Approche finale sur l'aérodrome de Valence-Chabeuil-la Trésoerie

Légende :

Vue du sud de l'aérodrome actuel de Valence-Chabeuil-La Trésorerie. En 1943, 1944, l'emprise des installations allemandes couvrait une bonne partie de la plaine de Valence-Chabeuil. Elles s'étendaient sur 8 km du nord au sud et de 7 km d'ouest en est.

Genre : Image

Producteur : Alain Coustaury

Source :

Détails techniques :

Photo numérique aérienne prise lors d'une phase d'atterrissage sur l'aérodrome.

Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Drôme - Chabeuil

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Analyse média

La photo met bien en évidence la plaine de Valence-sur-Rhône, barrée au nord par les collines de la Drôme des collines. La piste, en dur, est orientée nord-sud, direction des vents dominants du nord et du sud. À gauche, à l'ouest, on distingue les bâtiments de l'aéro-club, les hangars des entreprises liées à l'aviation et les installations du GAMSTAT. Les voies de dégagement des avions allemands avaient été aménagées à travers la plaine.


Alain Coustaury

Contexte historique

L'objectif de cette notice est de définir le rôle de l'aérodrome de Valence-Chabeuil-la Trésorerie pendant la Seconde Guerre mondiale. On ne rappellera que rapidement l'histoire de cette plate-forme aéronautique, de sa création à l'après-guerre. Un paragraphe rappelle la controverse sur l'absence de bombardement de cet aérodrome proche du massif du Vercors, lieu emblématique de la Résistance.

La première manifestation aérienne valentinoise se déroula en août 1910 sur le terrain de manœuvre du Polygone à Valence. Les meetings reprirent après la guerre 1914-1918. Ils étaient organisés par les Ailes rhodaniennes et l'Aéro-club de Valence créés en 1931. Le terrain du Polygone devenant inadapté, le site d'un ancien hippodrome fut retenu, sur la commune de Chabeuil. Bien situé, sur un sol favorable, le terrain de la Trésorerie est, à partir de 1936, un terrain de secours pour l'Armée de l'air. En 1937, la Chambre de commerce et d'industrie de Valence en devient propriétaire.

En septembre 1939, l'aérodrome est occupé par des militaires provenant de la base aérienne de Bron. Plusieurs unités transitèrent par la Trésorerie, un GAO, groupe d'observation. Au 10 mai 1940, les Potez 63-11, appareils de reconnaissance, étaient aux mains de pilotes en cours d'instruction. Les 1er et 2 juin, l'aérodrome est bombardé par la Luftwaffe. Le 10 juin, avec l'entrée en guerre de l'Italie, un groupe de chasse équipé de Morane-Saulnier 406 est chargé de la défense aérienne de la vallée du Rhône.

Après l'armistice du 24 juin, l'aérodrome est déserté par l'aviation. Comme la Drôme est dans la zone d'occupation italienne, une troupe italienne séjourne à Valence et fait paître ses mulets sur l'aérodrome entouré de barbelés. Elle quitte le terrain en avril 1943.

Ce n'est qu'en juin 1943, avec l'arrivée de soldats allemands, que la Trésorerie retrouve une activité aérienne. D'importants travaux sont réalisés en utilisant des entreprises locales. L'activité est essentiellement celle dédiée à l'entraînement de planeurs de combat et de troupes aéroportées. En juillet 1943, des planeurs DFS 230, des avions remorqueurs Hs 126, quelques Go 242, planeurs lourds de transport, remorqués par des He 111 et des He 111 Z pentamoteurs se livrent à des exercices de jour comme de nuit. La Trésorerie, avec d'autres aérodromes du sud de la France, devait se préparer à un éventuel débarquement des Alliés sur les côtes provençales, ces derniers ayant débarqué en Sicile le 12 juillet 1943. La présence de planeurs, en 1943, est importante à signaler car elle peut expliquer la confusion postérieure qui fait de Valence, le point de départ de tous les planeurs qui atterrirent à Vassieux-en-Vercors en juillet 1944. On montrera, plus loin, que cette interprétation est largement erronée. Tous ces appareils quittent la Trésorerie en septembre 1943 pour Nancy.

L'aérodrome accueillait aussi des avions de servitude et surtout des Fieseler Fi 156 « Storch », appareil de reconnaissance et d'observation. Lent, disgracieux, mais terriblement efficace, c'était le redouté « mouchard » qui survolait journellement le Vercors, repérait les caches des Résistants, l'avancement des travaux de la piste de Vassieux préparée dès le début de juillet 1944.

