Vercors, le porche d'entrée de la grotte de la Luire

Genre : Image

Type : Photo

Producteur : Cliché Alain Coustaury

Source : © Collection Alain Coustaury Droits réservés

Détails techniques :

Photographie argentique couleur renseignée.

Date document : 2006

Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Drôme

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Analyse média

La photo représente le porche d'entrée du système karstique de la Luire. Le site est localisé à 849 m d'altitude, sur le flanc occidental de la réserve naturelle des « Hauts plateaux » du Vercors, à 5 km au sud du village de Saint-Agnan-en-Vercors. Le lieu est quasiment invisible de la route départementale 518. On y accède par un chemin goudronné qui se termine par une aire de garage. De là, le porche est désormais accessible par un sentier aménagé dans la forêt. Cette accessibilité n'existait pas en 1944. Le porche de la Luire est un exemple des nombreuses grottes qui parsèment le massif calcaire du Vercors. La photo a été prise à un moment de basses eaux. Le lit du ruisseau, la Luire, affluent de la Vernaison, est asséché. Après une période de fortes pluies ou de fonte des neiges, l'eau sort du fond du porche et constitue une exurgence. Différente est la rivière qui sourd au fond de la reculée de Combe Laval et qui après avoir pris sa source à Font- d'Urle, s'être perdu dans la clairière de Lente, constitue une résurgence sous le nom de Cholet.


Auteur : Alain Coustaury

Contexte historique

Dans la nuit du 21 au 22 juillet 1944, l'état-major du Vercors, devant l'aggravation de la situation, donne l'ordre de repli de l'hôpital de Saint-Martin-en-Vercors sur l'hôpital de Die.
Un car, deux camions, une voiture particulière pour le docteur Fernand Ganimède embarquent 122 blessés, les malades et le personnel.
Par la route du col de Rousset, le convoi rejoint Die au petit matin.
Le docteur Ganimède apprend qu'une colonne allemande se dirige sur Die.
Devant ce danger, il décide de laisser quelques blessés légers à Die, de remonter sur le massif et de s'établir provisoirement sous le porche d'entrée du système karstique de la Luire.
C'est Fabien Rey, pâtre résistant, qui les conduit.
Dans ce lieu va se dérouler le drame de la grotte de la Luire.
Cette exurgence rejoint la Vernaison par un petit lit pierreux très souvent à sec. Le porche n'est pratiquement pas visible depuis la route départementale 518. La grotte n'est connue que des spéléologues et de quelques habitants du quartier. Elle apparaît donc comme un refuge sûr. Inquiets, le docteur Ganimède et ses assistants essaient d'évacuer les blessés les moins atteints et les civils vers Romans et Die et d'en disperser d'autres dans les bois et grottes proches.
Ces précautions sauveront des blessés et du personnel soignant.
Le soir du 22, 50 blessés, 18 personnes soignantes dont les docteurs Beumier-Blum (neveu de Léon Blum), Jean-Pierre Wolf conduisant deux groupes, quittent la grotte.
Un groupe conduit par le père et le fils Trial, de Bourg-de-Péage, rejoint difficilement Romans.
Sous le porche de la Luire s'installe un groupe médical constitué du docteur Ganimède, de sa femme, de son fils Jean, des docteurs Fischer ("Ferrier") et Ullmann, de sept infirmières, Rosine Bernheim, Cécile Goldet, Odette Malossane ("Betty" ou "Etty"), France Pinhas, Maud Romana, Suzette ou Suzanne Siveton et Anita Winter.
Un jésuite, Yves Moreau de Montcheuil assiste les blessés. Il y a 31 maquisards dont Juliette Lesage ("Lilette"), infirmière blessée au combat de Combovin (22 juin), quatre soldats allemands blessés, capturés au combat de Montclus (19, 22 juin), Félix Dombrowski, Kruzel, Malacowski, Veronecki.
La situation est angoissante. On entend passer les convois sur la route distante de 400 mètres. Les patrouilles allemandes qui ratissent le quartier s'approchent dangereusement du porche. Dans le ciel le "Storch", le mouchard, survole à très basse altitude l'hôpital improvisé.
Le 25, le docteur Ganimède fait se réfugier, dans une cavité au-dessus du porche, un groupe de blessés qui peuvent se déplacer avec des béquilles. Ils sont accompagnés par deux infirmières, Lucie Jouve et Marie Roblès.
Le 27 juillet, un groupe de soldats débouche devant le porche. Comment le refuge a-t-il été découvert ?
Les soldats auraient été conduits par un jeune garçon. À la fin de l'opération, comme récompense, il aurait reçu un panier plein d'oeufs. Joseph La Picirella indique dans son ouvrage sur le drame de la Luire qu'un immense drap blanc à croix rouge était déployé au-dessus de l'entrée du porche. Il était donc bien visible pour le mouchard qui, à très basse altitude, survolait constamment la vallée de la Vernaison. Vraisemblablement, il a repéré l'hôpital et signalé sa présence aux troupes au sol. Si effectivement l'emblème de la Croix-Rouge a existé et s'il était très visible, il n'y a pas lieu de recourir à l'hypothèse d'une trahison comme le rapporte souvent la mémoire collective.
Vers 16 heures, les soldats allemands font irruption à l'entrée du porche.
Les quatre prisonniers polonais reconnaissent des camarades de leur unité. Ils leur demandent de ne pas tirer, disant "ils nous ont soignés". Devant un début de fraternisation de ses hommes, le chef du groupe les rappelle à l'ordre, jugeant que les quatre Polonais peuvent être des déserteurs. Il fait arracher leurs pansements pour vérifier si les blessures sont réelles.
Dans un bon français, il requiert les responsables. Les docteurs Ganimède, Fischer, Ullmann s'avancent. Les Allemands font aligner médecins et infirmières face à la paroi, lever les blessés, arrachant les pansements, les dépouillent de tout ce qu'ils possèdent. Ils réquisitionnent un agriculteur de Saint-Agnan-en-Vercors, Jarrand, avec sa charrette tractée par des vaches. Il doit transporter douze grands blessés à Rousset où ils retrouveront les sept blessés qui peuvent marcher ainsi que le personnel soignant.
Entre la grotte et Rousset, le convoi des grands blessés rencontre un groupe de parachutistes allemands.
Leur chef décide d'en finir. Il fait revenir la charrette en direction de la grotte. En contre-bas de celle-ci, sur un terre-plein, il fait achever les 12 grands blessés : Marcel Amatieu, Marcel Bahr, René Cadillac, André Charras, Roger Feneyrol, Roland Guerry, Charles Jean, Jean Julien, Gabriel Moulin, Georges Roch, Jean Rouhaud, Marc Lioson.
L'autre colonne, en direction de Rousset, est arrêtée par un commandant autrichien. Ce dernier est injurié par Abderallem Ben Ahmed qui le traite de " sale boche ". Refusant de s'excuser, le maquisard est assommé et pendu.
Le 28 juillet, au pont des Oules, en amont de Rousset, sept autres grands blessés sont achevés : Albert Baigneux, René Bourgund (17 ans), Fernand Delvalle, Édouard Hervé, Vittorio Marinucci, Georges Robert.
Les autres membres de ce groupe sont conduits à Grenoble.
Le 10 août, au Polygone de cette ville, sont fusillés l'aumônier, le Père Yves Moreau de Montcheuil, les docteurs Fischer et Ullmann. Meyers Chester, du commando parachuté le 29 juin, opéré de l'appendicite par le docteur Ganimède, lui aussi amené à Grenoble, a la vie sauve. Par contre, le lieutenant Francis Billon, de la mission "Paquebot", blessé lors de son atterrissage à Vassieux, le 7 juillet, est exécuté malgré son uniforme militaire de l'armée régulière française.
Les infirmières sont envoyées en camp de concentration. Rosine Bernheim, Cécile Goldet, Odette Malossanne, France Pinhas, Maud Romana, Suzanne Siveton, Anita Winter sont déportées à Ravensbruck. Odette Malossane y meurt le 25 mars 1945.

