Deux « indésirables » tchèques internés au GTE de Crest

Genre : Image

Type : Photo

Producteur : Inconnu

Source : © Collection François Jonas Droits réservés

Détails techniques :

Photographie argentique noir et blanc d'époque.

Date document : Sans date

Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Drôme - Crest

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Analyse média

Les Tchèques, Charles Marak et François Jonas, dans la cour du camp. Derrière eux, les baraques en bois, puis le bâtiment perpendiculaire à la Drôme, avec, à son extrémité à l’aplomb de la tour de Crest, l’appartement du chef de camp donnant sur la rivière.

Photographe non identifié.


Auteur(s) : Robert Serre

Contexte historique

Au lendemain des accords de Munich (30 septembre 1938), les nazis occupent la République tchécoslovaque (les Sudètes dès le 1er octobre et, au mépris des accords, le reste en mars 1939).
Après la déclaration de guerre du 3 septembre 1939, les dirigeants tchèques repliés à Paris forment un Comité national et signent les 2 et 17 octobre 1939 une convention avec Daladier, alors président du Conseil et ministre de la Guerre, permettant la reconstitution de l'armée tchèque en France. Dès le 12 septembre, en accord avec le gouvernement français, avait été décidée la création d'un centre d'instruction militaire de cette future armée au camp d'Agde, dans l'Hérault. Le Comité national tchécoslovaque mobilise ses compatriotes : le 17 novembre 1939, il rassemble ceux résidant en France ou fugitifs de Tchécoslovaquie. Au total 11 400 hommes s’engagent, dont Charles Marak, représentant de commerce installé en France depuis octobre 1924, et le tailleur François Jonas, venu à Paris en mars 1938 faire un stage de haute couture chez Lanvin.

La formule d’engagement signée par les volontaires tchèques souligne leur « désir de prouver [leur] entière loyauté envers la France ». Jusqu'au 15 novembre, trois régiments ou bataillons d'infanterie sont formés à Agde. Parmi ces hommes, beaucoup n'ont aucune instruction militaire, ils font donc leurs «classes » pendant la « drôle de guerre ».

Le 10 mai 1940, Hitler attaque. En trois semaines, les lignes françaises sont percées, des milliers de nos soldats sont tués ou faits prisonniers. Pour le reste de l'armée, c'est la débâcle. L’exode des populations vers le sud commence, le gouvernement de Paul Reynaud se replie à Bordeaux, il est peu après remplacé par celui de Pétain. Les deux régiments tchécoslovaques amenés au front partagent notre défaite. Ils se trouvaient, sous le commandement de généraux français, à Montigny-sur-Aube et sont dirigés vers les abords de Paris. Cette armée combat du 11 au 13 juin dans le secteur de Coulomiers et La Ferté-sous-Jouarre. Comme l'armée française, elle doit se replier en une retraite épuisante. Les deux régiments suivent des itinéraires à peu près parallèles. De la Marne où elle a livré une bataille de tranchées, l'armée tchèque recule d’abord jusqu’à la Loire. Du 16 au 18 juin, au pont de Gien, elle subit un intense bombardement. Le repli continue. « Il fallait marcher jour et nuit ». Beaucoup n'arrivent plus à suivre et sont pris par les Allemands ou, s'ils sont trouvés les armes à la main, abattus sur place. « Nous dormions dans les fossés au bord de la chaussée, incapables d'aller plus loin ».

Le 19, ils sont à Vierzon dans le Cher, le 20 à Châteauroux. Ils iront ainsi jusqu'au sud de Limoges.

Le 20 juin, l'état-major décide l'évacuation des soldats. Cinq mille parviendront ainsi en Angleterre. Les autres sont ramenés en train à Agde où, pendant deux mois, désarmés, ils stationnent sans rien faire, seulement tenus d'être présents à l'appel du soir, considérés « comme des détenus politiques par le nouveau gouvernement français et comme des adversaires par les officiers de la nouvelle armée française [mais] traités comme des prisonniers. Le camp est entouré de barbelés et ceinturé de mitrailleuses. Les conditions de vie sont épouvantables : manque d’hygiène, d’eau, chaleur insupportable en été, hiver très rude cette année-là (le canal du midi était gelé), poux, puces, mauvaise nourriture. Le 26 août 1940, la commission Kundt, qui visite les camps de la zone non occupée, recense 3 367 Tchécoslovaques au camp d’Agde. Ces hommes qui, quelques mois auparavant, combattaient aux côtés de nos soldats, puis partageaient leurs souffrances dans la retraite, sont devenus des « étrangers indésirables ». C’est alors que le décret-loi du 27 septembre 1940 crée les Groupements de travailleurs étrangers.

