Lettre du préfet du Lot-au-Garonne, 30 mai 1944

Légende :

Copie conforme d’une lettre du préfet du Lot-au-Garonne au sous-préfet de Villeneuve-sur-Lot, adressée au directeur de la maison centrale d’Eysses le 30 mai 1944.

Genre : Image

Type : Courrier officiel

Source : © Archives départementales de Lot-et-Garonne, 900 W non côté Droits réservés

Détails techniques :

Lettre dactylographiée.

Lieu : France - Nouvelle-Aquitaine (Aquitaine) - Lot-et-Garonne - Agen

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Analyse média

Dans ce courrier daté du 30 mai 1944, le préfet du Lot-et-Garonne, Louis Tuaillon, informe le sous-préfet de Villeneuve-sur-Lot, que l’exécution du télégramme chiffré envoyé par le préfet régional de Toulouse ne pourra se faire qu’avec « un ordre ministériel portant la signature d’un membre du Gouvernement ». Le télégramme dont il est question dans cette lettre est le troisième envoyé par le préfet régional et concerne la livraison aux Allemands des détenus de la maison centrale d’Eysses. La résistance administrative du préfet Tuaillon permet d’éviter à deux reprises le départ des détenus mais ne peut empêcher celui du 31 mai 1944.

Retranscription :
"En vous envoyant copie d'un nouveau télégramme que me fait parvenir M. le Préfet de la région de Toulouse, j'ai l'honneur de vous confirmer mes instructions en date des 12 avril et 24 mai dernier, précisant que toute mesure d'exécution devra être précédée d'un ordre ministériel portant la signature d'un mmebre du Gouvernement. Vous voudrez bien porter ces précisions à la connaissance de M. le Directeur de la Maison centrale d'Eysses."


Auteur : Fabrice Bourrée

Contexte historique

Né le 11 mai 1904 à Valay (Haute-Saône), Louis Tuaillon a suivi des études qui l’ont conduit à un doctorat en droit et à un diplôme d’ingénieur technique. Il débute sa carrière dans le corps préfectoral à l’âge de vingt-quatre ans en tant que chef de cabinet du préfet de la Haute-Saône. Il occupera ensuite plusieurs postes de sous-préfet d’arrondissement et sera secrétaire général de la préfecture de l’Yonne à la déclaration de guerre. Autorisé sur sa demande à rejoindre son unité du génie sur le front, il est rappelé après l’armistice dans le corps préfectoral pour occuper par intérim les fonctions de sous-préfet d’Oloron-Sainte-Marie, chargé notamment d’organiser l’accueil et l’hébergement des populations réfugiées. Poursuivant sa carrière, il deviendra au cours de l’année 1943, préfet délégué à Limoges puis à Marseille. Le 6 février 1944, il prend officiellement ses fonctions de préfet de Lot-et-Garonne qui sera son dernier poste tenu sous l’Occupation. À son retour de déportation, il est réintégré en mai 1945 dans le corps préfectoral et nommé préfet de la Moselle à compter de septembre 1945. Il décédera en fonction le 31 mars 1947 des suites d’une intervention chirurgicale consécutive à une grave affection contractée en captivité.

Les conditions de son arrestation n’ont pas été clairement établies à partir des documents à notre disposition mais se comprennent de manière parcellaire à travers la réalité de deux phénomènes qui se conjuguent au printemps 1944 :
- une volonté d’indépendance administrative plus affirmée face à l’occupant et aux représentants de la Milice,
- des oppositions fortes qui se cristallisent fin mai - début juin 1944 : la première au préfet régional dans l’affaire de la déportation des détenus politiques de la centrale d’Eysses et la seconde au chef régional de la Milice dans la satisfaction des demandes de cet organisme dans le département.

Après la mutinerie des détenus de la maison centrale d’Eysses le 19 février 1944, Louis Tuaillon est soigneusement tenu à l’écart de la répression des meneurs dont s’occupe personnellement et sur place Joseph Darnand, secrétaire général au maintien de l’ordre. Pour marquer sa désapprobation, le préfet Tuaillon n’accorde aucune audience aux membres de la cour martiale, ignorant notamment leur sollicitation du 23 février 1944. A compter du mois d’avril, le préfet régional adresse à Joseph Schivo, directeur de la maison centrale, sous couvert du préfet de Lot-et-Garonne, l’ordre de remettre aux autorités allemandes les 1 123 condamnés communistes, terroristes et anarchistes détenus dans cet établissement. Par deux fois, le 10 avril et le 24 mai 1944, Louis Tuaillon subordonne l’application de ces directives à la réception d’un ordre ministériel portant la signature d’un membre du gouvernement. Cette opposition administrative lui permet de repousser de six semaines la déportation des détenus politiques d’Eysses. Cependant, le 29 mai 1944, le préfet régional, par un télégramme chiffré demande l’exécution de cette opération d’extrême urgence, sans autre report, et intime l’ordre au préfet de Lot-et-Garonne de fournir d’urgence des explications quant à l’absence d’application de ses cinq télégrammes précédents. Malgré cela, Louis Tuaillon confirme ses instructions mais ne peut empêcher le lendemain l’irruption à la maison centrale d’Eysses des troupes allemandes venues se saisir des détenus résistants.

Dans la nuit du 8 au 9 juin 1944, Louis Tuaillon est arrêté par les agents de la Gestapo d’Agen à la Préfecture de Lot-et-Garonne en compagnie de Pierre Brunon, son chef de cabinet et de Jean Brachard, sous-préfet de Nérac. Louis Tuaillon, ainsi que Pierre Brunon et Jean Brachard, seront déportés à Neuengamme (Allemagne) puis à Terezin (République Tchèque) où ils seront libérés en mai 1945.


Sources : Extrait de Emmanuel Poujade et Pascal de Toffoli, « Louis Tuaillon, préfet, chevalier de la Légion d’honneur (1904 - 1947) », notice biographique réalisée en 2007.