Pour abriter tous ces appareils, les protéger d'attaques aériennes, l'aérodrome est agrandi. Une piste, toujours en terre roulée de 1 600 mètres de long et de 50 mètres de large est aménagée. Des zones de dispersion, des pistes de secours sont construites sur des terrains agricoles réquisitionnés. Chaque secteur est composé d'une douzaine d'alvéoles limités par des merlons de 3 à 4 mètres de haut et de 30 à 40 mètres de côtés. Des filets de camouflage couvraient lieux d'entretien, entrepôts de munitions. Pour dissimuler les terrassements, les Allemands auraient utilisé de grosses sulfateuses pour redonner des couleurs semblables à celles des cultures afin de tromper les interprètes alliés de photos aériennes. Ces aires de dispersion étaient reliées à la piste principale par des chemins de roulement empierrés, voire goudronnés. Certaines de ces voies sont encore visibles dans les champs. Le principal dépôt de munitions était à Gachet. Dans un bois, il en subsiste de nombreuses traces sous forme de merlons de 1 mètre de haut environ. Les carrières de pierre, champignonnières de Châteauneuf-sur-Isère protégeaient matériel et bombes. Des gouttières d'écoulement des eaux, taillées dans les parois, témoignent, actuellement, de cette activité. Le vestige d'un blockhaus de surveillance domine l'entrée du domaine. La rapidité et l'importance des travaux s'expliquent par la présence de plus de 400 ouvriers, de jeunes de chantiers de la jeunesse ou de requis du STO.

La défense antiaérienne de la base était puissante et judicieusement disposée : au nord-ouest 18 canons, au nord-est 9 canons, au sud-ouest, sur le plateau de Billard 13 pièces. Dans Valence même, au Polygone, 9 tubes complétaient cette défense. Tous les calibres étaient représentés, du 25 mm au 105, en passant par le terrible 88. Des batteries mobiles complétaient cette panoplie. L'effectif militaire qui servait la base est estimé à 1 100 hommes installés à Valence, Malissard, Saint-Péray et sur l'aérodrome.

Le croquis permet d'apprécier l'étendue de la base : 8 km sur 7 km.

Très rapidement les Alliés, à la demande express de la Résistance et pour détruire un objectif important de la vallée du Rhône survolèrent, photographièrent et repérèrent les installations. La première intervention de l'USAAF semble se situer le 30 avril 1944 quand des chasseurs à long rayon d'action P 51 Mustang mitraillèrent le terrain. Quelques avions de la Luftwaffe furent détruits ou endommagés. Un P 51 fut abattu, le pilote sauta en parachute, fut recueilli par les habitants, avec les risques que cela représentait, et remis à la Résistance. Le pilote, après un long périple, put regagner la Grande-Bretagne et reprendre le combat.

Mais l'épisode le plus important se déroula le 23 juillet 1944. 24 planeurs DFS 230 et 2 Gotha 242, remorqués par des Dornier 17 décollèrent de la Trésorerie et se posèrent à Vassieux-en-Vercors, constituant la 2e vague de l'assaut aéroporté du Vercors. Le 21 juillet, le Vercors avait été attaqué de toutes parts. Un train de 20 planeurs, ayant décollé de Lyon-Bron, atterrissait à Vassieux et déposait 200 soldats d'élite qui surprirent les Résistants et se fortifièrent dans le village. Les remorqueurs retournèrent à Lyon-Bron et redécollèrent avec des planeurs. L'ensemble se posa à la Trésorerie, constituant la 2e vague du 23. Pour atterrir, contrairement à ce qui est souvent rapporté, les planeurs n'utilisèrent pas la piste aménagée par la Résistance pour accueillir des avions alliés. Devant une situation désespérée, les chefs de la Résistance du Vercors renouvelèrent leur demande pour que les Alliés bombardent et neutralisent l'aérodrome valentinois. Effectivement, le 24 juillet il fut bombardé par des B 24 de l'USAAF, des bombardiers de la RAF. Des avions furent détruits mais également des civils furent tués à Malissard et à Valence. Ces bombardements tardifs furent mal interprétés par la Résistance dans le Vercors où l'ordre de dispersion avait été émis dès le 23 juillet. Une polémique s'en suivit, née d'un malentendu. Le bombardement du 24 ne correspondait pas à une volonté affirmée des Alliés d'aider la Résistance. N'importe comment, il arrivait trop tard. Il s'inscrivait dans la préparation du débarquement de Provence, dans « l'encagement » de la zone arrière des plages de débarquement. Cela explique le malentendu, l'impression d'avoir été abandonné et l'incompréhension qui ont détérioré les rapports entre la Résistance et les Alliés. Il faut préciser que, même si cela va à l'encontre des perceptions traditionnelles, pour les Alliés, le Vercors ne représentait pas un objectif prioritaire. Englués dans le bocage normand, manquant d'avions, ils ne pouvaient soutenir réellement la Résistance du Vercors. Il n'est pas nécessaire de faire appel à la trahison, à la peur du rôle joué par des maquis soupçonnés d'être « communistes » pour expliquer l'absence de bombardement de la Trésorerie, en juin et au début de juillet 1944. De simples constats stratégiques, tactiques et matériels suffisent.

