Jean Chancel décoré après la Libération

Légende :

Remise de la Croix de Guerre à Jean Chancel, à Valence, place de l'Hôtel-de-Ville.

Genre : Image

Type : Photo

Producteur : inconnu

Source : © Collection Mady Chancel Droits réservés

Détails techniques :

Photographie argentique noir et blanc.

Date document : fin 1944

Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Drôme - Valence-sur-Rhône

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Analyse média

Peu de temps après la Libération, des résistants sont décorés.

Les décorations sont remises sur la place située entre l’Hôtel de Ville et le Théâtre municipal dont on reconnaît une partie de la façade nord, derrière les récipiendaires. Au fond, les façades des immeubles n’ont pas changé, en 2011, on y voit le même magasin de Pompes funèbres. On ne connaît pas la personne qui épingle la décoration sur la veste de Jean Chancel, ni les autres impétrants. On remarque une femme au bout de la rangée. Un autre « parrain » s’apprête à remettre la décoration au suivant.


Auteurs : Jean Sauvageon

Contexte historique

Les membres de la famille Lémonon-Chancel ont joué, à Saint-Donat, un rôle essentiel dans l'organisation de la Résistance dans la région.

Le docteur Lémonon était un médecin très apprécié à Saint-Donat. Il était par ailleurs conseiller général du canton. Il a eu quatre enfants. L'aînée est Marie-Louise, plus connue sous le diminutif de Mady, puis vient Jean qui est en train de terminer ses études de médecine quand la guerre l'appelle. Mobilisé trois mois après son mariage, il participe à la drôle de guerre. Il tente de s'opposer, avec quelques hommes, à une attaque allemande en mai 1940. Ils tombent dans une embuscade au cours de laquelle il est tué et son fils Jean-Pierre ne connaîtra jamais son père. Michel devient prêtre et, pendant la guerre, est vicaire à Saint-Donat, puis à Romans. Enfin, Henri prépare l'agrégation de lettres.

Mady Lémonon avait épousé Jean Chancel, pharmacien. Après un temps en Avignon, celui-ci avait ouvert une officine à Saint-Donat dans la maison de son beau-père, rue Pasteur. Au début de la guerre, compte tenu de son âge, 38 ans, et de ses trois enfants, Jean Chancel ne part pas au front mais est chargé d'organiser un hôpital militaire à Montélimar.

Tout le monde connaissait les opinions de la famille Lémonon. C'étaient des notables catholiques de cette petite bourgeoisie rurale ayant une influence certaine dans leur entourage, rendant des services reconnus à leurs patients. Ils n'étaient pas engagés dans une formation politique et manifestaient une grande indépendance. Leur connaissance de la réalité allemande les avait amenés à s'opposer, dès le début, aux occupants et à leurs valets de Vichy. La pharmacie est vite devenue le lieu où arrivaient les informations et où venaient tous ceux qui commençaient à envisager des activités résistantes ou qui se sentaient menacés.

Michel Lémonon, à Romans, avait mis en place un réseau pour mettre en sécurité les personnes menacées, notamment les Juifs. Et une des premières maisons où il en envoyait, c'était celle de sa sœur et de son beau-frère à Saint-Donat.

Jean Chancel était devenu aussi un spécialiste de la fabrication des faux papiers qu'il réalisait dans un petit bureau attenant à la pharmacie, qu'il appelait sa "préfecture", dans lequel était un fauteuil dont le siège se soulevait pour pouvoir le transformer en divan. En réalité, sous ce siège mobile était camouflé le matériel servant à la confection des fausses cartes d'identité, de ravitaillement, etc. Un certain nombre de cartes vierges étaient fournies par le secrétaire de mairie de Saint-Donat, monsieur Aubert, d'autres étaient récupérées par le maquis dans diverses administrations. Quant aux tampons, Mady Chancel qui nous a raconté tout cela ne savait pas d'où ils provenaient. Elle nous rapporte que son mari disait : « Quand je vois des tampons, j'ai toujours envie de les récupérer ».

