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Article « L’assassinat des 12 détenus de la prison d’Eysses »

Légende :

Les exécutions d’Eysses relatées dans le journal clandestin L’Humanité du 31 mars 1944.

Genre : Image

Type : Presse clandestine

Source : © Archives du PCF- Archives départementales de la Seine-Saint-Denis Droits réservés

Détails techniques :

Dimensions de la page : 21 x 32 cm. Dimensions de l’article : 1ère colonne 9,5 x 27 cm. 2e colonne : 9,5 x 3 cm.

Lieu : France - Nouvelle-Aquitaine (Aquitaine) - Lot-et-Garonne - Villeneuve-sur-Lot

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Analyse média

Dans son numéro 286 daté du 31 mars 1944, L’Humanité est le premier journal clandestin à relayer les événements survenus à Eysses entre le 19 et le 23 février 1944, tout en donnant la liste nominative des douze fusillés. L’article intitulé « L’assassinat de 12 détenus de la prison d’Eysses » occupe un peu plus de la moitié de la deuxième page du journal.
L’information a bien été relayée en ce qui concerne la véracité du déroulement des événements mais l’orthographe des noms des douze exécutés reste imprécise :
« Jaime Seret » au lieu de Serot, « Roger Brusse » à la place de Brun, Alexandre Marqui a été orthographié « Alexandre Maretti » et Domenec Bertrand Servetto « Bertrand SEVETE ».
De même, selon les témoignages et rapports relatant ces faits, ce n’est pas Stern mais Auzias qui prononça un accablant réquisitoire contre le directeur Schivo et ses acolytes, responsables de ce simulacre de procès.

Retranscription :
« 1500 patriotes emprisonnés à la Centrale d’Eysses, tentent une sortie collective le samedi 19 février à 16 heures. Depuis plusieurs mois, la maison centrale d’Eysses avait été transformée, par Schive [NDLA : Joseph Schivo], en forteresse. Schive [NDLA : Joseph Schivo] provoquait chaque jour davantage nos camarades internés, la situation à l’intérieur de la centrale devenait intenable. C’est pour cela que le 19 février, profitant de la visite d’un délégué de Vichy, nos camarades tentèrent une sortie collective.
Après avoir fait prisonnier le Directeur, le délégué de Vichy et tous les gardiens, ils se dirigèrent en force vers la sortie. A ce moment, les gardes-mobiles ouvrirent le feu sur les patriotes internés, ceux-ci ripostèrent avec les mitraillettes qu’ils avaient cachées dans leurs cellules. Malgré une lutte héroïque qui dura 11 heures, nos camarades durent capituler, les Allemands venant d’arriver « appelés par la Milice » et menaçant « d’exterminer, à l’aide de canons, les Français combattant à l’intérieur.
Cependant nos camarades ne cessèrent le feu qu’après avoir eu l’assurance qu’aucune sanction ne serait prise contre le personnel de la maison centrale et contre les détenus. Une fois de plus, il est démontré que la parole des officiers traîtres à la Patrie, ne compte pas. En effet, trois jours après, une cour martiale siégeait à Villeneuve-sur-Lot et douze détenus étaient condamnés à mort. 72 GM, GMR et gardes y participèrent. Le chef départemental de la Milice de Perricot et son adjoint Péribère vinrent assister au spectacle.
Le mardi 22 février, douze de nos camarades tombèrent sous les balles de 72 GM, GMR et gardes. Après avoir décidé de fusiller nos camarades, le président de la Cour martiale demande aux détenus condamnés s’ils avaient quelque chose à dire. Joseph Stern 28 ans se leva et au nom de ses camarades, condamna à mort le président de la cour martiale, ainsi que le Préfet et tous les responsables de ce crime. Ils sont morts en chantant la « Marseillaise », certains ne furent blessés que de deux balles et furent achevés par un GM.
A la suite de ce crime, la population se rendit en masse au cimetière et déposa des fleurs. Chaque jour des dizaines de patriotes vont s’incliner devant la tombe (fosse commune) des meilleurs fils de la France. Voici la liste des fusillés :
Joseph STERN, 28 ans
François BERNARD, 57 ans
Jaime SERET, 24 ans
Henri AUZIAS, 32 ans
Roger BRUSSE, 21 ans
Alexandre MARETTI, 19 ans
Jean CHAUVET, 22 ans
Félicien SARVISSE, 21 ans
Gabriel PELOUZE, 34 ans
Jean VIGNE, ,32 ans
Louis GUIRAL, 36 ans
Bertrand SEVETE, 43 ans ».


Auteur : Fabrice Bourrée

Contexte historique

La censure interdit à la presse locale de faire état des événements survenus à Eysses, de peur sans doute, qu’elle ne se transforme en relais et courant de sympathie envers les prisonniers. Aucun des journaux locaux et départementaux (Le Villeneuvois, La Voix républicaine, Le Progrès) ne mentionne les évènements du 19 février. Seule la presse régionale du Sud -Ouest en fait état. La place en première page de l’événement et son titre, toujours présenté du point de vue rassurant de la supériorité des forces de répression venues à bout d’une « rébellion » d’étrangers, de communistes à l’attitude vile (alors que le personnel pénitentiaire et les forces de maintien de l’ordre sont unies héroïques face aux détenus), en font un thème de propagande de la Révolution nationale. Il s’agit de servir d’exemple et tout est fait pour toucher les sentiments des lecteurs : citons le communiqué d’Inter-France « il est bon de rappeler que la maison d’arrêt est affectée à l’internement des éléments communistes anarchistes des étrangers terroristes espagnols en particulier ».
Le Petit Parisien et Paris Soir sont les premiers, le 24 février 1944, à relater l’évènement : « Des détenus en grande partie communistes, anarchistes étrangers et terroristes espagnols, internés à la centrale d’Eysses, se sont révoltés dans la nuit du 19 au 20 février dernier contre leurs gardiens… M Joseph Darnand secrétaire général au maintien de l’ordre s’est rendu sur les lieux … Après un interrogatoire serré, les meneurs ont avoué qu’ils avaient tiré sur les gardiens. Ils étaient douze qui, aussitôt traduits devant une cour martiale française, ont été condamnés à mort. La sentence a été exécutée quelques instant plus tard … ». Le Matin du 29 février titre en première page : « Comment fut jugulée la rébellion de la prison d’Eysses » et en sous titre « le directeur Chivo [NDLA : Schivo] capturé par les révoltés renouvelle le geste héroïque du chevalier d’Assas ». L’Echo du même jour renchérit en première page : « Quoi qu’on fasse et même si vous me voyez en avant je vous donne l’ordre de tirer avait dit par téléphone le directeur de l’établissement aux troupes de l’ordre».

Du côté de la Résistance, les informations sont diffusées tardivement le temps de faire la lumière sur la tentative d’évasion et les raisons de son échec. Il faut attendre le 31 mars 1944 pour que L’Humanité clandestine relate les évènements. Ceux-ci sont présentés tels qu’ils se sont déroulés : « la situation à l’intérieur de la centrale devenait intenable c’est pour cela que le 19 février profitant de la visite d’un délégué de Vichy nos camarades tentèrent une sortie collective ». Suite à un rapport complet envoyé par le NAP, l’événement aurait été relayé le 12 mars 1944 par Radio-Londres dans son émission de huit heures et condamnait les bourreaux d’Eysses.


D’après Corinne Jaladieu, La prison politique sous Vichy, L’Harmattan, 2007