Jacques Lusseyran

Genre : Image

Type : Photographie / Photograph

Producteur : Inconnu

Source : © Collection Jacqueline Pardon Droits réservés

Détails techniques :

Photographie argentique en noir et blanc.

Date document : Sans date

Lieu : France - Ile-de-France

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Contexte historique

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 Jacques Lusseyran est issu d'une famille de la petite bourgeoisie parisienne. Fils unique d'un père ingénieur chimiste et d'une mère ayant poursuivi des études supérieures scientifiques, il est âgé d'à peine seize ans au début de l'Occupation allemande. Son enfance est marquée par un accident qui le rend totalement aveugle dans sa huitième année. Il apprend très rapidement le braille - sa mère en fait de même - et poursuivra de brillantes études au lycée Montaigne, où il rencontre Jean Besniée qui devient rapidement son meilleur ami, son confident, et à Louis-le-Grand. Candidat très sérieux à l'entrée à l'École normale supérieure de la rue d'Ulm, il compose pour les deux premières épreuves et, au matin de la troisième, le 1er juin 1943, il apprend que le ministre de l'Éducation nationale Abel Bonnard refuse d'entériner la dérogation qu'il avait obtenue pour se présenter à ce concours malgré sa cécité. Cette décision inique l'amène à se consacrer totalement à l'activité résistante au sein du mouvement Défense de la France. Au cours des années précédentes, il était parvenu à conjuguer ses études en classe préparatoire et son engagement résistant.

Au mois de juin 1940, alors qu'il est à Toulouse où son père avait été affecté, Lusseyran entend le discours de Pétain annonçant la cessation des combats ; un sentiment de honte l'envahit. Le lendemain, l'appel du général de Gaulle le réconforte. À son retour à Paris, en classe de philosophie, il fait une rencontre importante, celle de son professeur d'histoire, Pierre Favreau, qui ne cache pas ses sentiments hostiles envers l'Allemagne nazie. En ce début d'année scolaire 1940-1941, des premiers contacts se nouent entre lycéens. Quelques mots dans des conversations parfois anodines permettent de repérer ceux qui refusent la situation dans laquelle se trouve la France. Un embryon de groupe décidé à agir contre l'occupation allemande prend forme au printemps 1941 et se réunit chez Lusseyran qui joue un rôle central dans le choix des orientations à donner à l'action. Les bases en sont rapidement posées : "considérer la défaite comme provisoire et saisir toutes les occasions pour le dire autour de soi". Les valeurs défendues sont clairement affirmées : ce ne sera "pas un mouvement national, patriotique non plus, mais un mouvement pour la liberté, c'est tout". Lusseyran n'est pas germanophobe, mais farouchement anti-nazi. Les premiers membres appartiennent aux classes supérieures des lycées Louis-le-Grand et Henri IV. Le recrutement s'élargira progressivement à d'autres établissements de garçons de la capitale et aux étudiants, sous la direction de Lusseyran qui reçoit chez lui chaque candidat. Le groupe comprend 180 personnes en juillet 1941 ; elles seront environ 300 au début de 1942. L'action de propagande entreprise se manifeste sous la forme de petits bulletins réalisés sur une machine à ronéotyper. La diffusion est très limitée, quelques centaines d'exemplaires tout au plus. Début 1942, Lusseyran et ses camarades estiment nécessaire de réaliser un vrai journal clandestin. Ce sera Le Tigre, en hommage à Clemenceau, tiré dans un premier temps à 500 exemplaires, pour atteindre les 2.000 le 14 juillet 1942. C'est également au début de 1942 que le groupe dirigé par Lusseyran est baptisé. Jusque là, personne n'avait ressenti le besoin de se donner une identité. Les Volontaires de la Liberté naissent ainsi, à la faveur d'un enregistrement officiel à Londres.

