Fiche de prisonnier de guerre de Marcel Gléhen

Légende :

Personalkarten ou PK, carte de prisonnier de guerre du Finistérien Marcel Gléhen, août 1940

Genre : Image

Type : Fiche de détention

Source : © Collection Nelly Masseron et Danielle Tréhin Droits réservés

Détails techniques :

Photographie numérique en couleur. Dimensions de la carte : 20,7 x 14,8 cm. Voir aussi l'album photo lié.

Date document : Août 1940

Lieu : Allemagne - Hesse - Darmstad - Bad Orb

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Analyse média

Cette carte de prisonnier de guerre (Kriegsgefangener – KG) de la Seconde Guerre mondiale, établie au nom de Marcel Gléhen, est semblable à celles délivrées aux centaines de milliers de soldats français contraints à une longue captivité en Allemagne, à l’issue de la défaite de l’armée française, lors de la bataille de France de mai-juin 1940. Les clauses de l’armistice du 22 juin 1940 imposent en effet qu’1,6 million de soldats français soient transportés en Allemagne, dans des camps appelés les Stalags - ou Stammlager  - et, pour les officiers, les Oflags - Offizier-Lager – et y demeurent jusqu’à la fin du conflit.

Le Service d’information de la Wehrmacht (armée allemande) établit alors une fiche individuelle pour chaque prisonnier. La Personalkarte I, comportant une photo, apporte des informations très précises sur l’état-civil du prisonnier (son nom : Gléhen, son prénom : Marcel, sa date et son lieu de naissance : 22 novembre 1916 à Plomeur, dans le Finistère). Elle indique aussi la religion du captif (catholique en l’occurrence ici) ou des éléments de description personnelle (Personalbeschreibung), tels que sa taille (1,68 m.) et la couleur de ses cheveux, ainsi que le prénom de son père (Louis) et le nom de jeune fille de sa mère (Guiziou). Sa nationalité (française) figure également sur cette carte, tout comme une autre précision, plus étonnante, puisque l’on apprend, dans la rubrique réservée à la nationalité, qu’il est aussi breton.

Sa situation militaire est également notifiée : au moment de son arrestation, il détenait le grade de caporal (Gefreiter), au sein de la 10e compagnie du 65e régiment d’infanterie. Fait prisonnier à Boulogne le 25 mai 1940 et blessé (verwundet) au combat, il a été envoyé dans le camp de Wegscheide, le Stalag IXB, à l’est de Francfort-sur-le-Main, sous le numéro de matricule 463. Il est susceptible de travailler dans un kommando, en tant que charpentier (Zimmermann), puisque sa profession est également renseignée sur cette PK I.

L’adresse de son père, la personne à informer, figure aussi en bas à droite de la carte (rue de la gare à Guilvinec).


Delphine Le Floc'h

Contexte historique

Marcel Gléhen, né le 21 novembre 1916 à Plomeur, débute son service militaire le 20 octobre 1937. Lorsque la guerre est déclarée, le 1er septembre 1939, il est mobilisé et participe à la débâcle de l’armée française. À partir du 10 mai 1940, le jeune caporal doit se replier sur Dunkerque, avec ses camarades de la 10e compagnie du 65e régiment d’infanterie de Vannes. Il est alors blessé près de Boulogne-sur-mer, le 22 mai 1940, une balle logée dans le bras gauche et trois éclats d’obus dans la cuisse. Son talon a aussi été arraché par une balle. Durant son hospitalisation, le 25 mai 1940, il devient officiellement prisonnier de guerre. Après avoir été soigné, il est envoyé en captivité en Allemagne.

Il parvient d’abord en Prusse orientale dans le Stalag I B à Königsberg, avant d’être transféré au Stalag IX B de Bad-Orb (Wegscheide), à l’est de Francfort-sur-le-Main, en compagnie d’autres Bretons. Il y retrouve une de ses connaissances du Guilvinec, Marcel Boennec. Plus de 25 000 prisonniers de guerre, notamment des Français et des Soviétiques, sont passés par ce Stammlager. Le numéro de matricule 463 est alors affecté dans un Kommando agricole à Oberursel, au nord de Francfort, pour travailler dans une ferme, celle de Théobald Haag. Le Kriegsgefangener est ensuite transporté dans un autre Kommando, un peu plus au sud (le 399 d’Offenbach-sur-le-Main), une usine de menuiserie, où les conditions sont beaucoup plus difficiles et dans lequel il reste du 7 décembre 1940 au 15 mars 1941. Accusé de sabotage, il est enfermé pendant 21 jours dans une cellule disciplinaire.