En plus de son préparateur habituel, Jean Chancel camouflait des jeunes menacés sous la couverture de « préparateurs » occasionnels. La pharmacie était devenue le lieu par lequel passaient nombre de clandestins, quelles que soient leur religion, leur appartenance politique, où transitaient les messages à faire parvenir à Londres ou à Alger, où les résistants de différents mouvements venaient chercher des consignes qu'ils soient à l'AS ou dans les FTPF.

Jean et Mady Chancel sont entrés en contact avec Louis Aragon et Elsa Triolet, réfugiés clandestinement depuis quelques jours à Saint-Donat, sous le nom de Andrieux.

C'est dans la maison Chancel que furent rassemblés les aviateurs anglais et leurs passagers après la chute de leur avion, le 9 février 1944, avec parmi eux Francis Cammaerts, responsable du réseau Buckmaster. C'est là aussi que se préparaient les expéditions pour aller récupérer le matériel parachuté.

Ces activités n'étaient pas sans intéresser les quelques collaborateurs de la région. La famille Chancel a été l'objet de plusieurs dénonciations. Mady Chancel nous disait : « Nous avons eu connaissance de trois dénonciations, une a été arrêtée par la poste de Charmes, l'autre par les gendarmes de Saint-Donat, c'est la troisième qui a marché ». Celui qui en était l'auteur était un « garçon qui se voulait célèbre, il se voulait intéressant. Il dénonçait à la Gestapo à Valence. Une fois, il s'était endormi, chloroformé dans le train, lié d'abord puis endormi et on l'avait trouvé comme ça. C'était pour qu'on parle de lui. Même si on l'excuse un peu, il était très dangereux. Alors, un jour, deux hommes en uniforme allemand sont allés lui dire : "Vous nous intéressez beaucoup par les renseignements que vous donnez, on va vous présenter à nos chefs. Et ils l'ont descendu sur la route de Charmes. C'étaient des faux Allemands, des maquisards, ils arrivaient à avoir des uniformes. »
 
Au cours de la funeste journée du 15 juin 1944 où les troupes allemandes ont envahi Saint-Donat, mettant le village à sac, Jeannie, 13 ans, la fille aînée de Jean et Mady Chancel, est l'une des 54 victimes déclarées des viols sauvages. Elle est décédée quelques semaines plus tard.

René Fanget et Yves Simon, responsables du secteur Drôme-nord, ont dressé le portrait de Jean Chancel :
« Entré dans une famille où la médecine s'exerçait comme un sacerdoce, il en assurait le prolongement avec le même désintéressement en qualité de pharmacien. On ne peut pas dire qu'il soit entré dans la Résistance, il l'a fait naître dans son canton, il l'a littéralement maternée sans le moindre militantisme dès que la persécution amena les premiers réfugiés lorrains ou juifs dans la région. Il nous paraît aujourd'hui plus important que jamais d'expliciter ce que, faute de mieux, nous appelons son absence de militantisme. Enraciné dans la population qui l'entourait, d'une simplicité naturelle communicative, rayonnant de bonté pure qui le faisait déborder d'indulgence, côtoyant par métier les petites comme les grandes misères, il allait aussi spontanément que simplement vers elles. Il y allait sans grands mots, sans références, pour aider à la mesure de ses moyens avec un sens éminent du concret et un coeur immense. Il glissa ainsi, dès 1940, de l'hébergement des réfugiés aux faux papiers, puis au camouflage des réfractaires au STO ou des clandestins actifs, au ravitaillement des maquis et à la planque des parachutages. Tout cela se fit au bénéfice de quiconque en eut besoin, et sans qu'aucune des organisations militantes du moment ait jamais pu se prévaloir de son adhésion. Tout cela se passait sans la moindre forfanterie, dans le calme le plus absolu, au mépris des risques matériels et familiaux qui en découlaient et qui étaient d'autant plus énormes que notre imprudence collective les multipliait. Rétrospectivement, nous frémissons encore d'une inconscience que notre jeunesse et notre inexpérience pouvaient seules excuser. Faut-il ajouter que nous n'avons jamais noté le moindre geste d'impatience, même maîtrisé, à notre égard comme à l'égard de quiconque le contraignit à s'exposer et à exposer les siens par voie de conséquence. Et pourtant... comment oublier le prix que ce tendre payât en la personne d'un de ses quatre enfants ? Comment oublier la sérénité affichée de son épouse devant ses va-et-vient continuels et les nôtres, dans l'illégalité forcenée de l'époque ? » 

