La milice patriotique juive dans la libération de Paris

Légende :

Tract de la Milice patriotique juive appelant les "Frères Juifs" à s'engager dans cette formation.

Genre : Image

Type : Tract

Source : © AD 93 - 335J31 / David Diamant - Archives du PCF Droits réservés

Détails techniques :

Tract imprimé

Date document : Sans date [1944]

Lieu : France - Ile-de-France - Paris - Paris

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Contexte historique

En septembre 1943, la direction du Parti communiste français réclame l’instauration de "Milices patriotiques" à implanter dans les entreprises et les quartiers de chaque ville. Ces groupes armés doivent quadriller le territoire afin de protéger les populations contre les exactions ennemies. Ces milices patriotiques sont officialisées par le Conseil national de la Résistance (CNR) le 15 mars 1944 dans son "Programme d’action de la Résistance". Elles se mettent en place lentement et très partiellement sous l’impulsion, le plus souvent, des militants communistes. Des "Directives pour la formation des milices patriotiques" paraissent en juin 1944 dans un numéro spécial du bulletin d'informations du Front national de lutte pour la libération et l'indépendance de la France. Le 10 août 1944, le CNR en fixe le statut et place les milices patriotiques sous l’autorité des Comités de Libération.

Au printemps 1944, l’Union des Juifs pour la Résistance et l'Entraide (UJRE) envisage la mise en place d’une milice patriotique juive (MPJ) dans la capitale à l’image des milices patriotiques "traditionnelles". Or, à Paris, la répression a fait de terribles ravages dans les rangs des FTP juifs. La direction de l’UJRE désigne Jacob Tancerman pour se rendre à Paris et dresser un rapport de la situation dans la capitale. Sur place, il rencontre notamment les responsables de la jeunesse juive. Robert Endevelt se souvient de cette réunion : "La première rencontre entre Jean et notre direction s’est tenue à Paris, je crois me souvenir de la présence de Georges Tachnof, Jean-Claude Schwartz, Guy Birenbaum, Jacques Adler et moi-même. Jean Capiévic n’était plus avec nous à ce moment, muté pour d’importantes responsabilités nationales auprès de la MOI." (témoignage de Robert Endewelt, 2015).

Tancerman rentre à Lyon pour rendre compte de sa mission et reçoit l’ordre de retourner à Paris début juin 1944 pour y réorganiser les milices patriotiques juives et assurer l’encadrement et la préparation militaire des jeunes résistants juifs de Paris. Il est secondé par les dirigeants parisiens de l’Union de la jeunesse juive (UJJ) : Jean-Claude Schwartz, Marcel Fiszbin et Robert Endewelt.

En avril 1944, un appel à la formation des milices patriotiques est lancé sous forme de tract. Signé de l’UJJ, il se termine ainsi : "Jeunes juifs, quittez vos logements, passez à l’illégalité ! Entrez en masse dans la milice patriotique qui, en union avec toute la population, contribuera à abattre notre ennemi mortel et libérer la France. L’insurrection libératrice approche ! Soyons prêts pour le grand combat !". Un autre tract de juin 1944, "Aux armes !", signé des Jeunes communistes juifs appelle les jeunes juifs à rentrer "dans la Milice patriotique sans tarder".

Tancerman impose la récupération d’armes comme objectif prioritaire. C’est ainsi que des groupes de jeunes juifs partent récupérer des armes sur les rives de la Seine, de l’Oise et de la Marne pendant que les soldats allemands se baignent.

Lors de l’insurrection parisienne, la milice patriotique juive compte 150 à 200 membres. Le 19 août au matin, la milice patriotique juive prend possession de l’immeuble du 21 rue des Tournelles, non loin de la synagogue du Consistoire, où se trouvait le dispensaire de l’Union générale des Israélites de France (UGIF). Jacob Tancerman y établit son quartier général. Entre le 19 et le 21 août, les membres de la MPJ s’emparent de nombreux locaux : la "soupe populaire" de l’UGIF, 8 rue de Saintonge (IIIe arrondissement) ; le siège de l’Organisation Reconstruction Travail (ORT), 12 rue des Saules (XVIIIe) ; le dispensaire de l’OSE au 24 rue des Francs-Bourgeois (IVe) ; des locaux de l’UGIF situés dans plusieurs arrondissements (IIIe, IVe, VIIIe, XIe, XIXe, XXe…). Dans le local de l’UGIF de la rue des Rosiers, où la milice patriotique trouve les caractères d’imprimerie hébraïques qui servaient à l’édition du bulletin officiel de l’UGIF, est installée la première imprimerie légale de la Presse Nouvelle.

Témoignage de Robert Endevelt : "Jean Tancerman, notre chef militaire, avait fixé avec nous les premières dispositions à prendre dès le début de l’insurrection. Il fallait occuper d’anciens locaux communautaires dans lesquels nous pourrions nous installer pour organiser nos forces au grand jour. C’est ce que nous avons fait en occupant les locaux de la rue des Tournelles dans le IIIe arrondissement, où nous avons installé notre quartier général et une partie de nos forces. D’autres jeunes furent installés dans l’ancienne école de l’ORT, située rue Georges Lardennois dans le XIXe et dans les locaux du dispensaire de la rue Julien Lacroix, dans le XXe. Ces jeunes furent mis à la disposition des FFI de ces arrondissements. Le 120 boulevard de Belleville fut ouvert pour y tenir les premières réunions publiques avec des populations qui sortaient comme par miracle de leurs cachettes.» (Témoignage de Robert Endewelt, 2015).

