghetto. » (3)

This pre-professionalism of the movement was accompanied by a desire to expand. « It transformed from a Parisian into a national organization and extended the reach of their action. » (4)


Without a doubt, at the end of 1942, Défense de la France was entering a second phase. The fusion with a part of the Volontaires de la Liberté (Liberty Volunteers) movement, in many respects, would contribute to the further development of Défense de la France.

« With the adhesion of these Volontaires, [...] Défense de la France changed dimension », recounted Philippe Viannay (6).

This permitted them, certainly, to considerably reinforce their ranks but it also gave them the opportunity to realize a new qualitative potential of distribution, greatly increasing their diffusion. The head of this new group was Jacques Lusseyran. Deprived of sight from the age of eight, he was « a seeing blind man who lived amongst those with normal sight. » (7) Gifted with exceptional intelligence and maturity, this young prep student, aged only 18, « exercised (with charisma) a veritable domination over his peers. [...] Some formed a sort of cult around him. » (8)

At Défense de la France, Lusseyran, along with his friend and fellow founder of Volontaires de la Liberté, Jacques Oudin, was charged with overseeing the distribution of the newspaper. He joined the board of directors and became one of its editors. Starting with an intensive recruitment, Jacques Lusseyran would institute a rhythm of diffusion previously lacked by Défense de la France. (9)

The evolution of the conflict since November 1942 favorably influenced the development of the Resistance. The underground newspapers adapted their discourse and fortified their operations. Such was the case for Défense de la France as well, who progressively changed the content of their newspaper. While staying true to the principles they announced in 1941, the movement abandoned its repertoire little by little, which had thus far been centered on a simple moral protest, and moving in favor of a more radical message looking to mobilize the French to « definitively ruin the enemy ».


Thus, of the 27 issues published between November 1, 1942 and August 1944, the theme returned to 8 central themes, sometimes benefiting particular articles. In addition, the counter-propaganda such as military information, which had previously been favored, now took a backseat. Similarly, « the noxiousness of Nazism and the Pétain regime were proven by opinion, as the paper found it less useful to dwell on these themes. » (10) The discourse of the newspaper thus underwent a complete turnaround, « dedicating itself to defining the terms of the combat ». (11)


Source: (1) Olivier Wieviorka, Une certaine idée de la Résistance, Défense de la France 1940- 1949, Seuil publications, 1995. (2) Exposé synthétique de ce que fut le mouvement « Défense de la France » collection de JM Delabre. (3) Olivier Wieviorka, Op.cit. (4) Philippe Viannay, Du bon usage de la France, Résistance, Journalisme, Glénans, Ramsay publications, 1988. (5) Olivier Wieviorka, Op.cit. (6) Philippe Viannay, Op.cit. (7) Jacqueline Pardon, excerpt from the preface of Et la lumière fut, by Jacques Lusseyran, Félin publications, 2005. (8) Philippe Viannay, Op.cit. (9) Jacqueline Pardon, Op.cit. (10) Olivier Wieviorka, Op.cit. (11) Ibid.


Traduction : Matthias R. Maier


Auteur : Emmanuelle Benassi

Author: Emmanuelle Benassi

Contexte historique

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Le début de l’année 1943 marque un tournant décisif dans l’évolution du conflit mondial.
Amorcé depuis le printemps, ce changement résulte, notamment, de la mise en place d’une stratégie commune par les forces alliées qui permet de stopper, sur la plupart des fronts, l’avancée des forces de l’Axe.

Le débarquement allié en Afrique du Nord, survenu le 8 novembre, la libération de l’Afrique du Nord et l’enlisement définitif de la Wehrmacht aux portes de Stalingrad changent progressivement mais radicalement la face du conflit sur le plan national comme sur le plan international et signent l’inéluctabilité de la défaite allemande. 

Désormais, l’ensemble des forces alliées peut s’inscrire dans la perspective d’une victoire possible.

En France, le mythe d’un Pétain résistant est définitivement brisé. La population française, fatiguée, usée par les difficultés du rationnement, les restrictions quotidiennes et l’ensemble des exactions commises par les Allemands, cultive une haine de plus en plus marquée à l’égard de l’occupant dont la présence s’étend depuis le 11 novembre sur l’ensemble du territoire. 

L’impopularité de Pierre Laval, chef du gouvernement depuis le 18 avril 1942, l’augmentation de la répression qui se traduit par des rafles et l’institution de la relève le 22 juillet 1942 favorisent le rejet de la collaboration et marquent un tournant dans l’évolution des mentalités dont profite une Résistance qui n'a cessé, au cours de l’année 1942, de tisser sa toile, de veiller, d'entreprendre.

L’évolution du conflit lui impose une véritable mutation. Cantonnée jusqu’à présent à une simple protestation symbolique sans réelle incidence pratique, la Résistance va s’inscrire dans cette mouvance générale en s’adaptant aux événements présents et à venir. 

En outre, l’action entreprise par Jean Moulin, délégué du général de Gaulle, au cours des derniers mois, va s'intensifier et permettre aux dirigeants des principales organisations de résistance de travailler activement à un processus d’unification de leurs forces.


Sources : Serge Ravanel, L’esprit de Résistance, éditions du Seuil, 1995.

 

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The beginning of 1943 marked a pivotal moment in the global conflict. Beginning in the Spring, this change resulted notably from the institution of a common strategy by the Allied Forces, permitting them to stop the advancement of Axis forces on a majority of fronts.

The Allied landing in North Africa occurred on November 8, the liberation of North Africa, and the collapse of the Wehrmacht at the gates of Stalingrad progressively and radically changed the face of the conflict on both the national and international stages. The Allied Forces could begin to assembling their forces with victory now seeming possible.

In France, the myth of Marshall Pétain was effectively crushed. The French, worn-out and tired of the hardships of rationing and the daily restrictions inflicted by a German occupation, cultivated a hatred toward the occupiers that grew stronger and stronger since November 11.

The unpopularity of Pierre Laval, who became the head of the government on April 18, and the increase in German repression through raids and persecution, encouraged the French to reject the collaboration, which thus inspired a change in the mentalities of the population. The primary beneficiary of this change in mentality was the Resistance, who, throughout the first six months of 1942, ceaselessly spun its web of connections, preparing, watching, and waiting.

The evolution of the conflict caused a real mutation in the Resistance. Having been previously confined to a simple, symbolic protestation, the Resistance was to soon gain influence and adapt to the coming events.

Thanks to the actions undertaken by Jean Moulin, delegate of General de Gaulle, the principle organizations of the Resistance began to work toward the unification of their forces.


Source: Serge Ravanel, L'esprit de la Résistance, Seuil publications, 1995.


Traduction : Matthias R. Maier


Auteur : Emmanuelle Benassi

Author: Emmanuelle Benassi

Jacques Lusseyran

Jean-Daniel Jurgensen

Journal des Volontaires de la Liberté : Le Tigre