Télégramme de Schivo à madame Chauvet, 25 février 1944

Légende :

Télégramme de Joseph Schivo, directeur de la maison centrale d'Eysses, à Virginie Chauvet, mère de Jean Chauvet, 25 février 1944.

Genre : Image

Type : Télégramme

Source : © Archives départementales de Lot-et-Garonne, 1738W53 Droits réservés

Date document : 23 février 1944

Lieu : France - Nouvelle-Aquitaine (Aquitaine) - Lot-et-Garonne - Villeneuve-sur-Lot

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Analyse média

Dans ce télégramme daté du 25 février 1944 à 10h10, Joseph Schivo, directeur de la maison centrale d'Eysses annonce à Virginie Chauvet que son fils Jean est "en bonne santé". Or Jean Chauvet, considéré comme l'un des meneurs de la tentative d'évasion collective du 19 février 1944, a été condamné à mort par une cour martiale et fusillé à Eysses le 23 février.

Viriginie Chauvet fut arrêtée le 10 mars 1941. Considérée comme responsable des agissements de son fils, elle fut tenue au secret à la prison de Nîmes, car une perquisition à son domicile avait fait découvrir une ronéo et un stock de papier. En avril, elle fut mise en liberté provisoire. En novembre 1942, elle fut arrêtée à nouveau et transférée au camp de Brens, près de Gaillac (Tarn). Elle y resta jusqu’au 6 juin 1944, pour être internée dans un camp près d’Oloron-Sainte-Marie (Basses-Pyrénées), d’où elle s’évada le 10 août 1944 pour rejoindre Nîmes. 

Alors internée au camp de Brens, Virgine Chauvet apprend par les journaux l'exécution de douze détenus d'Eysses le 23 février 1944. Elle envoie aussitôt, le 24 février au matin, un télégramme avec réponse payée au directeur de la centrale d'Eysses, Joseph Schivo, pour lui demander des nouvelles de son fils, Jean, qui y est incarcéré depuis le 16 octobre 1943. Le 25 février à 13 heures, la réponse de Shivo tant attendue arrive à madame Chauvet : "Chauvet Jean en bonne santé". Le 7 mars suivant, elle apprend par des parents venus lui rendre visite, la fin tragique de son fils. Eux-mêmes l'ayant appris par le concierge du cimetière de Villeneuve-sur-Lot. 

Ce télégramme sera remis en décembre 1945 à la Cour de justice d'Agen pour être joint à la procédure judiciaire suivie à l'encontre de Joseph Schivo. Selon la déposition de Charles Doray, sous-directeur de la maison centrale d'Eysses, Joseph Schivo a ouvert lui-même le télégramme envoyé par madame Chauvet et répondu en personne. Ces télégrammes ne sont pas mentionnés dans le registre des correspondances de la centrale ni dans celui des vaguemestres. Charles Doray ajoute qu'il est impossible qu'il y ait une confusion de nom de la part du directeur Schivo étant donné qu'aucun autre détenu ne porte le même patronyme. 


Fabrice Bourrée
Sources  :
Archives départementales du Lotet-Garonne, 1738W53.
Marie-Louise Goergen, "Albert Chauvet" pour le Maitron en ligne

Contexte historique

Né à Nîmes le 11 septembre 1921, Jean Chauvet est ouvrier-ajusteur au dépôt des machines à vapeur de Nîmes. Il participe, dès l'adolescence, aux activités militantes de son père, qui vend le journal communiste Le Cri du Gard, cache des Républicains espagnols, et participe au fonctionnement de différentes associations liées au Parti communiste français (PCF). En 1939, Jean Chauvet est fiancé à Eliette Rigon, ouvrière en confection et militante des Jeunesses communistes. Son père, cheminot affecté aux ateliers du PLM (Paris-Lyon-Méditerranée), est arrêté le 5 décembre 1940 et interné administrativement successivement à Eysses, Carrères puis Sisteron d’où il s’échappe le 8 juin 1944 pour rejoindre les rangs de la Résistance. Jean ne supporte pas de voir son père, ancien combattant de la Grande Guerre, jugé « indésirable » par l’Etat français. 

Eliette Rigon, la fiancée de Jean, participe à l'activité clandestine du PCF après sa dissolution et l'arrestation de ses principaux responsables gardois fin 1940. Avec son frère Franck, lui aussi membre des Jeunesses communistes clandestines, elle distribue tracts et journaux pour dénoncer le régime de Vichy. En 1941, elle est chargée, par le Front national de lutte pour la liberté et l'indépendance de la France, de diffuser la presse clandestine sur la région nîmoise et d'aider les militants pourchassés par le régime. Son groupe comprend notamment Jean Chauvet, Henri et Andrée Julien, Odette Gonzalès (arrêtée en avril 1942, Eliette sera condamnée à huit ans de travaux forcés par le tribunal militaire de Marseille, incarcérée aux Baumettes à Marseille, puis à la Centrale de Rennes, d’où elle sera déportée le 6 juin 1944 à Ravensbrück, via le fort de Romainville. Elle sera rapatriée en France en mai 1945). 

Le 10 mars 1941, Jean Chauvet est surpris la nuit par des gardiens de la paix alors qu’il circule sur son vélo sans éclairage et porte une musette remplie de tracts. Il parvient à leur échapper. Mais son adresse est identifiée grâce à la plaque d’identité de la bicyclette. Des perquisitions effectuées à son domicile amènent la découverte de nombreux tracts et journaux. La mère de Jean est alors arrêtée. Jean Chauvet quitte alors Nîmes pour se réfugier en Lozère chez des paysans qu’il connaît pour y avoir passé des vacances. Ces derniers le dénoncent à la police. Il est arrêté le 16 juillet 1941 et conduit à la prison de Pont-de-Montvert puis à celle de Mende le 18 juillet 1941.

Dirigé ensuite sur la maison d'arrêt de Nîmes puis au fort Saint-Nicolas à Marseille, il est jugé par le tribunal militaire spécial de la 15e région, le 4 octobre 1941, et condamné à cinq ans de prison. Conduit à la prison Saint-Pierre de Marseille, il est transféré le 24 décembre 1941 à la maison centrale de Nîmes, où il devient, avec Jean Coin, Henri Auzias, Pierre Doize, un des dirigeants de l'organisation clandestine des détenus. Le 16 octobre 1943, il est transféré avec la quasi-totalité des détenus politiques de la zone Sud à la Centrale d’Eysses où il aura des responsabilités au sein des Jeunesses communistes. Au cours de l’insurrection du 19 février 1944, il est en première ligne mais sa mitraillette s’enraie. Reconnu comme ayant pris part activement aux combats, Chauvet est jugé par une cour martiale réunie à Eysses, condamné à mort et fusillé le 23 février 1944. En novembre 1944, sa dépouille est ramenée à Nîmes pour y être inhumée.


Procès de Joseph Schivo en mars 1946