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Procès-verbal d’audition de Joseph Schivo, 31 août 1945

Genre : Image

Type : Procès-verbal

Source : © Document conservé aux Archives nationales (Paris), cote : 3W140-2, pièce n°258 Droits réservés

Détails techniques :

Document papier (recto-verso).

Lieu : France - Nouvelle-Aquitaine (Aquitaine) - Lot-et-Garonne - Villeneuve-sur-Lot

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Analyse média

Ce procès-verbal d’audition de Joseph Schivo, ex-directeur de la maison centrale d’Eysses, détenu à ce moment-là à la maison d’arrêt d’Agen, se fait dans le cadre de la préparation du procès de Joseph Darnand. Fondateur et dirigeant de la Milice française, secrétaire-général au Maintien de l’ordre en décembre 1943 puis secrétaire d’état à l’intérieur au printemps 1944, Joseph Darnand est jugé et condamné à mort le 3 octobre 1945 puis fusillé le 10 octobre suivant. Il s’était rendu en personne à Eysses à la suite de l’insurrection du 19 février 1944 et avait exigé que cinquante otages soient exécutés. Le témoignage de Schivo est recueilli le 31 août 1945 par Jacques Vergnes, juge d’instruction de la cour de justice de Lot-et-Garonne, assisté de Léon Parat, greffier. Dans cette audition, Schivo fait porter l’entière responsabilité de la convocation de la cour martiale à Eysses et des exécutions du 23 février 1944. Le document original étant très abîmé sur la droite, certains mots sont manquants et nous avons donc essayé de reconstituer le texte en plaçant ces mots manquants entre crochets.

Retranscription :
"Quels ont été les ordres donnés par Darnand suite à la mutinerie d’Eysses ?
La mutinerie a eu lieu le 19 février 1944 vers 15
[heures. Les] mutins se sont rendus le 20 février vers 3h du ma[tin]. Darnand est arrivé de Vichy ce jour-là vers 13h [suite à] un coup de téléphone envoyé par ma femme à l’[hôtel] thermal à Vichy. Dès son arrivée, je lui ai fait [sur un] plan de la prison l’exposé en présence [du] sous-directeur du service pénitentiaire, de [l’intendant] Hornus et je crois du Préfet de Lot-et-Garonne… Au cours de cet exposé l’intendant Hornus fit [indiquer] à Darnand qu’au moment de la reddition, [j’avais] donné ma parole qu’aucune mesure de [représailles] ne serait prise à l’encontre des détenus. Il me dit : « Je m’en fous, vous n’aviez pas à prendre [des] engagements dont d’ailleurs je ne tiens aucun [compte] du fait que les détenus n’ont pas remis toutes [les armes] qu’ils possédaient. Votre parole ne m’enga[ge pas]. » Je ne me souviens pas des ordres qu’a pu [donner] Darnand après ses paroles. J’estime que c’est lui [qui] à ce moment là a pris les décisions nécessaires, [d’ailleurs] nul autre que lui n’avait qualité pour le faire.
En ce qui concerne la constitution de la cour martiale, j’ai l’impression que la décision de la réunir avait été prise par Darnand avant même son arrivée à la centrale d’Eysses. Peu après l’exposé de l’émeute dont je vous ai parlé, Darnand est parti avec M. de Péricot, chef de la milice du Lot-et6garonne, chez qui il a dîné et couché. Il ne m’a pas donné d’instructions à son départ ni à personne autour de moi. Il est revenu le lendemain passer en revue les escadrons de la garde et le personnel surveillant, puis il est reparti.
(…)
J’ajoute qu’après le départ de Darnand, c’est l’intendant Hornus qui s’est occupé des détails matériels, de l’organisation de la cour martiale et de l’exécution des détenus."


Auteur : Fabrice Bourrée

Contexte historique

Le 19 février 1944, Eysses est le théâtre d'une ambitieuse tentative d'évasion collective. Après plusieurs heures de combat et face aux menaces des autorités allemandes de bombarder la centrale, l'état-major du bataillon d'Eysses décide de déposer les armes le 20 février à 5 heures.

Se trouvant à Vichy, Joseph Darnand, secrétaire général au maintien de l'ordre, est avertis dans la nuit de cette situation exceptionnelle. Il se rend d'urgence à Eysses, où il arrive dans l'après-midi du 20 février. Il dirige alors en personne la répression, donnant l'ordre de renforcer la garde extérieure et d'introduire des forces de police dans la centrale, ce afin d'organiser une fouille générale des locaux et des détenus. Il repart pour Vichy le lundi 21 février dans la matinée, après avoir exigé « cinquante têtes ». L'enquête menée par les brigades mobiles de Limoges et de Toulouse permet de désigner les prétendus meneurs de la mutinerie. Les détenus sont tous rassemblés dans les préaux, ceux qui sont désignés sont mis à l'écart et conduits au quartier cellulaire.

