Amable Michel

Légende :

Amable Michel, organisateur d’une des premières filières d’évasion en Côte-d’Or (15/7/1886 Combrondes-2 novembre 1944 Dachau)

Deux victimes des camps d’extermination

Genre : Image

Type : Presse légale

Source : © Archives famille Michel Droits réservés

Date document : Samedi 21-Dimanche 22 juillet 1945

Lieu : France - Bourgogne - Franche-Comté (Bourgogne) - Côte-d'Or - Dijon

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Analyse média

  • Description du document.

L’article en une du Bien Public retrace le destin tragique d’Amable Michel et de sa fille comme résistants de la première heure et déportés par répression. Il n’est pas signé . “Si les camps d’extermination ont fait tant de victimes, c’est parce que, bien souvent, ce ne sont pas seulement des individus, mais des familles entières qui ont été persécutées par l’ennemi. La triste nouvelle qui vient de nous parvenir nous en fournit une nouvelle preuve : deux membres de la résistance bourguignonne : M. Amable Michel et sa fille Françoise ont trouvé la mort de l’autre côté du Rhin. Ainsi fut couronnée tragiquement l’activité de deux patriotes qui, depuis les premières heures de l’invasion, se sont dépensés sans compter pour libérer la France. M. Amable Michel, qui tenait le magasin de café Coboca, place Grangier à Dijon, donna une première preuve de sang-froid et de courage au moment de la débacle. Dans les sombres jours de juin 1940, au milieu de l’affolement général, il demeura à Dijon et spontanément se mit en devoir, autant qu’il était en lui, de suppléer à la défaillance des autorités.
Mobilisé au commissariat du 2e arrondissement, il s’occupe du ravitaillement. Il récupère notamment, aux Fours de Guerre et à la Verrerie, une importante quantité de denrées abandonnées par l’intendance. Malgré les Allemands qui braquent sur lui leurs revolvers, il enlève avec des camions 300 sacs de farine qui furent répartis entre les boulangers de la place.
Par la suite, il monte avec sa fille Françoise une vaste organisation qui fait évader les prisonniers français. Avec deux de ses camarades, Mlle Michel se rend chaque jour au camp de Longvic, d’abord pour porter du ravitaillement, ensuite pour remettre aux soldats les effets civils qui leur permettront de tromper la surveillance de leurs gardiens. Cette organisation ne cessa de se développer. Françoise Michel et son père formaient un des principaux maillons de deux chaînes d’évasion, l’une partant de Nancy, l’autre de Belgique. Elles aboutissaient à une équipe de passeurs des environs de Montchanin, de Seurre et de Chalon.
Avec l’aide d’amis dévoués, Françoise Michel habillait, ravitaillait, logeait et pourvoyait de cartes d’identité « officielles » les nombreux évadés de passage, parfois à la cadence de 10-12 par jour. On peut estimer qu’elle a à son actif 850 évasions. Le magasin de café Coboca, place Grangier, était devenue une véritable officine où se retrouvaient une poignée de bons Français et où les Allemands qui venaient acheter du thé, s’entendaient répondre ironiquement : « Du thé ? Vous en aurez quand vous aurez battu les Anglais ! ». Le 26 juillet 1942, Françoise Michel était arrêté à son magasin par la gestapo, peu de jours après Simone Harrant et Camille Chevalier, de Chalon, et quelques autres bons Français. Au procès qui s’ensuivit, Chevalier était condamné à mort et fusillé. Simone Harrand et Françoise Michel étaient condamnées toutes deux aux travaux forcés.
Après l’arrestation de sa fille, M. Michel, malgré la surveillance spéciale dont il était l’objet, continua son dangereux travail. Il fut à son tour arrêté le 23 décembre 1943, incarcéré à Dijon et déporté sans jugement à Nattzwiller, près de Schirmeck. Dans ce camp où les mauvais traitements étaient particulièrement cruels, M. Michel fut pour ses camarades un grand soutien. Emmené avec ses compagnons le 6 septembre 1944 au camp de Dachau, il devait y mourir d’épuisement le 2 novembre dernier [1944]. Françoise Michel, tout d’abord internée à la Maison de force d’Anrath, près de Krefeld, devait mourir, à 25 ans, à la forteresse de Jauer, près de Breslau.”