On avait demandé à Jean Chancel de résumer ses activités, certainement pour la constitution d’un dossier pour l’obtention d’une décoration. Voici son propre témoignage :
Les activités de Jean Chancel par lui-même /
- Aide aux Juifs traqués par les Allemands.
- Aide aux jeunes appelés pour le STO.
- Organisation de placements à la campagne.
- Aide au premier maquis de la région à Ratières. Octobre ou novembre 1943.
- Ce maquis attaqué par les Allemands, le 3 février 1944, j'ai aidé à sauver le radio et l'état-major Drôme-Nord.
- Faux papiers, cartes d'alimentation. Pour aider à camoufler de nombreuses personnes, je me suis procuré des tampons "Préfecture de la Drôme" et j'ai établi un très grand nombre de cartes d'identité (plusieurs milliers). Je me suis mis en rapport avec le secrétaire de mairie pour avoir des titres de rationnement.
- J'ai sauvé 5 aviateurs anglais qui, à la suite d'une panne, avaient sauté en parachute dans notre région. Le premier m'a été amené par une personne qui connaissait mon activité résistante et j'ai recherché les autres.
(En marge, ajouté d'une autre écriture) Est allé chercher un maquisard blessé et l'a gardé chez lui.
- C'est chez moi que se rassemblaient les chefs de la Résistance de la Drôme-Nord et que se faisaient de nombreuses liaisons.
- Avant le Débarquement, j'avais organisé un hôpital clandestin d'une dizaine de lits où ont été soignés de nombreux maquisards blessés ou accidentés. Du 6 au 15 juin, une grosse activité de cet hôpital. Mais le 15 juin, le pays est attaqué par plusieurs milliers d'Allemands. Je suis obligé de quitter le pays avec toute ma famille (Ma fille aînée devait mourir, en août, du mauvais traitement des Allemands, ce jour).
- Je rejoins le maquis, adjoint du commandant Noir (mort en Alsace). Je partis, vers le 10 juillet, au Vercors, demandé par Monsieur le docteur Rigal et je deviens son adjoint. Nous quittons Saint-Martin-en-Vercors le 15 juillet pour Die. Nous organisons le service de santé de toute la Drôme.
- Le 23 juillet, nous sommes obligés de partir par la montagne, les Allemands ayant attaqué. Nous arrivons à Bourdeaux, puis Dieulefit.
- Le 25 août, voyant la libération prochaine, je réussis à revenir à Saint-Donat, j'avais ici des devoirs. J'avais été désigné, pendant la clandestinité, comme président du Comité de Libération.
- Je prends de suite ma place à la mairie et je transporte mon petit hôpital, qui n'avait pas fonctionné pendant mon absence, dans une école libre. Nous soignons de nombreux blessés. En octobre, mon hôpital est transporté dans un pensionnat d'usine et fonctionne jusqu'à l'hiver.


Jean Chancel a reçu plusieurs décorations, la Médaille de la Résistance en janvier 1944, la Croix de Guerre avec palme, en septembre 1944 dont la Croix de Guerre et « the King's medal for courage » qui lui a été remise à Marseille le 13 juin 1947.

La citation pour la Croix de Guerre indique : « A délibérément exposé sa famille, sa personne et ses biens pour sauver l’équipage d’un avion britannique tombé dans la Drôme fin janvier 1944 ». On peut noter une légère erreur de date, c’était le 9 février. On aurait pu ajouter d’autres raisons à cette citation.

Mady Chancel a été associée aussi à la reconnaissance britannique.

Jean Chancel décède le 27 septembre 1952 et Mady Chancel, le 20 août 2004.


Auteurs : Jean Sauvageon
Sources : René Fanet et Yves Simon, « Contribution à un historique de la Résistance de la Drôme ». Nombreuses rencontres entre Mady Chancel et Jean Sauvageon.