Témoignage de Jean Gavard

Légende :

Jean Gavard témoigne de son engagement en février 1941 au sein du rseau CND - Castille, de son arrestation et de sa déportation à Mauthausen.

Genre : Film

Type : Témoignage

Source : © Mémoire et Espoirs de la Résistance Droits réservés

Détails techniques :

Durée : 53 minutes

Lieu : France

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Analyse média

Transcription (extrait) :

Février 1941. L’engagement

J’ai été recruté à Bordeaux au début de l’année 1941. J’étais lycéen, en classe terminale au lycée Michel Montaigne, lycée de garçons à l’époque

de Bordeaux. Dès le début de l’Occupation, dans les discussions avec mes camarades de lycée, j’étais en Première à cette époque, mes opinions contre l’occupant étaient connues … étaient connues. Pourquoi ?

Par ce que mon père joue je crois dans cet engagement initial un grand rôle. C’était un ancien combattant, grand blessé de la guerre de 14/18, blessé en 1915, et le souvenir très vif que j’ai de l’attitude de mon père en juin 40, c’est que dès les premières interventions de Philippe Pétain, je l’ai entendu dire, « je ne suis pas d’accord », et son opposition s’est affermie à mesure que le temps passait et particulièrement quand la déclaration du général de Gaulle, le fameux appel du 18 juin, fut connue et ensuite ses différentes interventions à Londres.

Donc mon milieu familial était très hostile à la collaboration. Au sein du lycée de Bordeaux, un de mes camarades, de la classe terminale où j’étais, a fait une approche vis à vis de moi en me disant « il y a des possibilités de prendre des contacts avec des gens qui sont en liaison avec Londres ».

Il était déjà très engagé donc et je l’ai su après. Alors comment se situe ce petit groupe-là qui essayait de recruter ? Jean Fleuret donc, un homme qui avait à peu près de l’âge de mon père, je pense peut-être un peu plus jeune, avait un fils qui devait avoir un an de plus que moi et qui était lui aussi en milieu scolaire, niveau lycée, qui n’était pas dans mon lycée, mais qui faisait partie d’un petit groupe d’amis et donc c’est par son intermédiaire qu’un de mes camarades de classe alors m’a amené vers lui et vers donc cette intégration à un groupe de résistants.    Alors dès cet instant, nous nous méfions des lycéens, nous n’étions pas tellement naïfs, mais méfiants des provocateurs et mon premier interlocuteur, devant mon hésitation, m’a dit, « je peux te donner la preuve que nous sommes en liaison avec Londres. Si tu veux, je te donnerai le texte d’un message qui passera à la radio de Londres, tel jour, à telle heure, et c’est ce qui a été fait. Quelques jours après, on m’a donné le texte d’un message.

Je n’étais pas interne au lycée, ce qui m’a bien rendu service par la suite. Je logeais chez une dame qui louait une de ses chambres, tout près du lycée Montaigne et j’avais un poste de radio qui permettait, dans des conditions difficiles puisque les émissions étaient brouillées, de joindre Londres. Et j’ai entendu le jour et à l’heure dite le message en question. Donc j’ai eu la certitude, la quasi-certitude que les gens qui me recrutaient étaient bien en liaison avec Londres.

Je dis très précisément que nous connaissions les risques, c’est évident, et nous savions que si nous étions pris par le contre-espionnage allemand, nous en subirions les conséquences mais nous ignorions ce qu’était un camp de concentration. Le colonel Fleuret avait un pseudonyme, Espadon, il a baptisé son groupe, le groupe Espadon, donc j’étais dans le groupe Espadon, indirectement donc dans le réseau  Confrérie Notre-Dame

Note sur le groupe Espadon…

 Alors je n’ai jamais rencontré le colonel Fleuret lui-même par mes camarades de lycée, j’ai su qu’il y en avait à peu près une dizaine d’élèves qui avait été recrutée comme moi en classe Terminale du lycée.

Et le colonel Rémy, vous l’avez rencontré pendant la guerre ? 

Non, Après ? Même je n’ai pas su le nom du réseau je l’ai  su  quand je suis rentré à Paris le 1erjuin 45 à l’hôtel Lutetia.

Février 1941/10 juin 1942. L’action dans le réseau  C.N.D. (Confrérie Notre-Dame)

Ce qui intéressait mon chef direct donc avec qui je n’avais pas de lien direct ni indirect, c’est le fait que mes parents habitaient près de la zone de démarcation du côté de la zone libre. Donc que nous avions des possibilités de passage parce que mon père connaissait parfaitement un grand nombre d’agriculteurs qui avaient des terrains de part et d’autre de la ligne de démarcation donc disons que mon père pouvait passer facilement entre les patrouilles qui fréquentaient la ligne de démarcation.

Et votre père a su très vite que vous étiez ? Mon père a su assez vite, pas immédiatement mais il a su assez vite. Et il a approuvé,  du fait des missions qui m’étaient confiées, il n’a pas pu ignorer longtemps ce que je faisais. Et il a été.


