Note secrète du commandant de Lassus Saint-Geniès

Légende :

Note secrète du commandant de Lassus Saint-Geniès aux chefs d’unités résistantes de la Drôme, du 14 juillet 1944

Genre : Image

Type : Note dactylographiée

Source : © AERD, fonds Albert Fié, Mémoire d'un vieil homme, archives Pons Droits réservés

Détails techniques :

Texte dactylographié sur papier pelure ; dimensions 13,5 x 21 cm.

Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Drôme

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Analyse média

Cette note secrète du commandant des FFI (Forces françaises de l'intérieur) de la Drôme est destinée aux chefs d'unités afin de préparer des manœuvres.

Le document est d'une qualité d'impression moyenne ; de nombreuses fautes de frappe témoignent d'une certaine précipitation. Il émane de Jean-Pierre de Lassus Saint-Geniès (« Legrand ») dont le PC est situé, quartier des Maillets, à l'Escoulin. Il précise les mesures à prendre pour bloquer l'accès méridional du Vercors. Une route, la nationale 93, la voie ferrée Livron – Veynes sont les deux axes à bloquer. Les unités engagées sont citées ainsi que leur secteur d'activité. Elles sont fortes de 3 bataillons comprenant au total moins de 1 000 hommes. Pour faire face à une attaque de blindés, la Résistance dispose de 2 armes antichars, sûrement des bazookas. Pressentant une insuffisance en hommes, "Legrand" prévoit de faire appel à des renforts provenant du massif du Vercors.
En conclusion, "Legrand" réclame le plus grand secret ; seuls les chefs d'unité doivent connaître cette note.


Auteurs : Alain Coustaury
Sources : Albert Fié, Mémoire d'un vieil homme, archives Paul Pons

Contexte historique

Dans une note secrète, le 14 juillet 1944, pressentant une attaque allemande, le commandant des FFI de la Drôme prépare ses unités au combat. L'espoir s'estompe d'un prochain débarquement sur les côtes provençales, après celui de Normandie. Les Allemands ont pris la mesure de la puissance militaire du Vercors lors d'accrochages dans le nord du massif.

De Lassus Saint-Geniès Jean Pierre (« Legrand ») essaie de préparer ses troupes à un affrontement qu'il sent très proche. Le titre de sa note, Idée de manœuvre du commandement laisse supposer que "Legrand" est conscient de la situation militaire dans le secteur central de la Drôme. La maîtrise des voies d'accès au flanc sud du Vercors est le souci essentiel du commandant. Le point d'arrêt d'une attaque allemande est fixé au niveau de Saillans, porte occidentale du Diois. Il faut neutraliser la voie ferrée Livron – Veynes en enlevant rails et aiguillages. Pour la route nationale 93, son contrôle nécessite la mise en place d'unités se déployant sur les crêtes dominant la chaussée. Un barrage important sous forme de rails plantés dans la route doit arrêter l'avance allemande provenant de l'ouest, de la vallée du Rhône. La faiblesse de l'armement et des effectifs des résistants est inquiétante. Deux armes antichars semblent dérisoires pour arrêter une colonne disposant de blindés, même légers. On peut estimer que "Legrand" dispose au maximum de 1 000 hommes pour tenir ses positions. L'idée d'appeler des unités du Vercors apparaît peu réaliste, le massif étant lui-même en sous-effectif. Le fait que "Legrand" demande que cette note ne soit connue que des seuls chefs d'unités traduit une certaine inquiétude quant à la réalisation du plan. C'est plus qu'un exercice militaire, un kriegspiel, c'est la prise de conscience d'une situation réelle de la Résistance face à une attaque allemande. D'ailleurs "Legrand", à plusieurs reprises, a envoyé des ordres semblables pour barrer cette vallée de la Drôme en amont de Saillans.

La date de cette note est intéressante. Il est regrettable que l'on ne connaisse pas l'heure de sa composition et de son envoi aux chefs d'unités car, le 14 juillet 1944, des événements importants se déroulent dans la région.

Vers 9 h 30, à Vassieux-en-Vercors, débute un parachutage d'armes et de matériel réalisé par 72 B17 forteresses volantes. Si l'opération est spectaculaire, elle est maladroite et dangereuse car, quelques minutes après le parachutage, le terrain Taille-crayon est bombardé par des avions allemands ayant décollé de l'aérodrome de Valence-Chabeuil. Pendant toute la journée, ils vont gêner la récupération du matériel et détruire, en partie, le village de Vassieux. Le grondement résultant du passage des B 17, de leur escorte, de l'explosion des bombes allemandes est perceptible dans toute la région notamment à L'Escoulin où, quartier des Maillets, se situe le PC de "Legrand". Le parachutage de Vassieux semble signifier que l'aide alliée s'intensifie et que l'espoir d'une arrivée de troupes aéroportées peut se concrétiser. Est-ce que Legrand avait pris connaissance de ce fait quand il a rédigé la note ? On peut le supposer quand on lit la première phrase de la note et son espoir d'une aide du Vercors.

Le deuxième événement de ce 14 juillet 1944 est le défilé militaire prévu à Die pour commémorer la fête nationale. "Legrand" est au courant de cette cérémonie puisque lui-même en est le coordonnateur. Dans une circulaire du 8 juillet, il demande, notamment à "Alain" (Raynaud Pierre) « d'établir un plan très détaillé de la cérémonie ». Le défilé militaire a lieu l'après-midi avec, comme bruit de fond, l'explosion des bombes sur Vassieux. Il a été filmé et on dispose, actuellement, d'une séquence où "Legrand" décore des soldats. Au défilé succède un discours d'Yves Farge (« Grégoire »), Commissaire régional de la République, exhortant la population à combattre. Ce même jour, il prend également un arrêté de réquisition de tous les hommes de 16 à 40 ans, non déjà mobilisés, pour « l'exécution de travaux militaires ou civils urgents ».

C'est dans un contexte extrêmement alarmant, dans l'attente de l'attaque allemande, avec le faible espoir d'une aide des Alliés, que la note de Legrand est envoyée aux chefs du secteur Drôme – centre.

La dernière phrase de la note est prémonitoire. Une semaine après, le 21 juillet, l'attaque générale du Vercors confirme les craintes de "Legrand".


Auteurs : Coustaury Alain
Sources : Albert Fié, Mémoire d'un vieil homme, archives Paul Pons.