Les exécutions de la grotte de la Luire deviennent rapidement un symbole de l'atrocité de la répression allemande.
Elles s'ajoutent au martyre d'Arlette Blanc, blessée au milieu des siens le 21 juillet, au Château, à Vassieux. Ne pouvant se dégager, elle attend les secours qui la libèrent le 27 juillet. Soignée, elle semble sauvée quand le 31 juillet, elle décède à l'âge de 12 ans. Neuf membres de la famille Blanc sont morts dans des conditions atroces. Le calvaire d'Arlette Blanc était reconstitué de façon théâtrale au Mémorial du col de Lachau. Le malaise que créait cette évocation a déclenché une polémique.
Il n'en reste pas moins qu'Arlette Blanc symbolise, à elle seule, les atrocités du Vercors.
Son personnage occulte le martyre de Jeannie Chancel, 13 ans, qui a subi les outrages des soldats qui, le 15 juin 1944, pillent et violent à Saint-Donat et dans les villages limitrophes . Louis Aragon a écrit, pour cette jeune fille, un de ses poèmes les plus émouvants, "D'une petite fille massacrée".
La Drôme possède ainsi deux symboles juvéniles des exactions de l'occupant.
Ils sont profondément ancrés dans la mémoire collective avec une prépondérance marquée pour Arlette Blanc.


Auteur : Alain Coustaury
Sources : Dvd-rom La Résistance dans la Drôme et le Vercors, éditions AERI-AERD, 2007.

Plaque rappelant le souvenir de l'hôpital de la Résistance