Seize personnes sont immédiatement mises en cause - « comme meneurs actifs et armés de la mutinerie » :
Auzias Henri, avec neuf témoins à charge, dont trois l'ayant vu porteur d'un revolver, les autres « donner des ordres et parlementer au téléphone ».
Stern Joseph, vu armé d'une mitraillette par quatre surveillants.
Bernard François, mis en cause, en tant que « chef à qui les autres détenus demandaient des instructions » par le directeur et son garde du corps, et en tant que blessé.
Chauvet Jean et Brun Roger mis en cause par le premier surveillant.
Dupin, qui affirme les avoir vus participer à la mutinerie avec une arme.
Sero Jaime, Marqui Alexandre, Sarvisse Félicien et Serveto Bertran, tous les quatre blessés, le dernier par une grenade. Parmi eux, seul Serveto reconnaît avoir transporté des matelas pour attaquer le mirador, les autres nient toute participation active.
Vigne Jean, Guiral Louis et Pelouze Gabriel, tous trois mis en cause par le détenu L., Vigne et Pelouze : pour avoir commandé l'attaque du mirador, le dernier donnant des ordres et Guiral pour avoir défoncé le plafond de la lingerie et jeté des grenades sur le mirador.
Canet Jean, légèrement blessé au bras.
Fieschi Pascal, accusé par le surveillant-chef d'avoir agressé le directeur.
Brinetti Henri, accusé par le surveillant-chef d'être l'agresseur de l'inspecteur et, par un surveillant, de l'avoir menacé d'un revolver.

Seuls deux des principaux responsables, Auzias et Bernard, sont donc mis en cause. Le seul détenu « dénonciateur », est un blessé : L. Lucien, qui, sans doute dans l'espoir de voir sa vie épargnée, se déclare immédiatement disposé à raconter tout ce qu'il sait sur les événements du 19 février. Parmi les mille deux cents détenus interrogés, c'est le seul qui parlera, et ses déclarations seront lourdes de conséquences... Le mercredi 23 février, à quatre heures du matin, la cour martiale se réunit pour l'examen de quatorze procès-verbaux, parmi les seize initialement choisis. Deux détenus échappent donc de justesse à la cour martiale : le dénonciateur en contrepartie de ses révélations et Brinetti, mis hors de cause par l'inspecteur qui ne reconnaît pas en lui l'homme désigné comme son agresseur. Notons que Pascal Fieschi, accusé d'avoir capturé le directeur, est lui amené à comparaître car il a été formellement reconnu par ce dernier comme étant son assaillant. Les témoignages recueillis auprès du personnel sont donc déterminants. Les procès-verbaux sont remis à la cour martiale qui délibère à huis clos. Douze détenus sur quatorze sont condamnés à mort, les deux autres, Fieschi et Canet devant être présentés devant le procureur de la République afin d'être poursuivis par la section spéciale de la cour d'appel. A dix heures, le président de la cour martiale, assisté de deux juges, a déjà lu la sentence aux condamnés, qui sont passés par les armes à onze heures. Six heures au plus se sont donc écoulées entre la remise des procès-verbaux à la cour martiale (une quarantaine avec ceux des accusateurs) et l'exécution de la sentence, sans aucune défense ni plaidoirie. Outre les deux « rescapés » de la cour martiale, Canet et Fieschi, dix-neuf autres dossiers doivent être soumis à la section spéciale. Les détenus visés sont tous suspectés, soit d'avoir participé activement à la mutinerie (sept détenus), soit d'avoir joué un rôle dans l'organisation clandestine des prisonniers (douze détenus). Au total, vingt et un dossiers sont renvoyés devant la section spéciale d'Agen ; ces hommes sont envoyés au quartier cellulaire avec une trentaine d'autres détenus contre lesquels aucune charge particulière n'est retenue, mais qui ont été mis de côté lors de la sélection du 20 février, soit en raison de leur insubordination, soit après avoir été désignés par le personnel. Le quartier cellulaire devient alors pour les détenus et la Résistance extérieure le « quartier des otages ». Trente six détenus du quartier cellulaire seront transférés vers la prison de Blois le 18 mai avant de rejoindre Compiègne pour être déportés. Les autres sont livrés aux autorités allemandes le 30 mai 1944.


D'après l'ouvrage de Corinne Jaladieu, La prison politique sous Vichy. L'exemple des centrales d'Eysses et de Rennes, L'Harmattan, 2007.