Arrêté suspendant un gardien de la paix de Marseille de ses fonctions, 12 septembre 1944

Légende :

Arrêté paru au Bulletin officiel du Commissariat régional de la République n° 17, page 104, suspendant un gardien de la paix marseillais de ses fonctions

Genre : Image

Type : Arrêté du CRR

Source : © AD B-d-R - 149 W 68 Droits réservés

Détails techniques :

Document imprimé sur papier pelure.

Date document : 12 septembre 1944

Lieu : France - Provence-Alpes-Côte-d'Azur - Bouches-du-Rhône - Marseille

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Analyse média

Pierre Tissier, Commissaire régional de la République par intérim, suspend par l'arrêté n° 165, un gardien de la paix de la police de Marseille. L'exposé des motifs reprend les ordonnances permettant à Raymond Aubrac de procéder à cette suspension. L'ordonnance du 10 janvier donne pleins pouvoirs aux Commissaires régionaux de la République qui représentent le GPRF et l'État en région. L'ordonnance du 27 juin 1944 organise l'épuration administrative [voir la notice média liée]. Dans chaque administration, un Comité d'épuration procède à l'examen des cas qui lui sont soumis.

L'incrimination montre comment est appliquée l'ordonnance du 27 juin 1944 qui, dans son article premier, permettait de poursuivre les fonctionnaires « qui ont, par leurs actes, leurs écrits ou leur attitude personnelle, depuis le 16 juin 1940 :

1° soit favorisé les entreprises de toute nature de l'ennemi,

2° soit contrarié l'effort de guerre de la France et de ses alliés, notamment par des dénonciations,

3° soit porté atteinte aux institutions constitutionnelles ou aux libertés publiques fondamentales,

4° soit sciemment tiré ou tenté de tirer un bénéfice matériel direct de l'application de règlements de l'autorité de fait contraires aux lois en vigueur le 16 juin 1940. »

Le gardien de la paix ne rentre explicitement dans aucune de ces catégories ; il pourrait, comme tous les fonctionnaires de la période, être visé par les  trois premiers alinéas. C'est son attitude qui lui est reprochée : « Considérant que (….) gardien de la paix au corps urbain de Marseille, s'est fait remarquer depuis le 20 juin 1940 par ses sentiments d'attachement à la politique du gouvernement de Vichy, dont il a servilement exécuté les ordres ».
L'ordonnance du 27 juin 1944 précisait dans son article 3 que la stricte exécution des ordres ne pouvait donner lieu à poursuite pour les fonctionnaires subalternes. En revanche, la manifestation publique et répétée d'une adhésion au régime de Vichy devenait « une participation volontaire à un acte antinational » (article premier, alinéa 1 de l'ordonnance du 26 juin 1944).

L'article 2 est conforme aux dispositions de l'ordonnance du 27 juin 1944 qui prévoit que le fonctionnaire suspendu perçoit la moitié de son traitement et les indemnités pour charges de famille.


Sylvie Orsoni

Contexte historique

Lorsque Pierre Tissier prend cet arrêté, Marseille est libéré depuis à peine quinze jours. Raymond Aubrac a pris ses fonctions de Commissaire régional de la République dès le 24 août 1944, en pleine bataille pour la libération de Marseille. Il a apporté toutes les ordonnances du GPRF qu'il fait publier dans un bulletin officiel du Commissariat régional de la République afin de montrer que ses décisions ont une base légale. Lorsque Raymond Aubrac est en déplacement, il confie l'intérim à Pierre Tissier, conseiller d'État, proche collaborateur du général de Gaulle.

Réclamée par la population, l'épuration administrative constituait l'une des priorités du GPRF. La police était tout particulièrement visée, car elle avait participé à la répression de la Résistance et aux rafles de juifs. Robert Mencherini dans son ouvrage La Libération et les années tricolores (1944-1947) montre que les fonctionnaires de police arrivent en tête dans les arrêtés de suspension publiés au bulletin officiel du CRR pour la période septembre-octobre 1944. Il s'agissait de redonner confiance en une administration largement discréditée si l'on voulait maîtriser l'épuration extrajudiciaire et restaurer l'autorité de l'État.
Pierre Guiral avance le chiffre de 116 suspensions de policiers sur un total de 378.
Henry Rousso, en reprenant l'étude de François Rouquet, considère qu'il faut prendre avec prudence les évaluations nationales de l'épuration administrative qui ont été sous-évaluées. Il faut, pour obtenir des chiffres plus fiables, croiser les sanctions administratives avec les sanctions pénales prononcées par les cours de justice et les chambres civiques puisqu'elles ne s'excluaient pas.


Auteur : Sylvie Orsoni

Sources :

Pierre Guiral, La Libération de Marseille, Paris, Hachette littérature, 1974, p. 141.

Robert Mencherini, La Libération et les années Tricolores (1944-1947). Midi rouge, ombres et lumières, tome 4, Paris, Syllepse, 2014.

François Rouquet, L'épuration dans l'administration française, Paris, CNRS, 1993, rééd.

Henry Rousso, « L'épuration en France, une histoire inachevée », in Vingtième siècle, PFNSP, n° 33, 1992, pp. 78-105.

Anne Simonin, Le déshonneur dans la République. Une histoire de l'indignité. 1791-1958, Paris, Grasset, 2008.