  • Histoire du document.

Cet article fait la une du quotidien local, avec une suite p.4. Il a été conservée par la famille Michel.


Michèle Chevalier

Contexte historique

Fervent patriote, négociant en café de Dijon, croix de guerre 1914-1918, croix de feu puis orateur du Parti social français du colonel de la Rocque, François Victor Amable Michel refuse dès juin 1940, la défaite malgré son âge, 54 ans. Il donne une première preuve de sang-froid et de courage au moment de la débacle. Mobilisé au commissariat du 2e arrondissement, il s’occupe bénévolement du ravitaillement comme directeur du 24 juin 1940 au 11 novembre 1940. Malgré les Allemands qui braquent sur lui leurs revolvers aux Fours de Guerre et à la Verrerie, il enlève avec des camions 300 sacs de farine qui furent répartis entre les boulangers de la place.
Pendant ce temps à Longvic, la base militaire de Dijon, l’ennemi parque dans des conditions très précaires environ 45 000 prisonniers militaires français (les chiffres oscillent entre 20 000 et 70 000) dans des casernements prévus pour 3 000 hommes. Pour l’essentiel, il s’agit de soldats de troupes coloniales, issus des territoires et départements d’Afrique et d’Afrique du Nord. Amable Michel organise très vite l’une des premières filières d’évasion de prisonniers de guerre français ayant existé en Côte-d’Or et en Saône-et-Loire, avec sa fille Françoise et une poignée d’amis. Et c’est la famille entière qui recherche les appuis nécessaires, héberge, transforme en civils, fait partir enfin des centaines de centaines d’évadés.
Après la fermeture du camp de Longvic en janvier 1941, la filière se développeUne branche part de Belgique, et l’autre de Nancy, aboutissant à des passeurs de Montchanin, Seurre et Chalon. Les évadés deviennent des résistants, des agents de l’Intelligence Service, des aviateurs, des juifs... A la Libération, on lui attribuera entre 800 évasions et 5 000 évasions. Parmi ceux qui sont aux côtés d’Amable Michel, trois personnalités : le chanoine Kir, membre de la délégation municipale provisoire de Dijon, futur maire de Dijon, qui fournit des faux-papiers, de juin à septembre 1940, mais surtout, deux compagnons de la Libération : Camille Chevalier, fusillé en aôut 1942, futur compagnon de la Libération, avec qui il crée la filière passant par Seurre, et Maxime Guillot qui s’orientera vite vers les actions de parachutage et de sabotage. En mars 1941, avec une certaine prémonition, Amable Michel encourage son fils Henri, 18 ans, à rejoindre clandestinement l’armée française d’Afrique du Nord pour reconquérir la France -celui-ci fera toute la campagne de la 2e DB du général Leclerc et finira président d’honneur en Côte d’Or.
Un ami de la famille, F. Bray, se souvient : “Lorsque, maillon de cette filière, je fus arrêté, la première personne qui, grâce à des complicités, réussit à me voir, fut M. Michel et je vois toujours l’angoisse dans ses yeux devant l’entrée de la détention. Combien de fois n’y revint-il pas pour organiser l’évasion d’un agent de l’Intelligence Service (IS) et enfin la faire réussir. Il savait donc bien les risques et il continuait toujours. Amable Michel fait aussi du renseignement en transmettant des informations sur le stationnement et le mouvement de militaires allemands, notamment par l’intermédiaire de M et Mme Frilley, résistants cheminots. Au tout début pour le 2e bureau, pour le SOE britannique.
Mais surtout, Amable Michel devient un agent très actif du réseau belge Ali-France dont Camille Chevalier fait partie. Selon les services officiels belges, ce réseau a évacué (ou contribué à l’évacuation) d’une centaine de Britanniques en 1940-41 et environ 700 Belges pendant l’Occupation. Quant au relais de Chalon, c’était le plus important du réseau pour la transmission du courriers de réseaux belges.

