Val de Vassieux-en-Vercors

Légende :

Photo prise au nord du hameau de la Mure, en direction du sud. On aperçoit parfaitement les caractéristiques d'un val : ample nef inversée au fond (1050 m) arrondi dominé par des sommets, But de Nève (1656 m) au sud-est.

Genre : Image

Type : Photographie

Producteur : cliché Alain Coustaury

Source : © Archives Alain Coustaury Droits réservés

Détails techniques :

Photographie argentique couleur.

Date document : 2006

Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Drôme - Vassieux-en-Vercors

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Analyse média

Le val de Vassieux-en-Vercors présente toutes les caractéristiques du relief dit jurassien : fond arrondi, surface relativement plane mais perforée de scialets, dolines qui ont nécessité leur comblement et leur aplanissement pour pouvoir réaliser une piste sommaire d'atterrissage au sud du village. Codée « Taille-crayon », elle était pratiquement terminée le 21 juillet 1944.


Auteur : Alain Coustaury

Contexte historique

Après une présentation du Vercors, Pierre Dalloz propose un plan pour utiliser militairement les particularités géographiques de ce massif calcaire. Ces considérations sont à l'origine du « projet Montagnards ».

Pour comprendre et analyser l'histoire du Vercors résistant, il est indispensable d'avoir en mémoire l'écrit de Pierre Dalloz. Ce document a eu une trajectoire complexe, partant du Vercors, passant par Bourg-en-Bresse pour aboutir à Londres. De même, des personnages importants de la Résistance l'ont eu entre les mains, l'ont analysé et en ont reconnu l'intérêt. Après le drame du Vercors, dans l'après-guerre, le projet Montagnards a été fortement critiqué ainsi que son auteur par des personnes qui, très souvent, ne l'avaient pas lu. Il est donc nécessaire de l'appréhender dans son intégralité, sinon le risque de commettre des contresens historiques est réel.

Pierre Dalloz décrit d'abord le massif qu'il connaît particulièrement bien.

« Il n'est pas en France de citadelle naturelle comparable à celle du Vercors. Cette région comprend en gros les hauts plateaux d'Autrans, du Villard-de-Lans et de La-Chapelle-en-Vercors, à une altitude d'environ mille mètres. Au nord, à l'est et au sud, le Vercors est protégé par une chaîne montagneuse presque continue (sommets de 1 600 à 2 300 mètres) qui présente à l'extérieur des escarpements calcaires de plusieurs centaines de mètres. À l'ouest, du côté de la basse vallée de l'Isère, le rempart comporte quelques brèches qui correspondent à des vallées d'effondrement. Mais, là encore, le rebord du massif est partout taillé à pic, du côté de l'extérieur. Des routes empruntent ces entailles naturelles dans la falaise. Elles sont bien connues des touristes. Ce sont les routes de Combe Laval, des gorges de La Bourne, des Grands Goulets, des Écouges. Leurs noms éveillent dans l'esprit des souvenirs de chaussées taillées dans le roc, au-dessus de précipices de plusieurs centaines de mètres, de balcons aériens et de tunnels. En fait, nous le montrerons plus loin, en analysant la valeur défensive des rares voies de pénétration dans le Vercors, la citadelle serait plus facile à protéger du côté de l'ouest que du côté de l'est. Voici les dimensions de la forteresse, d'ailleurs aisément réductibles en cas de besoin :
- 55 kilomètres du nord au sud,
- 10 à 20 kilomètres dans le sens est-ouest de la moitié sud,
- 10 à 15 kilomètres dans le sens est-ouest de la moitié nord.

Par la suite, Pierre Dalloz emploie des termes locaux pour décrire les particularités géographiques du massif. Ils ne correspondent pas aux définitions des géographes : le plateau de Lans est un val, les vallées ne sont pas des cluses, par contre les Goulets en sont. Mais le lecteur local connait tous ces paysages.

