Marie-France Michel-Guillot

Légende :

Marie-France Michel-Guyot (10/03/1943- ?)
Fille de deux résistants de la première heure à Dijon.
L’un des rares enfants nés en déportation de mère déportée par répression ayant échappé à l’enfer nazi.

Genre : Image

Type : Lettre

Source : © Service historique de la Défense, Bureau des archives des victimes des conflits contemporains à Caen Droits réservés

Détails techniques :

Lettre de la Maison des prisonniers et déportés de Côte-d’Or

Date document : 22 novembre 1945

Lieu : France - Bourgogne - Franche-Comté (Bourgogne) - Côte-d'Or - Dijon

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Analyse média

  • Description du document.

C’est l’un des deux seuls documents officiels existant mentionnant l’existence de Marie-France, les autres papiers la concernant ayant été donnés aux parents adoptifs. La lettre est datée du 22 novembre 1945, et provient de la Maison des prisonniers et déportés de Côte-d’Or. Le directeur départemental intervient en effet auprès du directeur des captivités, 83 avenue Foch à Paris pour activer l’obtention de l’avis de décès officiel de Françoise au vu de trois attestations car “Il est absolument nécessaire que ce certificat de décès nous parvienne rapidement car Mlle Michel était mère d’une petite fille née le 20 mars 1943 à la prison d’Anrath, où elle se trouvait à ce moment. Il ne manque plus à la famille paternelle de l’enfant, pour pouvoir régulariser sa situation, qu’un certificat prouvant le décès de sa mère. Nous vous signalons que le père de l’enfant est mort lui aussi dans un camp de concentration.” En marge au crayon pour Françoise Michel : présumée décédée à Jauer. Renseignements de Mme Jeanne Valentin, 52 rue d’Assas, 75006 Paris, de Marie Firel, 38 rue de Costel Saint-Julien à Caen (Calvados). 404.7.XII.45. R (ou B) Eisenleg. Trois certificats joints (ceux de Marie-Blanche Grenier-Godard, Agnès Gwose et Marie Barré) .

  • Histoire du document.

Il est conservé au Service historique de la Défense, Bureau des archives des victimes des conflits contemporains à Caen, dans le dossier de Françoise Michel. L’existence officielle de sa fille apparait aussi sur une page du formulaire pour la demande du titre de déporté résistant à tittre posthume, rempli par Henri Michel, son frère, le 17 juin 1950. Il a rayé dans la partie III - Renseignements concernant la famille du déporté ou de l’interné décédé ou disparu, Noms et prénoms des enfants actuellement vivants nés du déporté ou de l’interné, légitimés, reconnus ou adoptés : “ légitimes et reconnus”, et indiqué : Marie France Michel, née le 10 mars 1943, adoptée par M. et Mme Luchen, 22 rue de la Tour, Paris XVIe. (ou peut-être Lucheu ou Lucher).


Michèle Chevalier

Contexte historique

Pourquoi parler de cette enfant ? Parce qu’on ne peut pas la dissocier du sort de ses parents résistants déportés, et de sa mère en particulier. la Fondation pour la mèmoire de la déportation a essayé de les recenser dans son Livre-Mémorial.
Marie-France est la fille de Françoise Michel et d’Albert Guillot, deux résistants de la première heure à Dijon, qui n’ont pu se marier avant d’être déportés. Elle est née à la prison d’Anrath, à Willich, en Allemagne, près de Dusseldorf le 10 mars 1943. Sa mère arrêtée en juillet 1942 dans le même coup de filet que Camille Chevalier, futur compagnon de la Libération, a été condamée à 12 ans de travaux forcés. Transférée à la prison d’Anrath, elle y accouche et choisit comme prénom pour sa fille Marie parce qu’elle est catholique, et France parce qu’elle est patriote.
Françoise la confie à l’aumonier d’Anrath, très vraisemblablement Johannes Marschang (1884-1978), un homme d’exception qui défendait les détenus contre un directeur sadique. Il cache Marie-France dans un couvent de la région. Françoise a agi ainsi, explique son amie Simone Harrand dans son tapuscrit “Un grain de poussière” (1994) “pour éviter que les Allemands ne la mettent dans un séminaire fasciste pour en faire une militante nazie. Ce serait un comble pour une fille de résistants français !
Sa mère décède à la forteresse de Jauer le 20 janvier 1945 et son père à Dachau le 16 février 1945. Simone Harrand, qui a appris le décès de son amie le 25 janvier 1945, réussit à s’évader lors de l’évacuation de Jauer où elle a été transférée en 1943, lors d’une marche de la mort, le 28 janvier 1945, ne pensant qu’à retrouver Marie-France (voir la notice media de Simone Harrand).
Dès son retour à Dijon, le 3 mai 1945, la jeune femme s’emploie à écrire de multiples lettres à des organisations de toute obédience pour qu’ils essayent de rencontrer l’aumonier de la forteresse d’Anrath, dont elle ignore le nom. Un jour, miracle, elle reçoit une lettre d’un docteur parisien qui travaille en collaboration avec l’Aumone rie de France pour les recherches, lui disant que Marie-France est retrouvée et avec elle trois autres enfants. Elle est à l’hôtel Lutetia avec trois autres enfants à Paris où on peut aller la chercher. Simone est trop fatiguée pour voyager. C’est Henri Michel qui la ramènera à Dijon.

