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Trois chefs miliciens devant la cour de justice de Marseille, février 1946

Légende :

Article intitulé "Les chefs miliciens Durupt, Gérin père et fils répondent de leurs forfaits", paru en première page de La Marseillaise, édition du 19 février 1946

Genre : Image

Type : Article

Source : © AD des B.-d.-R. PHI 419 3 Droits réservés

Détails techniques :

Documents imprimés sur papier journal (voir recto-verso ainsi que l'album photo lié).

Date document : 19 février 1946

Lieu : France - Provence-Alpes-Côte-d'Azur - Bouches-du-Rhône - Marseille

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Analyse média

Depuis l'instauration de la cour de justice spéciale chargée de juger les crimes de collaboration, la presse informe régulièrement ses lecteurs des procès de l'épuration. La comparution à partir du 18 février des chefs miliciens Henri Durupt, Louis Gérin et son fils Guy est suivie au jour le jour par les quotidiens marseillais comme ici La Marseillaise, journal du Front national de Libération.

L'article paru le 19 février 1946 rend compte  de l'audience du 18 février.

Après une brève introduction nommant les accusés, le magistrat chargé de présider les audiences et le commissaire du gouvernement représentant l'accusation, l'article se découpe en trois parties identifiées par des sous-titres en gras : l'interrogatoire, l'audience de l'après-midi, l'audition des témoins. L'article ne fait pas grand cas de la présomption d'innocence. Le milicien Durupt est désigné comme « le traître » ; Henri Gérin, dit le « shérif » comme « le sinistre inventeur du coup de ceinturon », ou plus nettement comme « le tortionnaire ».  L'article résume très rapidement les débats et  le système de défense des  accusés : « Durupt invoque alors avec cynismela politique du double jeu », « le tortionnaire [Louis Gérin] prétend qu'il a des absences de mémoire. Néanmoins, son système de défense se précise : il niera tout ce qui lui est reproché. ». Ce refus de reconnaître les faits et de faire amende honorable est porté au débit des prévenus. Des témoignages, il est retenu leur caractère accablant pour les accusés. L'article se conclut en annonçant les réquisitoires et plaidoiries.

Le caractère très synthétique de l'article ne signifie pas que le quotidien de Front national considère le procès de ces chefs miliciens comme une cause mineure. Dans les jours qui suivent, La Marseillaise accorde une large place au réquisitoire du commissaire du gouvernement et illustre l'article d'une photo des trois accusés (La Marseillaise, 20 février 1946). Le 21 février, le quotidien rend compte du verdict condamnant les trois prévenus à la peine capitale et insiste sur les réactions favorables du public. La sécheresse du compte rendu du 19 février reflète plutôt le refus d'accorder à des accusés jugés moralement méprisables une tribune.


Sylvie Orsoni

Contexte historique

Depuis le 8 septembre 1944, la cour spéciale de justice de Marseille juge les crimes de collaboration. Dans un premier temps, la presse rend compte de toutes les audiences puis se concentre sur les procès les plus importants. La comparution, à partir du 18 février 1946, des miliciens Henri Durupt, Louis et Guy Gérin est largement traitée par les quotidiens marseillais. Henri Durupt a dirigé, avec le titre de « chef de la cohorte extérieure de la Milice », les miliciens qui ont opéré dans toute la région à partir du lycée Thiers, devenu depuis le 6 juin 1944 lieu de casernement et d'interrogatoire. Louis Gérin, assisté de son fils Guy, l'a activement secondé. Il fut affecté au deuxième service de la Milice, chargé des enquêtes et des interrogatoires. Entre juin et août 1944, les miliciens du lycée Thiers sont signalés dans les Bouches-du-Rhône, le Haut-Var et le Lubéron.
Les témoignages recueillis lors de l'instruction (Archives départementales des Bouches-du-Rhône, 55 W 118) révèlent que Durupt et Gérin père et fils pratiquent tortures et extorsion de fonds [voir l'album-témoignage de la résistante Hélène Cogoluegnes]. Dans l'exposé clôturant l'instruction, le commissaire du gouvernement relève l'implication de Durupt dans des actions contre des maquisards à Aups, Lourmarin, Cucuron, Vallabrègues, Boulbon. Durupt participe à la torture et l'exécution de résistants. Aussi, lorsque la Libération se fait proche, les trois accusés jugent plus prudent de gagner l'Allemagne. Ils reviennent en France lorsque l'avancée des troupes alliées rend leur présence en Allemagne suspecte. Louis Gérin est arrêté à Saint-Chamas. Henri Durupt et sa femme, également milicienne, se glissent dans un convoi de rapatriés du STO. Ils sont arrêtés à Sarthenay (Ain). La justice joint dans la même instruction les cas de Durupt et de Gérin père et fils. Le procès dure du 18 au 20 février 1946 et se solde par une triple condamnation à mort. La cour de cassation d'Aix rejette le pourvoi des condamnés le 16 mars. Le 8 mai 1946, le ministre de la Justice informe le commissaire du gouvernement que le président du Gouvernement provisoire de la République française a rejeté le recours en grâce d’Henri Durupt et Louis Gérin, qui sont fusillés sur le pas de tir de Malmousque. Guy Gérin voit sa condamnation à mort commuée en travaux forcés à perpétuité.

Lucie Durupt, qui a accompagné son mari dans certaines expéditions, condamnée à mort le 29 janvier 1946 par la cour de justice de Marseille, est rejugée le 13 mars 1946 après que la cour de cassation d'Aix eut cassé le jugement. Elle est finalement condamnée aux travaux forcés à perpétuité (voir les médias liés).


AuteurSylvie Orsoni

Sources :

Robert Mencherini, Résistance et Occupation (1940-1944). Midi rouge, ombres et lumières, tome 3, Paris, Syllepse, 2011.

Robert Mencherini, La Libération et les années tricolores (1944-1947). Midi rouge, ombres et lumières, tome 4, Paris, Syllepse, 2014.

Archives départementales des Bouches-du-Rhône, 55 W 118.