Dénoncé, Amable Michel est arrêté six mois après sa fille à son magasin, le 22 décembre 1942, et torturé rue d’Auxonne. Il fait partie des premiers Nuit et Brouillard, ceux de juillet 1943, qui sont déportés au camp de Struthorf-Natzweiller, près de Schirmeck, en Alsace. matricule 4606. Il s’agit de l’unique camp de concentration en territoire français, mais annexé au IIIe Reich. À l’instar des camps de Mauthausen et de Gusen, c’était un “camp de niveau III”, destiné à être l’un des camps les plus durs du système concentrationnaire. Son objectif était l’anéantissement des “ennemis politiques incorrigibles du Reich”. Face à la barbarie nazie, Amable Michel sera d’un grand soutien pour ses camarades rapporte l’ami de famille et va faire face avec Albert Guillot, matricule 4609. C’est le fiancé de sa fille qui a été arrêtée six mois plus tôt et mourra en forteresse, après avoir donné vie à une petite fille. Struthof étant devenu zone de guerre, Amable Michel et Albert Guillot sont transférés les 6 et 7 septembre 1944 à Dachau. Amable Michel a pour compagnon d’infortune Edmond Michelet (1889-1970), futur compagnon de la Libération et ministre sous De Gaulle, qui a gardé son nom en mémoire dans Rue de la liberté: Dachau, 1943-1945, page 208. Ils ne se sont connus pourtant que deux mois, pas plus. Amable Michel décède en effet d’épuisement le 2 novembre 1944. Il a 58 ans.

En 1985, dans “L’enfer d’Alsace : un guide-témoignage sur le Struthof Natzwiller, matricule 6149”, le socialiste et Dijonais Eugène Marlot témoigne de la solidarité exceptionnelle qui liait Amable Michel et Albert Guillot (voir aussi la notice d’Albert Guillot) : “Ces NN de juillet, ils étaient au bloc 13 (un camp dans un camp), en bas et tout à côté du nôtre, le 12. Nous avions tout de suite appris ce qu’avait été leur calvaire. Et celui que nous vivions nous permettait de mieux comprendre le leur. Leur état physique, leur démarche faisaient ressortir la chance que nous avons eue d’arriver au camp après eux. Nous avions bien sûr pitié d’eux. Mais [...] puisqu’ils avaient déjà tenu quatre mois, nous devions tenir plus longtemps, quoi qu’il arrivât [...]. Un jour, Jean et moi apprenons qu’il y a parmi eux deux ou trois Dijonnais. Alors la curiosité, le désir de savoir l’emportent sur la crainte, et un soir nous parvenons à nos fins au retour de l’appel. Ils sont deux qui se tiennent par le cou, l’un plus âgé et l’autre plus jeune, on aurait dit le père et le fils. Une façon comme une autre de tenir debout, comme une table à quatre pieds tient le coup mieux que sur deux [...]. Ils nous paraissent terriblement las et nous répondent d’une voix sourde ; “Ah, pauvres amis ! Voyez dans quel état nous sommes. On ne peut pas tenir. Nous sommes perdus. C’est terrible, terrible.” Ils ne tiennent visiblement pas à rester avec nous et nous les laissons repartir à petits pas, toujours enlacés. Je garde de cette brève rencontre un souvenir très vivace et très ému. Quelle leçon aussi que celle-là.” Celui qui aurait pu être un beau-père et l’autre son gendre dans une vie autre ont fait tout comme et ont reconstitué une famille au sein même de l’horreur nazie.


Auteur notice : Michèle Chevalier

COMPLEMENTS 
- Notices media d’Henriette Michel née Jaurant, de Françoise Michel, Albert Guillot, Simone Harrand, Marie-France Michel-Guillot.
- Edmond Michelet : Rue de la liberté : Dachau, 1943-1945, page 208.
- Eugène Marlot : L’enfer d’Alsace : un guide-témoignage sur le Struthof Natzwiller, matricule 6149, en 1985. “Sac d’os” en 1999. 
- Pierre Gounand dans Carrefour de guerre, Dijon 1940-1944, p 323. 

=> Amable et Henriette Michel et leurs enfants, Françoise et Henri, de Dijon. Pionniers de la résistance en zone occupée. 
Michèle Chevalier. Décembre 2019