Après leur transfert à Crest, les deux hommes ont la chance d’être affectés aux emplois les plus tranquilles. François Jonas, le tailleur de haute couture, qui intéresse le chef de camp et ses amis de la bourgeoisie collaboratrice locale, est logé dans un bâtiment perpendiculaire, qui était auparavant le bâtiment usinier dominé par la grande cheminée et où la roue motrice est à l'arrêt. Il dispose d'une pièce contiguë au logement du chef de camp, qui lui sert d'atelier. Marak doit à son bagage intellectuel d’être choisi comme secrétaire du camp. Deux véritables « planques » ! Cela n’empêche pas d’être menacés à tout moment.

En août 1943, François Jonas, de retour d'une permission en bonne et due forme, est arrêté dans le train lors d’un contrôle allemand, menotté et emmené à l'Ecole militaire de Santé, rue Berthelot, à Lyon, siège de la Gestapo. Jonas est horrifié de voir le matraquage que subissent ses codétenus. Mais son interrogatoire est bref et sans violence. Il est parfaitement en règle et la Gestapo se trouve sans argument. Les hommes arrêtés sont emmenés à la prison de Montluc. Dans la cellule, les banquettes sont farcies de punaises : impossible d'y rester allongé. François est au désespoir, d'autant que personne ne sait où il est. Impossible, pendant les deux premiers jours, d'ingurgiter l’affreuse mixture de pommes de terre et de légumes baignant dans la gamelle. Ce n'est que le troisième jour que Jonas parvient à avaler ce menu. En grimpant acrobatiquement sur une étagère, ils peuvent voir un coin de rue par la fenêtre. Une seule sortie, le matin, pour vider le seau hygiénique, faire quelques tours de cour et rapporter un peu d’eau dans une boîte de marmelade vide. Rien n'est prévu pour faire sa toilette, sinon un rasoir pour tout l’étage ! De sa cellule, il entend de temps en temps des cris, des gémissements montant des caves voûtées de la prison : les gens qu’on torture poussent d’horribles hurlements. À plusieurs reprises, Jonas est ramené au siège de la Gestapo pour y être interrogé, dont une fois par Klaus Barbie.

Jonas est inclus dans un transfert vers l'Allemagne de quinze prisonniers, qui sont amenés à la gare des Brotteaux en camion. Dans la salle d'attente, les prisonniers sont gardés par cinq ou six Allemands armés de mitraillettes qui passent leur temps en mangeant et buvant de la bière. Grâce à la complicité d’un jeune homme portant un brassard de la Croix-Rouge, Jonas parvient à s’évader de la gare. Il trouve une « planque » pour la nuit dans un cabanon. Le lendemain il prend le tramway jusqu'au terminus à Bron, puis, à pied, s'engage sur la route en direction du sud. Dans une ferme, on lui donne de la soupe, on le fait coucher dans le foin et, le matin, l’agriculteur l'accompagne pour lui faire traverser la grande route sans danger. Le troisième jour, il arrive enfin chez ses amis de Beaurepaire, Après quelques repos, François revient à Crest où il retrouve sa fiancée Simone, qu’il épousera après la Libération. On est surpris par le nombre de travailleurs étrangers du camp, comme Jonas, que l’amour fixera dans notre région.


Auteur(s) : Robert Serre
Sources : Hervé Mauran, Vincent Giraudier, Jean Sauvageon, Robert Serre, Des Indésirables. Les camps de travail et d’internement durant la Seconde Guerre mondiale dans l’Ardèche et la Drôme, éditions Peuple Libre - Notre Temps, Valence, 1999. Denis Peschanski, Des étrangers dans la Résistance, Les éditions de l’Atelier, Paris, 2002.