Voir la transcription intégrale sur le site de Mémoire et Espoirs de la Résistance

Contexte historique

Lycéen bordelais, Jean Gavard n’a que 17 ans quand il est recruté au premier trimestre 1941 par le réseau Confrérie Notre Dame (CND) du colonel Rémy. Ses parents habitent un petit village de Gironde à quelques kilomètres de la ligne de démarcation. En plus de ses missions de renseignements sur les terrains d’aviation allemands, il est amené à faire passer en « zone libre » des agents mais surtout de nombreux documents de son réseau : des messages codés qu’il mêle à ses notes de cours ou qu’il dissimule dans ses livres scolaires.

Une jeunesse confisquée
À l’approche des épreuves du baccalauréat, le 10 juin 1942, Jean Gavard est arrêté par les Allemands en même temps que le poète Jean Cayrol et vingt membres de son réseau à la suite d’une trahison. Interrogé, il est emprisonné à Bordeaux puis transféré à Fresnes où il connaît les affres de la torture morale de la mise au secret. Après dix mois d’isolement, le 25 mars 1943 il est convoyé à la gare de l’Est pour être déporté à Mauthausen. Dans son livre Une jeunesse confisquée 1940-1945 (1), Jean Gavard retrace, avec beaucoup de modestie et de pudeur, son engagement dans la Résistance mais surtout sa déportation à Mauthausen. Refusant un récit linéaire induisant, pour lui, une reconstruction, il évoque par tableaux successifs cette « expérience unique » qu’il décrit lui-même comme « une rupture, quelque chose d’« extra ordinaire« , d’extérieur à [son] être, qui tranche avec le reste de [sa] vie » (2). Il n’y raconte donc pas l’ordinaire de Mauthausen ou de Gusen mais rapporte les moments où la conscience humaine résiste à l’aliénation voulue par le système concentrationnaire nazi. Exemples : ce geste d’entraide d’un soldat mongol qui au péril de sa vie lui donne une gamelle de « café », l’aide qu’il apporte à son tour à un témoin de Jéhovah qui refuse de produire des armes à l’usine Steyr, ou bien encore ses rencontres avec le père Jacques celui dont la vie inspirera à Louis Malle le film Au revoir les enfants

Libéré le 5 mai 1945, Jean Gavard ne reprend ses études interrompues par la guerre qu’en 1946 : licence en droit, Diplôme d’Études supérieures d’économie politique et de sciences économiques. Il commence alors une carrière dans l’administration de l’Éducation nationale tout en participant activement à la transmission de la mémoire de la Résistance et de la Déportation, notamment dans le milieu scolaire.

La nécessité de transmettre son expérience
Désireux de transmettre son témoignage « aux femmes et aux hommes qui [lui] survivront, dans un monde différent, mais où chaque être se situera toujours entre liberté et aliénation » (3), à partir des années 1960, il intervient régulièrement devant des élèves dans le cadre du Concours national de la Résistance et de la Déportation (CNRD). Un concours qu’il contribue à faire rayonner lorsqu’il assume la présidence du jury national de 1993 à 2001 succédant à l’Inspecteur général Louis François lui aussi ancien du réseau de Résistance CND. Il s’investit également dans les associations de résistants et de déportés par exemple à l’amicale de Mauthausen où il participe activement de 1990 à 2000 à l’organisation de voyages d’études au camp de Mauthausen dédiés aux enseignants, en partenariat avec l’Association des Professeurs d’Histoire et de Géographie (APHG).

Inspecteur général honoraire de l’administration de l’Éducation nationale, président d’honneur du Concours national de la Résistance et de la Déportation, vice-président de la Fondation de la Résistance et administrateur de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation, Jean Gavard est demeuré jusqu’à la fin de sa vie très impliqué dans la transmission de l’histoire de la Résistance. Ainsi, en février 2009, il crée la Fédération nationale des lauréats du Concours national de la Résistance et de la Déportation qui permet d’associer d’anciens lauréats aux réunions des jurys départementaux et régionaux et à l’organisation des remises de prix. Nommé commandeur de la Légion d’honneur (4), Jean Gavard est décédé le 4 août 2016 à Garches (Hauts-de-Seine). Il a été inhumé le 11 août au cimetière de Six Fours-les-Plages (Var). 

(1) Jean Gavard, Une jeunesse confisquée 1940-1945, Paris, l’Harmattan, coll. Mémoires du XXe siècle, 2007, 146 p. Avant-propos de Daniel Simon, président de l’Amicale de Mauthausen. Préface de Laurent Douzou, professeur d’Histoire contemporaine à l’IEP de Lyon.
(2) Op. cit, p.15.
(3) Op. cit, p.93.
(4) Décret du 25 mars 2016 paru au Journal officiel du 27 mars 2016.