Des contacts sont noués avec d'autres groupes résistants : le Front national dans un premier temps, puis Résistance, dirigé par le docteur Renet (Jacques Destrée). Les Volontaires de la Liberté ne sont donc pas isolés. Pourtant, début 1943, quand Lusseyran rencontre Philippe Viannay, il ne connaît pas l'existence du mouvement et du journal dirigés par celui-ci : Défense de la France. Alors que des dissensions commencent à naître au sein des Volontaires de la Liberté, principalement sur les formes de l'action à mener, Lusseyran met les membres de son mouvement à la disposition de Défense de la France. Des équipes de distribution du journal sont organisées dans de nombreuses régions de la zone Nord ; les tirages de Défense de la France augmentent très rapidement pour atteindre les 300.000 exemplaires avec le numéro du 14 juillet 1943 dont Lusseyran a rédigé l'éditorial. À la suite de son éviction du concours à l'entrée de l'ENS, Lusseyran travaille à plein temps pour l'action résistante. S'il ne peut prendre part aux activités de terrain, il n'en dirige pas moins l'ensemble des équipes de diffusion de Défense de la France ainsi que le service des faux papiers du mouvement, particulièrement utile pour de nombreux jeunes gens menacés par le STO. Dans le même temps, Jacques Lusseyran est intégré au comité directeur du mouvement et au comité de rédaction du journal. Cette intense activité est rapidement brisée. Lusseyran est arrêté à son domicile au matin du 20 juillet 1943. Cette arrestation n'est pas isolée ; la trahison d'un membre de Défense de la France, retourné par les Allemands, fait tomber entre les mains de la Gestapo une partie de l'équipe dirigeante du mouvement. Lors des interrogatoires, sa très bonne maîtrise de la langue allemande permet à Lusseyran de ne rien révéler que les Allemands ne sachent déjà. La Gestapo détient en effet un long rapport détaillé des activités de Défense de la France, dont le contenu est communiqué au jeune homme. Fort de ces informations, Lusseyran confirme les faits mentionnés dans le document, ce qui lui permet de taire tout le reste. Lusseyran, en effet, se méfiait depuis quelque temps déjà de l'agent finalement retourné et avait cherché à l'isoler au sein du mouvement.
À la suite des interrogatoires, Jacques Lusseyran est interné à Fresnes. L'intervention du proviseur de Louis-le-Grand en sa faveur ne changera rien à sa situation. Il est déporté le 22 janvier 1944 vers Buchenwald, après un passage au camp de Compiègne. Matricule 41 978, il se retrouve dans le bloc des invalides du petit camp, où il remplit bientôt un rôle fort utile d'interprète. Lusseyran parvient à survivre, malgré la dysenterie et la pleurésie dont il est victime. À son retour de déportation, il épouse Jacqueline Pardon, secrétaire de Philippe Viannay dans la clandestinité. Jacques Lusseyran ne peut toujours pas intégrer le monde de l'enseignement en France. Il occupe quelque temps un poste de professeur et de conférencier à la Mission laïque de Salonique, travaille à l'Alliance Française à Paris puis parvient, enfin, à trouver un poste fixe d'enseignant, aux Etats-Unis, à l'université de Cleveland. Il meurt lors d'un séjour en France, dans un accident de voiture.

L'originalité de ses souvenirs qui, dans la première édition de 1953, s'achèvent avec son transfert à Fresnes, est de faire une large place à sa vie intérieure, aux tourments et interrogations qui sont ceux d'un jeune homme âgé de 18 ans en 1942. Ses activités résistantes ne sont pas négligées, mais replacées dans leur contexte, se combinant avec la scolarité, la découverte du sentiment amoureux et de la sexualité, l'importance de l'amitié.

Sources et bibliographie : Archives nationales, 72 AJ 50 (témoignages de Jacques Richet et Jacques Lusseyran) ; 72 AJ 81 (dossier Volontaires de la Liberté) ; F 17 13385 (intervention du proviseur de Louis-le-Grand en faveur de Jacques Lusseyran, après l'arrestation de celui-ci). Jacques Lusseyran, Et la lumière fut, Paris, La Table Ronde, 1953.
Biographie-témoignage rédigée par Jacqueline Pardon in Elles et Eux, de la Résistance. Pourquoi leur engagement, textes présentés par Caroline Langlois et Michel Reynaud, Paris, Tirésias, 2003.



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Jacques Lusseyran came from a family of the petty bourgeoisie. The only child of a father who was a chemical engineer and a mother who had studied science, he was 16 years old at the beginning of the German Occupation. His childhood was marked by an accident that left him completely blind at eight years old. He learned Braille extremely quickly – his mother did the same – and pursued brilliant studies at Montaigne high school; where he met Jean Besniée who would quickly become his best friend, his confidant, and fellow student at Louis-le-Grand preparatory school. A serious candidate for entry at the Ecole supérieure normale, he prepared the two initial parts of the examination, and the morning of the third, June 1, 1943, he learned that the Minister of National Education, Abel Bonnard, refused to confirm the approval he had obtained to pass the examination despite his blindness. This sinful decision brought him to consecrate all of his activities toward the resistance movement of Défense de la France. In previous years, he had succeeded in balancing his studies in preparatory classes with his engagement in the Resistance.