Le centre du Vercors est occupé par de larges vallées longitudinales, orientées nord-sud, et qui sont assez semblables aux Cluses du Jura. Leur fond est occupé par des cultures, et surtout par des pâturages. Elles sont bordées de crêtes garnies de forêts. Ces hautes vallées sont peu nombreuses. Nous distinguerons : - le plateau de Lans au Villard-de-Lans, - la vallée de Méaudre et d'Autrans, - le plateau allongé de Saint-Martin-La-Chapelle et de Saint-Agnan-en-Vercors. D'autres caractères naturels du Vercors doivent être mentionnés, dans la mesure où ils peuvent déterminer une utilisation militaire possible de la région. Le Vercors est une véritable éponge, tant il est percé de rivières souterraines, de grottes, d'avens, que l'on appelle dans le pays des scialets. Tout ce réseau souterrain est mal connu ou tout à fait inconnu des habitants du plateau. Par contre, il est parfaitement connu et utilisable par le rédacteur de ces lignes.
(En fait, je ne connaissais pas personnellement le réseau souterrain du Vercors. Mais Jean Lefort en connaissait une partie et surtout je comptais sur la collaboration d'un spéléologue qui le connaissait personnellement. Cette collaboration dans les débuts nous fit défaut, note de Pierre Dalloz, 1980). Le Vercors est un pays de pâturages, donc de bétail et de laitages. Une troupe, même nombreuse, pourrait y subsister aisément. Enfin le Vercors est un pays de population groupée. D'immenses étendues séparent les villages et les hameaux bien définis. Sa population, qui envoyait au Parlement des représentants socialistes, est dans sa très grande majorité républicaine, donc nettement pro-alliée.

Programme d'action immédiate
Nous constituons dans le secret un petit comité de quelques membres. Nous disposons des quelques milliers de francs nécessaires pour la période d'études. Nous disposons aussi de plusieurs jeux de la collection des cartes de la région à 1/20.000. Quelques-uns d'entre nous, officiers de réserve, connaissent parfaitement la région et les conditions générales de la guerre en montagne. Quelques-uns d'entre nous disposent de moyens de circulation et de pièces officielles leur permettant de justifier leur présence en quelque lieu que ce soit de la région, et à quelque moment que ce soit. Nous proposons d'étudier un plan de protection complet du Vercors soit :
- la création de corps-francs (nombre, commandement, effectif, armement, cantonnement, emplacement),
- de plans de feu défensifs pour chaque voie d'accès. L'effectif des corps-francs ci-dessus sera demandé à la population locale. Nous avons connaissance d'une certaine agitation gaulliste parmi la jeunesse du pays. Notre intention est de ne prendre contact avec ces éléments que dans la mesure où la nécessité nous y forcera, peu à peu, avec beaucoup de circonspection et de prudence. Mais nous établirons un inventaire des gens sûrs et utiles. (Je me méfiais déjà de la turbulence des maquis. À l'époque où je tapai cette note, les camps de réfractaires au STO commençaient à peine de naître, note de Pierre Dalloz 1980).

Nous proposons encore :
- de reconnaître et d'aménager un petit nombre de terrains d'atterrissage clandestins. Plusieurs emplacements existent dans le Vercors. Nous sommes prêts à accueillir et à guider vers eux les spécialistes qui seraient envoyés pour donner leur avis sur la valeur de ces terrains,
- de recueillir et de placer en lieu sûr les armes, les explosifs, l'outillage nécessaire à la réalisation de nos projets,
- d'accueillir et de piloter les agents alliés qui pourraient être déposés ou lâchés par parachute,
- d'amener aux terrains, dans des conditions analogues, les personnes que le commandement allié désirerait faire évader de France. Plus tard, et lorsque l'ordre nous en serait donné, nous procéderions à l'instruction de nos corps-francs.

Programme d'action ultérieure
Cette partie de notre plan ne peut évidemment que prendre place dans le cadre d'une occupation de la France par les Alliés. Sous la protection d'un réseau de patrouilles et de postes défensifs que nous aurions organisés, les Alliés auraient la possibilité de procéder à des débarquements aériens de troupes et à des lâchers de parachutistes dans le Vercors. Ils pourraient ainsi créer, sur les arrières de l'ennemi, dans une position dangereuse pour lui, une puissante forteresse d'où pourraient être lancés, dans d'excellentes conditions, des raids vers des régions industrielles et des voies de communication fort importantes. Des troupes ainsi déposées pourraient être cantonnées et subsister sur place. Renforçant nos propres troupes, elles auraient la possibilité de tenir longtemps dans le pays. Nous avons parlé plus haut de terrains d'atterrissage clandestins. En cas d'occupation massive du Vercors, d'autres terrains meilleurs prendraient leur rôle : notamment la magnifique plaine au sud de Lans.

