Photographie prise clandestinement dans la centrale d’Eysses

Légende :

Cliché pris entre octobre 1943 et février 1944.

Genre : Image

Type : Photographie

Source : © Dépôt MRN, fonds Amicale d'Eysses Droits réservés

Détails techniques :

Photographie argentique en noir et blanc.

Date document : Entre octobre 1943 et février 1944

Lieu : France - Nouvelle-Aquitaine (Aquitaine) - Lot-et-Garonne - Villeneuve-sur-Lot

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Analyse média

Cette photographie a été prise clandestinement dans la centrale entre octobre 1943 et février 1944 devant une grille séparant deux préaux. Les détenus photographiés sont de gauche à droite :

- Henri Seren, né le 25 janvier 1923 à Marignane. Condamné en janvier 1941 par le tribunal militaire de Marseille à 8 ans de travaux forcés, il arrive à Eysses le 15 octobre 1943.
- Nicolas Terrana, né le 6 avril 1920 à Ravamusa (Italie), boulanger à Marignane. Condamné en janvier 1941 à 20 ans de travaux forcés par le tribunal militaire de Marseille, il est incarcéré à Eysses le 15 octobre 1943.
- Francis Roche, né le 7 juin 1922 à Marignane, ferrailleur. Condamné en avril 1943 à 7 ans de travaux forcés (peine commuée en 3 ans de prison), il arrive à Eysses le 15 octobre 1943.
- Marcel Roche, né le 27 février 1922 à Lyon, imprimeur. Condamné en août 1941 à 5 ans de travaux forcés, il est transféré à Eysses le 15 octobre 1943.

Ils portent tous les quatre la tenue de bure réglementaire et deux d’entre eux portent un béret. A Eysses, seuls les délégués des détenus portaient une veste bleue de velours, et certains vêtements civils étaient autorisés. Cette libéralité accordée par le directeur Lassalle sera supprimée avec la loi du 26 février 1944 qui rétablira l’application stricte du régime de centrale et le port obligatoire du costume pénal. La coupe de cheveux de Marcel et de Francis Roche est significative de l’assouplissement du régime carcéral de la prison avec l’arrivée massive des détenus résistants en octobre 1943. En effet, le directeur Lassalle ne contraint plus les emprisonnés à avoir le crâne rasé comme le prévoit le règlement.

Deux des protagonistes, Henri Seren et Nicolas Terrana, sont jugés et condamnés en janvier 1941 par la même juridiction. On peut donc supposer qu’ils appartenaient à la même organisation de résistance. Francis Roche est ferrailleur à Marignane, la même localité où étaient domiciliés Seren et Terrana. Il est donc possible qu’il y ait eut là un regroupement à Eysses par affinités géographiques. Quant à Marcel Roche, nous n’avons pu déterminer ses liens avec les autres résistants photographiés (peut-être un lien familial avec Francis Roche vu qu’ils portent le même patronyme).


Auteur : Fabrice Bourrée
Sources : Documentation Corinne Jaladieu.

Contexte historique

Ces photographies prises à Eysses sont issues d’un fond exceptionnel : les anciens détenus résistants d’Eysses ont conservé un carton entier de photos prises dans la centrale entre décembre 1943 et janvier 1944, avec un appareil photo rentré clandestinement. Certaines ont été développées grâce à l’aide de la résistance extérieure et la complicité de certains surveillants et envoyées aux familles. L’appareil photo comprenant les derniers négatifs, camouflé dans la cour du préau 1 avant la livraison des détenus aux SS et leur déportation, a été récupéré en 1945.

Ces clichés sont essentiellement des photos de groupe prises dans les préaux ou quelques photos individuelles. Scènes de vie quotidienne, elles sont en apparence banales, mais si l’on y jette un regard plus précis, elles interpellent l’historien sur l’image que les prisonniers ont souhaité renvoyer d’eux-mêmes et de leur vie derrière les barreaux.

Quelques photos sont même exceptionnelles si on les replace dans leur contexte : prises par des détenus politiques incarcérés dans les prisons de Vichy. C’est le cas des clichés qui immortalisent un événement particulier survenu à la centrale d’Eysses : la cérémonie funèbre et les honneurs rendus par ses camarades à un interné administratif, Barthélemy Duprillot. Arrivé à Eysses le 23 octobre 1943 avec les autres internés, il s’est donné la mort pendant la bataille dite des "Trois glorieuses", le 10 décembre 1943, de peur d’être livré aux Allemands. 

Les photos prises dans la centrale saisissent rarement des individus seuls, à l’exception des délégués des détenus comme Henri Auzias photographié quelques semaines avant son exécution par la cour martiale le 23 février 1944. La plupart sont des clichés de frères d’armes. La photo est le résultat d’une volonté d’immortaliser des moments de joie mais aussi de détermination collective, alors que pour beaucoup ces années de clandestinité furent marquées par la peur. Replacée dans son contexte, elle résonne comme un défi, renvoyant l’image de combattants. 


D'après l'ouvrage de Corinne Jaladieu, La prison politique sous Vichy. L’exemple des centrales d’Eysses et de Rennes, L’Harmattan, 2007.