C’est là qu’il décide de s’évader avec Louis, un camarade brestois. Leur tentative dure près d’un mois (« 29 jours dans la nature », selon les notes de Marcel). Ce dernier atteint presque son objectif puisqu’il parvient à traverser le pont du Rhin et atteindre Strasbourg, qui, comme l’ensemble de l’Alsace et de la Moselle, a été annexé par le Reich. De là, il aspire à rejoindre le général de Gaulle à Londres mais il est repéré et dénoncé par un garde-forestier, ce qui lui vaut un retour en Allemagne, à nouveau dans le Stalag IX B d’Offenbach, pour vingt-cinq jours de cellule disciplinaire. Puis il connaît un transfert vers un autre Kommando où il reste jusqu’au 9 septembre 1942 à travailler dans une usine d’armement. Mais le 10 septembre, il essaie à nouveau de s’évader, via Francfort où, avec un compagnon, il monte dans un train qui vient de décharger des galets en provenance de… Tréguennec, petite commune située dans son Pays bigouden natal. C’est là que l’organisation Todt a fait construire une usine de concassage des galets prélevés sur l’Ero Vili (le cordon de la baie d’Audierne). Mais les deux évadés sont découverts à la frontière et arrêtés.

Le jeune Plomeurois, après vingt-cinq nouveaux jours de cellule disciplinaire, va connaître le terrible sort réservé aux récidivistes de l’évasion : le camp de représailles de Rawa-Ruska, le Stalag 325, « le camp de la goutte d’eau et de la mort lente », selon les mots de Winston Churchill. Situé dans le triangle de la mort, constitué par les camps d’extermination de Treblinka, Chelmno, Sobibor, Belzec et surtout Auschwitz, ce Stalag s’apparente, par ses conditions inhumaines, à un véritable camp de concentration. De là, il est transféré vers le Kommando d’Oberleutensdorff en Bohême (Usine Hermann-Göring), où il se livre à nouveau à quelques judicieuses actions de sabotage. Malgré l’épuisement et l’affaiblissement physique, le Bigouden à forte tête se lance alors dans sa troisième tentative d’évasion, en compagnie de quatorze autres camarades. Mais ils sont repris à Nuremberg.

Retour à la case départ pour lui et à un nouveau séjour en cellule. Au sein de ce bataillon disciplinaire – le bataillon 29 - il se porte volontaire pour œuvrer en tant que vitrier. Il est ainsi envoyé à Stuttgart puis à Hambourg. C’est là qu’il connaît enfin la joie de la libération, après 1 808 jours de captivité. Sans attendre le rapatriement, il décide, avec des camarades, de rejoindre la France par ses propres moyens, en volant un camion militaire. Il rentre enfin au Pays Bigouden, le 31 mai 1945, et n’a désormais plus besoin de cette carte de prisonnier, qui l’a accompagné, à travers l’Europe, durant près de cinq ans.


AuteurDelphine Le Floc'h

Sources :

Entretiens avec Nelly Masseron (fille de Marcel Gléhen) – janvier - septembre 2017.

Nelly Gléhen-Masseron, fascicule « Marcel Gléhen, mon père – un enfant de Plomeur pris dans la tourmente de la guerre, prisonnier de guerre 5 ans en Allemagne, Récit de 10 ans de vie (1937-1947) », archives privées non publiées.

Pierre-Jean Berrou, « La Résistance – la Libération au Guilvinec-Léchiagat », n° 11, Ar Gelveneg (bulletin municipal), 1996 (https://bigouden1944.wordpress.com/tag/glehen-marcel).

Fiche matricule de Marcel Gléhen.

Témoignages écrits de Marcel Gléhen.

Site Internet Prisonniers de guerre, consulté le 13 septembre 2017.

Site Internet Wikipedia, article Stalag IX B, consulté le 16 juin 2017.