Parmi les objectifs vulnérables du Vercors, mentionnons :
- au nord : la ligne SNCF de Grenoble à Lyon (10 km à vol d'oiseau), la ligne SNCF de Grenoble à Valence par Moirans (5 à 6 km à vol d'oiseau), les ponts sur le Drac ou l'Isère (de Veurey, de Saint-Quentin, de Tullins, de Romans).
- à l'est : la région de Grenoble, la région industrielle de Pont-de-Claix et de Vizille, industries chimiques (10 km à vol d'oiseau), le point de jonction des lignes à haute tension venant des barrages du Sautet et du Chambon. Du Pont de Claix au Bec de l'Échaillon, une ligne très importante, avec quelques très grandes portées, pénètre dans le Vercors même. Elle serait très aisément et très gravement vulnérable en plusieurs points, la ligne SNCF de Grenoble à Marseille par Veynes, dite ligne des Alpes. Cette ligne, qui longe le rebord est du Vercors dans des régions très accidentées, se trouve à 6 ou 7 kilomètres à vol d'oiseau de la crête. Elle comprend de nombreux ouvrages d'art : tunnels, viaducs.
- au sud : la ligne SNCF de Livron à Veynes et Briançon par Die. Nombreux ouvrages vulnérables. 10 km à vol d'oiseau du col du Rousset.
- à l'ouest : la région industrielle de Romans-sur-Isère et Bourg-de-Péage (20 km à vol d'oiseau), Valence et la ligne SNCF Paris-Lyon-Marseille (40 km à vol d'oiseau des forêts de Léoncel et de Bouvante). Le Vercors, on le voit, par sa situation, ses possibilités de défense, les facilités qu'il procurerait au lancement de raids, pourrait jouer, en cas de situation critique de l'ennemi, un rôle perturbateur de premier ordre. Avant de dépasser le premier stade de nos projets, nous tenons à savoir :
- dans quelle mesure notre programme d'action immédiate peut présenter de l'intérêt pour le commandement allié ?
- même question pour le programme d'action ultérieure :
- dans quelle mesure nous recevrons de l'aide : armes, outillage, etc. ?
- les moyens de liaison dont nous disposerons,
- les moyens d'assistance sur lesquels nous pourrons compter dans le cas où notre organisation serait éventée.

Note importante : Le projet ci-dessus ne serait évidemment réalisable que par surprise et à la faveur d'un état de désorganisation déjà avancé de l'ennemi. Noter que, pour le moment, une garnison d'Alpini se trouve à Grenoble et que des éléments d'artillerie allemands (DCA) occupent également la ville. L'occupation du Villard-de-Lans par une compagnie italienne compromettrait très gravement tous nos projets ».

Décembre 1942


Cette copie est l'une des trois copies originales que j'ai tapées dans la ferme des Côtes une nuit de décembre 1942. L'une a été remise par Farge à Jean Moulin dans le courant de janvier 1943. Une autre a été remise par moi-même au général Delestraint à Bourg, le 10 février 1943, et emportée par lui à Londres à la pleine lune de ce même mois. Ce document marque vraiment l'origine de l'affaire militaire du Vercors.

22 novembre 1944

Après une analyse de la particularité géographique du massif, des ressources qu'il recèle, Pierre Dalloz, prudemment, progressivement, propose une série d'actions locales puis des opérations militaires, en partant du massif, en direction des vallées adjacentes. Ce qui ressort de tout le document est l'extrême prudence de son auteur. L'emploi du mode conditionnel est systématique.

Toutefois, si Pierre Dalloz envisage bien l’arrivée d’éléments alliés ou de matériel par voie aérienne, il n’envisage pas du tout que les mêmes moyens pourraient être utilisés par les Allemands. Parmi les objectifs vulnérables, il n’indique pas l’aérodrome de Chabeuil.

Les détracteurs du projet, après la guerre, ont reproché à Pierre Dalloz d'avoir conçu quelque chose d'irréaliste, de théorique, ne tenant pas compte des conditions du moment, des réalités du terrain. Or, si on lit correctement ce que l'on appellera, à tort, le plan Montagnards, on constate que Pierre Dalloz précise bien que son projet ne peut se réaliser que si l'armée allemande est désorganisée et que si les Alliés apportent un soutien efficace à la Résistance.


Auteurs : Gilles Vergnon, Alain Coustaury
Sources : Dalloz Pierre, Rapports sur le Vercors, Une semaine dans le monde, 1947. Dalloz Pierre, Vérités sur le drame du Vercors, Paris, Fernand Lanore, 1979.