"Carré du souvenir" du fort de Romainville (Seine-saint-Denis)

Légende :

Plaques du "carré du Souvenir" du fort de Romainville. Il est à noter que cette appellation n'a rien d'officielle contrairement au "carré des fusillés".

Genre : Image

Type : Plaques commémoratives

Producteur : Frantz Malassis

Source : © Collection Frantz Malassis Droits réservés

Détails techniques :

Photographie numérique en couleur

Date document : Novembre 2015

Lieu : France - Ile-de-France - Seine-Saint-Denis - Les Lilas

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Contexte historique

Les prisonniers qui, pendant l'instruction de leur procès, avaient été détenus à la prison de Fresnes, à la Santé ou au Cherche-Midi, étaient incarcérés au fort de Romainville, après leur jugement, ou sur décision de la Gestapo quand celle-ci n'avait pas jugé utile de les renvoyer devant le tribunal.
Le "camp de Romainville", installé dans l'enceinte du fort, et administré d'abord par la Wehrmacht, puis par les SS à partir de juin 1943, recevait différences catégories de détenus et constituait une sorte de "réserve" permanente d'otages. On y puisait chaque fois que l'on décidait de procéder à des exécutions de représailles.
A Romainville, les prisonniers étaient classés, selon les époques, en quatre ou cinq catégories. La première comprenait les privilégiés que l'on pourrait appeler détenus administratifs. On y trouvait peu d'hommes, rarement plus d'une cinquantaine, pour la plupart des personnalités d'une certaine importance arrêtées souvent par mesure de sécurité, signalées comme hostiles aux nazis et contre lesquelles aucune charge n'avait pu être relevée. On prenait parmi eux les bibliothécaires, les employés du secrétariat, les médecins, les cuisiniers. Ils avaient droit à une lettre par semaine et à quelques colis de l'extérieur. Presque tous ceux qui passèrent à Romainville dans ce groupe furent déportés au bout d'un séjour plus ou moins long. La seconde catégorie comprenait des détenus de droit commun arrêtés par les Allemands pour des infractions commises à leur préjudice. On y trouvait même des agents allemands, des auxiliaires de la Gestapo, qui avaient profiter de leur emploi pour escroquer ou voler leurs maîtres. Certains furent récupérés par la justice française, puis jugés et exécutés après la Libération. Peu de ces détenus furent déportés. Leur régime coïncidait à peu près avec celui de la première catégorie. Dans cette classe, on plaçait les enfants de moins de quinze ans. Le troisième groupe se composait de femmes, mères, filles, épouses de détenus politiques ou de militants et résistants recherchés. C'est presque toujours grâce à elle que les nouvelles circulaient dans le camp, ce qui les fit tomber à plusieurs reprises sous le coup de sévères représailles. Les Allemands leur joignirent des détenues de droit commun et des prostituées afin de provoquer une dégradation morale. L'échec fut éclatant. La plupart des détenues politiques furent déportées.
La quatrième catégorie comprenait les détenus politiques au secret ou "isolés". Ceux-ci bénéficiaient d'un régime matériel à peu près identiques à ceux des trois premières catégories : quelques lettres soigneusement contrôlées, quelques colis de la Croix-Rouge, une courte "promenade" quotidienne. Mais c'est parmi eux que pouvaient être prélevés des otages lorsque ceux de la cinquième étaient insuffisants. Un certain nombre d'entre eux furent fusillés, quelques-uns, très rares, furent libérés, les autres déportés.
Ces quatre dernières catégories étaient réparties dans les anciens bâtiments de surface du fort, autrefois à usage de casernes, de bureaux, de magasins.
C'est dans les anciennes casemates et les souterrains du fort que l'on parquait les malheureux de la cinquième catégorie. On ne manquait pas de leur rappeler à toute occasion que l'on viendrait les chercher un jour ou l'autre pour les amener devant un peloton d'exécution. Sous les voûtes suintantes, on les entassait sur un lit de paille jamais renouvelée, dans une obscurité presque complète. Les ouvertures constamment closes, des latrines de fortune trop petites, l'impossibilité de changer de vêtements, l'absence presque complète d'eau qui rendait impossible les soins d'hygiène les plus rudimentaires, faisaient régner une affreuse puanteur dans ces geôles. Cinquante-six prisonniers furent enfermés pendant plusieurs semaines dans une casemate de dix mètres sur huit. L'entassement était la règle générale. L'alimentation était réduite à sa plus simple expression, les correspondances et les colis interdits. C'est en principe dans cette catégorie que les otages étaient prélevés quand une exécution massive était décidée. La plupart de ces détenus étaient condamnés à mort par le tribunal allemand mais on y trouvait également des gens qui n'étaient condamnés qu'à des peines de travaux forcés ou de prison, ou même qui n'avaient jamais comparu devant un tribunal. Mais la Gestapo les avaient classés selon des critères qui lui étaient personnels. Les prisonniers "casematards" avaient presque tous été arrêtés pour activité communiste ou gaulliste.
Sur ce monde de souffrance régnait un personnage courtelinesque, l'un de ces fonctionnaires de la mort que le nazisme enfantait à profusion. Le capitaine Rieckenbach était une sorte de soudard brutal et truculent qui appréciait le séjour en France que lui offrait l'administration et qu'il mettait à profit pour se livrer à une minutieuse étude comparative des alcools que notre pays fabrique avec tant de prodigalité. Vivant dans une demi-ivresse chronique, il pouvait accueillir une tentative d'évasion par une colère effroyable ou une sorte d'intérêt goguenard, selon l'humeur du jour et le niveau des boissons absorbées. Rieckenbach, qui brandissait presque constamment son pistolet, tiraillait à tort et à travers, dans les fenêtres des chambres ou en roulant sur les talus du fort où son ivresse le jetait parfois. Cette manie l'avait fait surnommer "Panpan" par les prisonniers. Les sentinelles redoutaient ses rondes d'inspection, ponctuées de coups de feu, et se tenaient prudemment hors de sa ligne de tir. Une des ses plaisanteries favorites consistait, quand il voulait punir un prisonnier, à le faire amener, les mains liées derrière le dos, sur le talus du fort. Un peloton d'exécution arrivait, s'alignait face au malheureux, le mettait en joue et restait ainsi pendant plusieurs minutes dans l'attente du commandement de tir qui … ne venait pas. Après quoi le prisonnier était reconduit à sa casemate. "Panpan" fut renvoyé après la double évasion de juin 1943. Le vrai maître des prisonniers était déjà le SS-untersturmführer Trapp, dont on disait qu'il avait été marchand de vin en France.
C'est dans la catégorie des "casematards" que fut prise la plus grande partie des otages fusillés, le plus souvent au Mont-Valérien. Ils n'avaient pas tous été arrêtés dans la région parisienne. Bien au contraire, toute affaire d'une certaine importance, quelle que fut la région dans laquelle elle s'était déroulée, provoquait le transfert des détenus à Paris, où le service central de la Gestapo procédait aux interrogatoires et dirigeait l'enquête. C'est ainsi que soixante-dix résistants arrêtés dans le Sud-Ouest en février et mars 1942 par les services français furent d'abord conduits à Paris, pris en charge par la BS2, remis à la Gestapo qui les réclamait et placés à Romainville dans la catégorie des otages à la fin d'août 1942. Pendant l'enquête, sept d'entre eux avaient été libérés. A Romainville, l'un d'eux parvint à s'évader ; les autres furent fusillés ou déportés.


Bibliographie :
Jacques Delarue, Histoire de la Gestapo, Paris, Fayard, 1996.