In the month of June 1940, while he was in Toulouse where he father had been appointed, Lusseyran heard Pétain's speech announcing the end of the combat, and a feeling of shame came over him. The following day, the call from General de Gaulle comforted him. Upon his return to Paris, in his philosophy class, he had an important meeting – his History professor, Pierre Favreau, who did not hide his hostilities toward Nazi Germany. In the beginning of the 1940-1941 school-year, the first contacts were established between high-schoolers. A few words in an innocuous conversation could sometimes give away those who refused to accept the situation in which France had found herself. A small group formed in 1941, deciding to act out against the German occupation in which Lusseyran played a central role. The focus of this group was rapidly established: « to consider the defeat as temporary and to seize any opportunity to spread the idea ». The values they defended were clearly affirmed: it would be « neither a national movement, nor a patriotic one, but a movement for liberty, that's all. » Lusseyran was not a Germanophobe, but was fiercely anti-Nazi. The first members were upperclassmen at the Louis-le-Grand and Henri IV high schools. The recruitment progressively spread to other boys' schools and other student establishments, under the direction of Lusseyran who admitted each candidate into his home. The group consisted of 180 people in July 1941 and approximately 300 by the beginning of 1942. The action to undertake propaganda took the form of small bulletins that were printed on a ronéo-typer machine. The diffusion was very limited at only a few hundred copies were printed at most. At the beginning of 1942, Lusseyran and his companions found it necessary to start a true underground newspaper. It was Le Tigre (the Tiger), in homage to Clemenceau, first printed at around 500 copies, only to reach 2000 copies by July 14, 1942. It was also at the beginning of 1942 that the group led by Jacques Lusseyran was baptized – Les Volontaires de la Liberté (Liberty Volunteers), who had previously not felt the need to give themselves a name, formally registered in London as a resistance group.

The group soon formed connections with other resistant groups: first le Front national, then Résistance, led by Dr. Renet (Jacques Destrée). Les Volontaires de Liberté were not isolated. However, at the beginning of 1943, when Lusseyran met Philippe Viannay, he did not know of the existence of Défense de la France. When a source of dissent began to develop within Les Volontaires de Liberté about what course of action to take, Lusseyran began to direct his followers toward Défense de la France. Teams were organized to distribute the newspaper throughout numerous regions in the Northern Zone – the printing of Défense de la France augmented rapidly, reaching 300,000 copies with the issue on July 14, 1943 for which Lusseyran had written an editorial. Following his eviction from his exams for entrance into the ENS, Lusseyran devoted the entirety of his time to the Resistance. Though he could not take an active part on the ground, he was responsible for the direction of all distribution of the newspaper as well as the false documents that were made by the movement, a service that was particularly useful for those threatened by the STO. At the same time, Jacques Lusseyran was integrated into the movement's Directorial Committee and to the Editorial Committee of the newspaper. Lusseyran was arrested at his home on July 20, 1943 as he was among a mass of arrests following the betrayal by someone within the movement. Under interrogations by the Gestapo, Lusseyran used his formidable knowledge of the German language to avoid telling the Germans anything that they did not already know. He confirmed information that the Germans had, but avoided sharing anything new.

Following his interrogations, he was imprisoned at Fresnes. The intervention of the principal at Louis-le-Grand in his favor did nothing to help his situation. He was deported on January 22, 1944 to Buchenwald after a short period at the camp in Compiègne. Matriculated 41978, he found himself in the disabled block of the camp, where he soon filled a very useful role as an interpreter. Lusseyran managed to survive despite falling victim to dysentery and pleurisy. Upon his return from his deportation, he married Jacqueline Pardon, Philippe Viannay's secretary while in hiding. Jacques Lusseyran could still not integrate himself into the world of teaching in France. He spent some time as a professor and lecturer at the Secular Mission of Thessaloniki, working for the French Alliance in Paris, before finally succeeding in finding a fixed job in the United States at the University of Cleveland. He died during a stay in France in an automobile accident.

The originality of his memories which, in the first edition in 1953, finished with his transfer to Fresnes, were focused mainly on the torments and interrogations he suffered as a young man of 18 years-old in 1942. His resistant activities were not neglected, but put into context, combined with scholastic pursuits, the discovery of love and sexuality, and the importance of friendship.


Source: National Archives, 72 AJ50 (accounts of Jacques Richet and Jacques Lusseyran); 72 AJ81 (files of the Volontaires de la Liberté); F 17 13385 (intervention by the headmaster of Louis-le-Grand in support of Jacques Lusseyran after his arrest). Jacques Lusseyran, and the light was, Paris, The Round Table, 1953. Biographical account edited by Jacqueline Pardon in Elles et Eux de la Résistance. Pourquoi leur engagement, texts presented by Caroline Langlois and Michel Reynaud, Paris, Tirésias, 2003.


Traduction : Matthias R. Maier


Auteur : Cécile Hochard (fiche rédigée dans le cadre du dvd-rom La Résistance en Ile-de-France, édition AERI, 2004)

Author: Cécile Hochard