Suzanne Tony Robert

Légende :

Portrait de Suzanne Tony Robert, fondatrice du réseau Cohors en Seine-et-Marne

Genre : Image

Type : Photographie

Source : © Bureau Résistance Droits réservés

Détails techniques :

Photographie analogique en noir et blanc.

Date document : Vers1946

Lieu : France - Ile-de-France - Seine-et-Marne

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Contexte historique

Née le 8 décembre 1900 à Maubeuge (Nord), Suzanne Tony Robert a épousé un polytechnicien, président des raffineries Say. Le couple possède le château de Forcilles, près de Ferolles-Attilly, non loin de Brie-Comte-Robert. Habitant Paris, ils n'y viennent guère qu'en week-end et une dizaine de jours en septembre, consacrant l'été à une cure à Vichy. C'est en 1940 qu'ils choisissent de s'y installer de façon plus permanente qu'auparavant. Les relations avec les Briards sont rares si l'on excepte quelques mondanités dans les châteaux de Ferolles et de Lesigny. Suzanne Tony Robert attend peu de ses voisins : "soit par peur, soit par idéologie, la crainte du développement du communisme et le souvenir des événements de 1936 étaient souvent pour beaucoup dans leur attitude mentale" (témoignage S. Tony Robert). Héritière d'un grand-père franc-tireur de 1870, cette femme va sous l'occupation faire preuve d'un grand courage, trouvant finalement auprès des Briards des alliés plus nombreux que prévu. Dès l'été 1940, accompagnée de sa belle-fille, elle arrache des mains de soldats allemands stupéfaits, au beau milieu de la place du marché à Brie, des brochures de propagande qu'elles jettent en piles dans un égout avant de disparaître sur leurs bicyclettes. Elle se fait par la suite expulser de la Kommandantur où elle était venue protester contre des manoeuvres militaires ayant pris place dans son parc : l'interprète, puis le chef de la brigade de gendarmerie lui conseillent de conserver profil bas. Le 1er septembre 1941, Jean Cavaillès et le docteur Bertrand, de Villecresnes, venus en motocyclette, se présentent à la grille du parc du château. Cavaillès, en l'absence de la propriétaire, laisse une lettre pour celle qu'il nomme sa "cousine". Celle-ci lui répond en fixant la date d'une autre rencontre. Cavaillès est venu sur la recommandation d'un "ami commun", d'Astier de la Vigerie, qu'en fait Suzanne ne connaît pas. Les deux "cousins" finissent par retrouver le nom de l'intermédiaire, rencontrée effectivement chez d'Astier et embarquée pour l'Espagne avant l'exode...

Jean Cavaillès peut exposer les grandes lignes de son projet : établir en zone nord une organisation analogue à celle que d'Astier a créée dans le sud sous le nom de Libération, laissant choisir à son hôtesse son volet d'activité : action, évasion, politique, renseignement. Peu au fait des autres questions, Suzanne Tony Robert, à priori acquise, choisit le renseignement : "Le renseignement me paraissait offrir la meilleure voie à mon activité, étant donné les possibilités que nous pourrions utiliser des usines que contrôlait mon mari" (ADSM, Mdz 1266). En fait, si elle s'est décidée à faire jouer l'éventail de relations, particulièrement hors de la Seine-et-Marne, et puise parmi les anciens polytechniciens occupant des postes notables (Ponts-et-Chaussées, Télécommunications, SNCF...). C'est cependant surtout dans un environnement très proche qu'elle cherche à recruter. Ainsi, pourvue d'un important catalogue de pseudos ("Agathe" ou "Odette Delors", "Suzanne Lorraine", "Madame Delalande" et sept autres encore dont "RK 182" pour le BCRA), Suzanne Tony-Robert met sur pied le sous-réseau Seine-et-Marnais de Cohors alors que le mouvement Libé-Nord n'est pas encore implanté dans le département.