En parallèle, des détachements de la MPJ participent à la construction des barricades, à la libération des mairies d’arrondissements et autres édifices publics, notamment à la Maison des Syndicats et à la Bourse du Travail. Le 19 août, Michel Zaltzermann, dit commandant Fred, l’un des fondateurs du détachement Carmagnole, détaché de Lyon à Paris pour y renforcer les combattants juifs, est tué par une rafale de mitrailleuse sur la barricade défendant le pont d’Austerlitz. Plusieurs membres de la MPJ prennent part à la défense de l’Hôtel de Ville. Jean-Claude Schwartz, l’un des dirigeants de la MPJ, se distingue lors des combats de la place de la République et est cité à l’ordre du régiment pour ces faits. Le 25 août, Roger Stein (dit Kienz), jeune membre de la MPJ âgé de 18 ans, est blessé lors de l’assaut de l’Ecole militaire et hospitalisé à l’hôpital Necker.

Un rapport d’activité (non daté) mentionne 100 participants de la MPJ aux combats de la libération de Paris avec pour bilan : 6 Allemands tués, blessés et 15 prisonniers ; des armes et explosifs saisis (1 fusil-mitrailleur, 2 mitrailleuses, 15 revolvers, 20 grenades) ; un stock de denrées alimentaires récupéré au domicile d’un milicien dans le IIIe arrondissement.

Le 29 août 1944, un tract appelle les Juifs de Paris à rejoindre en masse les milices patriotiques juives pour que "justice soit faîte". Par cet appel, les communistes juifs de Paris, signataires de ce tract, veulent "retrouver, dénoncer, arrêter et châtier, afin de les empêcher de nuire" "les traîtres de l’UGIF", mais également "tous ceux qui se sont enrichis en faisant des affaires avec les hitlériens" ou encore "les donneurs, dénonciateurs qui, par lâcheté ou intérêt se sont mis au service de l’ennemi". C’est donc la mission que se fixe la direction de la milice patriotique juive après la Libération.

Une note (non datée) intitulée "Les miliciens juifs agissent" dresse le bilan d’activité du mois d’octobre 1944. Composée de 500 membres, la milice patriotique juive dispose de "foyers" dans 8 arrondissements parisiens ainsi qu’à Montreuil et Livry-Gargan. Au cours des trois premières semaines d’octobre, elle a mené une centaine d’enquêtes, procédé à une vingtaine d’arrestations et permis à une vingtaine de familles de réintégrer leurs logements.

Après la libération de Paris, une centaine de membres de la milice patriotique juive intègre la compagnie Marcel Rayman qui vient se former à la caserne de Reuilly sous le commandement de Jacob Tancerman. Il est à souligner qu’un rapport d’activités du mois d’août 1944 mentionne à la date du 19 août "un groupe du détachement Rajman de la MPJ, sous la direction de chef, a participé, avec son arme automatique, à la bataille". Il est donc vraisemblable que la compagnie juive formée à Reuilly a repris le nom déjà choisi par ce détachement de la MPJ. Le 31 août 1944, la milice patriotique juive édite un tract en yiddish appelant les jeunes juifs à s’engager au sein de cette compagnie : "Pour renforcer la participation des masses juives dans ces moments décisifs, il a été créé une Compagnie juive au nom du FTP juif RAYMAN, fusillé à 20 ans. La Compagnie Rayman est incorporée dans les FFI, et recevra l'instruction militaire dans les casernes, avec les autres unités militaires. Plus de 100 jeunes Juifs ont déjà répondu à notre appel, et son actuellement dans la caserne de Reuilly. Nous nous adressons à tous les Juifs, et spécialement à la jeunesse juive, dont le cœur a saigné à cause des persécutions nazies, et à qui est cher l'avenir des Juifs. Que la mémoire de RAYMAN, vengeur de son peuple martyrisé, serve d'exemple ! (…) Adhérez à la Compagnie RAYMAN ! Adhérez en masse, hommes, femmes, jeunes et vieux, à la Milice Patriotique."


Auteur : Fabrice Bourrée

Sources et bibliographie
Archives départementales de Seine-saint-Denis, fonds David Diamant - Archives du PCF
Mémorial de la Shoah, Paris : fonds David Diamant, CMXXV 8-4-8
Musée de la Résistance nationale, Champigny-sur-Marne : fonds David Diamant / UJRE, carton 26, dossier 44
Archives Yad Vashem

Jacques Adler, Face à la persécution, les organisations juives à Paris de 1940 à 1944, Paris, Calmann-Levy, 1985.
Simon Cukier, Dominique Decèze, David Diamant, Michel Grojnowski, Juifs révolutionnaires : une page d'histoire du Yiddishland en France, Paris, Messidor, 1987.
David Diamant, Les Juifs dans la Résistance française 1940-1944 (avec armes ou sans armes), Paris, Roger Maria Editeur, 1971.
David Knout, Contribution à l’histoire de la résistance juive en France 1940-1944, Paris, CDJC, 1947.
Jacques Ravine, La Résistance organisée des juifs en France 1940-1944, Paris, Julliard, 1973.
Robert Endewelt, "L’engagement dans la Résistance des jeunes juifs parisiens avec la MOI (1940-1945)", Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, n°129, 2015, consulté en ligne, URL : http://chrhc.revues.org/4866.
Roger Bourderon, "Milices patriotiques", in Dictionnaire historique de la Résistance, dir. François Marcot, Paris, Robert Laffont, 2006.