La rencontre de Marie-France avec sa grand-mère fut rude. La petite fille de moins de trois ans ne comprenait que l’allemand, “la langue de l’ennemi”, ce que ne put supporter Henriette Michel, qu’une “convulsion” avait beaucoup diminuée. Or, juridiquement, Marie-France Michel n’appartenait à personne. En forteresse, l’acte de naissance avait en effet été mal fait. Il manquait la mention “reconnue par sa mère”. Simone Harrand fit des démarches auprès du procureur de la République pour qu’elle porte le nom de ses parents. Mais la loi est formelle : on ne peut reconnaître un enfant de parents décédés et elle n’avait pas prévu les déportations. Elle veut l’adopter mais elle ne remplit aucune des conditions.
A l’époque il fallait avoir 40 ans ou dix ans de mariage sans enfant. Henri Michel est dans le même cas que Simone, son père Amable est décédé en novembre 1944 et sa mère brisée mentalement et physiquement par les épreuves. La grand-mère paternelle, veuve aussi, essaye bien de s’occuper de l’enfant mais elle est trop âgée. Des étrangers à la famille l’ont donc adoptée. “Un couple parisien sans enfant, ami de déportés rentrés qui connaissaient bien Françoise, précise Simone Harrand. J’aurais tant voulu qu’elle reste à Dijon. Elle a été très heureuse. Ses parents adoptifs n’ont jamais voulu révéler qu’elle n’était pas leur propre fille ni que je cherche à la revoir. J’ai respecté leur volonté pour la tranquillité et le bonheur de Marie-France. Mais je pense qu’ils ont eu tort. Ils auraient pu lui dire avec amour qu’elle était adoptée. Les circonstances de la guerre l’ayant laissée orpheline, elle n’avait pas à rougir de ses parents, résistants patriotes, qui ont payé de leur vie leur engagement.” Quand est-elle décédée ? Jeune à ce qu’on dit dans la famille.
Il semble qu’Henri Michel ait tout fait pour récupérer l’enfant. En vain. “La famille adoptive a fait barrage pour qu’ils la voient et n’a jamais envoyé de photos”, précise sa fille Marie-Thérèse. Marie-France n’apparait pas dans le livre-mémorial de la Fondation pour la mémoire de la déportation ne connait pas son cas. Celle-ci a pu recenser 29 enfants, dont 18 garçons et 10 filles, nés de mères déportées elles-mêmes de France par mesure de répression. 21 de ces enfants sont nés à Ravensbrück, 1 à Auschwitz, 3 à la prison d’Aichach (près d’Augsburg), 2 dans des prisons en Italie, 1 à la prison de Cologne- Klingelpütz et 1 à la prison de Kreuzburg en Haute-Silésie.
Seuls 8 de ces enfants sont revenus de déportation, 3 des camps et 5 de prison (2 sont décédés à Aichach). Marie-France serait donc le huitième enfant né en prison d’une mère déportée par répression et le sixième ayant survécu aux géoles nazies.


Michèle Chevalier

COMPLEMENTS
Simone, un grain de sable (mention spéciale au prix littéraire de la Résistance en 1994), détenu par l’Adir à la BDCI, Simone Harrand-Monier (décédée le 14 février 1997)

=> Amable et Henriette Michel et leurs enfants, Françoise et Henri, de Dijon. Pionniers de la résistance en zone occupée. 
Michèle Chevalier. Décembre 2019