Son mari, acquis à son activité, va fournir des renseignements sur les entreprises et les installations portuaires. Elle s'ouvre par ailleurs à des amis médecins, Jean et Geneviève Congy, patriotes révoltés par la défaite, qui, en dépit de leurs charges familiales et de la santé précaire de Jean, acceptent d'entrer dans le réseau. On recrute parmi les patients du couple Congy mais également dans sa sphère amicale et professionnelle. Le réseau s'étend ainsi à Montereau avec le docteur Delaigue ("Frédéric"), à Vaires avec le docteur Mathieu, de l'hôpital Laennec, lié aux cheminots, à Corbeil avec le docteur Bertrand. Henri Sergent, observateur de l'aérodrome de Villaroche est recruté ainsi que Fernand Cauvin ("Adrien"), employé à Radio-France à qui on devra plans et renseignements sur la station de Sainte-Assise tenue par la Kriegsmarine, et surtout les codes utilisés pour les sous-marins (avril 1943). Ajoutons informations et documents sur le central téléphonique et les installations de la Luftwaffe à Gretz-Armainvilliers, sur les passages et stationnements d'unités observés par les gendarmes locaux. A cette tâche de renseignement s'intéresse bientôt une soixantaine d'agents (59 selon Marie Granet), divers sur un plan social alors que les membres des professions libérales, au premier rang desquels les médecins, constituent la cheville ouvrière.

Suzanne Tony Robert orchestre cet ensemble et, tout en recrutant des agents de liaison, transporte elle-même les renseignements dans le panier de sa bicyclette, dissimulés sous des légumes, avant de les acheminer à Paris où elle reçoit en retour des directives. Elle emprunte pour cela la ligne de la Bastille. A un moment difficile, le secrétaire général de la SNCF lui proposera l'utilisation d'une locomotive haut-le-pied. Le réseau compte bientôt neuf "maisons" (refuges), une douzaine de boîtes aux lettres. Une filière d'évasions vers l'Espagne est envisagée ainsi que des terrains de parachutage et des groupes d'action, Suzanne Tony-Robert débordant ici ses premiers choix et ses orientations initiales.

Pour les parachutages, un premier terrain ("Cobalt") est fixé près de Forcilles, non loin de souterrains pratiques pour dissimuler les containers. Le message lié au terrain sera : "le cobalt est cher aux peintres". Un second, "Tungstène", en Gâtinais (secteur VPO) est réservé pour les opérations "Mercédès" (les messages débutent par ce mot). Un troisième terrain, près La Tombe, est réservé aux Monterelais. Après bien des déboires notamment liés aux conditions météorologiques, générateurs de suspectes allées et venues, un parachutage a lieu en août 1943 apportant armes et argent. C'est à la suite de cette opération et au moment même de l'arrestation de Cavaillès à Paris que le sous-réseau reçoit des coups sévères, entre le 25 et le 28 août 1943 : les Allemands arrêtent huit agents dont Jean Congy, Sergent, le commissaire Morel.

Si le réseau a subi un coup très rude, les groupes d'action de Libération-Nord continuent à s'organiser à Brie, bientôt séparés de Cohors. Suzanne Tony Robert poursuit son action à "Asturies", depuis Paris, gardant des liens avec Brie, grâce à un employé des moulins de Verneuil-l'Etang, Charles Petit. Dans un rapport qu'il adresse au BCRA, Jean Gosset, qui dresse par ailleurs un tableau par trop pessimiste de la situation, mentionne que des éléments sérieux demeurent après les arrestations, "sans compter une animatrice incomparable, Suzanne Lorraine". Il rendait ainsi hommage à l'âme de ce réseau qui, s'il voit son activité se réduire à partir de l'été 1943, va continuer néanmoins à fournir des renseignements avec les docteurs, Germaine Congy, Mathieu et Delaigue, avec Lyon, Denier, Charles Petit... Ces hommes participeront en outre aux combats de la Libération.


Fabrice Bourrée, " Suzanne Tony Robert " in DVD-Rom La Résistance en Ile-de-France, AERI, 2004.