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Note de Legrand à Pons le 22 juillet 1944

Légende :

Ordres de manœuvres de Legrand (de Lassus Saint-Geniès), au capitaine Paul Pons.

Genre : Image

Type : Note de la Résistance

Source : © Archives Albert Fié, fonds de la compagnie Pons Droits réservés

Détails techniques :

Manuscrit, recto verso, écrit au crayon sur feuille de papier 12 x 21 cm.

Date document : 22 juillet 1944, 23 heures

Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Drôme

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Analyse média

Le document comporte deux parties essentielles : un tableau de la situation et les mesures nécessaires pour y faire face.

Le texte a été rédigé à 23 heures, le 22 juillet 1944. Il ne porte pas d'en-tête comme sur de nombreuses notes précédentes de Legrand. Son lieu d'origine, le PC, n'est pas marqué. Seul l'abréviation du grade de Legrand apparaît. Le feuillet devait être plié en huit, l'adresse étant Cne Pons par lt Julien – Uegent – attendre réponse.

La structure du texte comporte deux parties. La seconde est subdivisée en quatre paragraphes. Legrand dresse d'abord un tableau de la situation telle qu'il la connaît au moment où il écrit. La route nationale 93, voie méridionale d'accès au massif du Vercors, est libre. Les Allemands peuvent donc l'emprunter. La cause en est le retrait d'Alain de Pontaix et l'abandon du col de Cabre. Devant cet état de fait, Legrand demande à Pons de prendre de nouvelles mesures. Il ignore ce que Pons a pu lui écrire.

Legrand définit le secteur géographique qu'il confie à Pons. Il précise les points d'appui à tenir avec les effectifs des groupes. Pons doit aussi reprendre contact avec les unités voisines. Tous ces ordres ont pour but de continuer à surveiller et à intervenir sur la nationale 93 pour entraver le mouvement des troupes allemandes. Legrand revient, pour terminer, sur les relations avec Alain. Ce dernier ne doit pas imposer ses ordres à Pons. Les deux dernières phrases traduisent le constat d'une absence de liaison entre les chefs d'unité. Pour encourager Pons, Legrand complimente ses hommes qui se sont bien battu.


Auteur : Alain Coustaury

Contexte historique

Le 21 juillet 1944, l'attaque générale du Vercors est déclenchée par l'armée allemande. La nationale 93 qui longe la rivière Drôme permet l'accès au flanc méridional du massif. Elle est donc très importante et devient un enjeu militaire de premier ordre. C'est ce qui apparaît dans ce message empreint de beaucoup d'inquiétude et d'un certain désarroi.

Le 22 juillet la situation militaire est déjà fortement compromise pour la Résistance drômoise. Le massif du Vercors est attaqué de partout. Vassieux-en-Vercors a subi un assaut aéroporté. Sur la route nationale 93, la Résistance a établi des barrages qui n'ont pu que ralentir momentanément l'avance des troupes allemandes qui veulent accéder au Vercors par le col de Rousset. Le 21 juillet, les accrochages à Aouste-sur-Sye, aux Grands Chenaux, à Saillans, à Espenel ont mis en évidence le courage mais aussi les limites des Résistants. Ils n'ont pu arrêter une armée entraînée, bien armée, soutenue par une aviation omniprésente. Les groupes de Résistants ont éclaté, se sont dispersés et éparpillés dans les montagnes de part et d'autre de la vallée. C'est dans ce contexte que le commandant de Lassus-Saint-Geniès (« Legrand ») essaie de rameuter ses troupes et de leur fixer de nouveaux objectifs, soulignant que le harcèlement sur la route nationale 93 est toujours un objectif prioritaire. Même si l'on sent beaucoup d'inquiétude et une amertume certaine chez Legrand, son écrit traduit une volonté de maîtriser la situation et de continuer le combat.

À l'heure tardive où Legrand écrit le message, à cause du repli du barrage de Pontaix et des défenses du col de Cabre, à l'est, la voie est libre pour les Allemands. Legrand cache par un coup de crayon « sans ordre » puis reprend « contrairement à mes ordres ». Cette formulation exprime une désapprobation vis-à-vis de l'action d'Alain. Le repli du barrage de Pontaix sera considéré, quelques jours plus tard, comme un abandon. Il contribuera à l'aggravation des relations entre Alain et ses supérieurs, aboutissant à sa mise aux arrêts.

Pour l'instant, même s'il n'a pas connaissance du message de Pons, même si la situation est alarmante, Legrand donne une série d'ordres. Il souligne, pour bien traduire sa volonté, le titre de la seconde partie.

Il délimite la zone qui doit être tenue par la compagnie Pons. Elle s'étend depuis Vérone (Véronne) jusqu'à la butte de Saint-Genix (But Saint-Genix, 1 643 m) c'est-à-dire sur une dizaine de kilomètres du nord au sud et de l'est à l'ouest. Le secteur est donc vaste pour être tenu par une seule compagnie. Quelques points forts sont à défendre. Ce sont soit des défilés avec tunnel, comme au passage des Tourettes sur la Sure, soit des cols. Les Tourettes sont déjà contrôlées par 30 hommes. Les cols doivent être immédiatement tenus par une cinquantaine d'hommes. On peut remarquer la faiblesse des effectifs pour défendre des sites difficiles, d'autant que l'armement des Résistants est insuffisant.

Legrand demande ensuite à Pons de rétablir le contact avec une autre unité pour coordonner l'action de harcèlement sur la RN 93. C'est la seconde fois que l'auteur évoque la question des liaisons. Elles sont difficiles car les combats du 21 les ont désorganisées. Les ordres étaient portés, depuis le PC, par estafettes à vélo, moto mais aussi à pied. Les communications téléphoniques n'existaient plus. On peut généraliser cette situation à toute la Résistance drômoise, notamment dans le Vercors où l'ordre de dispersion, donné le 23 juillet, demandait aux unités de se cacher dans la forêt pratiquement sans relation entre elles.

Une nouvelle évocation d'Alain parle de décrochage prématuré. Legrand précise à Pons de ne pas suivre les ordres d'Alain au cas où il en aurait reçus, notamment celui de faire passer la compagnie au sud de la rivière Drôme. L'insistance de Legrand sur les relations possibles avec Alain exprime une mise en garde et une irritation cachée.

Malgré toutes ces difficultés, il est demandé de poursuivre le harcèlement de l'ennemi sur la RN 93. La volonté de relancer le combat est bien signifiée par Legrand à un moment où des hommes hésitaient à prolonger la lutte.

La conclusion de la note est un hommage aux hommes de Pons qui, pour de Lassus Saint-Geniès, ont fait preuve de combativité. C'est une façon, comme une autre, de remonter le moral des combattants.

Cette note de Legrand est riche d'enseignements : désorganisation des unités à la suite des accrochages, manque de liaisons entre elles, ignorance du commandant mis devant le fait accompli du repli de certains groupes, alimentation et aggravation d'un contentieux entre deux chefs. Ce qui se passe, le 22 juillet, dans le secteur d'action de la compagnie Pons peut être généralisé à une grande partie de la Résistance drômoise.


Auteur : Alain Coustaury
Sources : Albert Fié, Mémoire d'un vieil homme, Archives compagnie Paul Pons.