Les bombardements, les attaques au sol par des chasseurs-bombardiers se poursuivent, les 26 et 31 juillet, les 6, 15, 17, 18, 21 août. Ils ont pour but de détruire les avions, notamment les Junkers Ju 88 qui attaquent les convois alliés en Méditerranée avec des bombes planantes radioguidées. À la fin août, l'armée allemande, en retraite, quitte le terrain abandonnant une trentaine de carcasses d'avions.

Début septembre, la Trésorerie est utilisée par l'aviation alliée avec le code Y 23. Des P51 y séjournent du 5 au 9, suivis par une escadrille française, puis par des P 47 Thunderbolt de l'USAAF, des Spitfire de la RAF. De nombreux Valentinois viennent admirer ces appareils, congratuler les pilotes. Ce ne sont sûrement pas les mêmes personnes que celles qui ont subi le bombardement manqué par l'USAAF du pont de Valence le 15 août, opération qui fit environ 300 morts parmi les civils.

Le 3 septembre 1944 atterrissait le 1er régiment de chasseurs parachutistes du colonel Faure en attente d'une intervention. Pour diverses raisons, l'unité ne combattit que tardivement dans les Vosges.

En décembre 1944, pour plus d'un an, s'établit le groupe français de transport Touraine équipé de 30 C 47 Dakota. En conclusion, l'aérodrome de Valence-Chabeuil-la Trésorerie, sans avoir été une grande base aérienne, a joué, pendant la guerre, un rôle important dans la vallée du Rhône. Son implication dans le drame du Vercors a laissé un souvenir douloureux pour les Résistants de ce massif. Avec la fin de la guerre, l'aérodrome retrouve sa vocation civile. En 1946, un vaste plan de développement prévoit la construction de plusieurs pistes. Dans l'euphorie de la Reconstruction, on voit très grand ! Ce plan ne sera pas réalisé et il faut attendre 1970 pour qu'une piste bétonnée de 1 850 m soit construite. Un établissement de l'ALAT (Aviation Légère de l'Armée de Terre), suivi du GAMSTAT (Groupement Aéromobilité de la Section Technique de l'Armée de Terre) perpétuent la présence militaire.

L'absence du bombardement au moment opportun ou le bombardement tardif de l'aérodrome de Valence-Chabeuil-La Trésorerie déclenchent, dès la fin juillet 1944, une polémique au sujet du rôle des Alliés. Le manque de coordination ou son absence sont mal ressentis par la Résistance drômoise qui se sent abandonnée, voire trahie.

Si pour les Alliés, l'aérodrome de La Trésorerie, Valence-Chabeuil, représente une cible secondaire non prioritaire, pour la Résistance drômoise, il constitue un danger majeur, permanent. Pour cette raison, le commandement de la Résistance drômoise réclame plusieurs fois son bombardement. En vain.

À partir de cette base, les Allemands peuvent intervenir facilement sur l'ensemble du département. C'est le cas de Combovin, bombardé le 22 juin 1944 et des villages de la région de Crest. Le parachutage diurne au Vercors, spectaculaire mais risqué, voire maladroit, du 14 juillet 1944, a été suivi immédiatement d'un mitraillage continu par la Lutwaffe. La récupération des armes en a été fortement gênée. C'est au moment de l'attaque du Vercors que les avions partis de Chabeuil jouent un rôle majeur. Si le convoi de planeurs n'a pas décollé de Valence le 21 juillet, il a été protégé et aidé par les appareils de La Trésorerie. La destruction de cet aérodrome est donc une nécessité majeure pour la Résistance. Or il n'est attaqué, le 30 avril 1944, que par des chasseurs qui s'en prennent aux avions au sol mais qui ne peuvent que laisser intactes les infrastructures. Le bombardement n'est réalisé que le 24 juillet, après les événements du Vercors et essentiellement dans la perspective du débarquement de Provence. Pourquoi l'aérodrome ne fut-il pas bombardé plus tôt ? Plusieurs explications furent avancées. Par un malheureux concours de circonstances, tous les aérodromes corses étaient fermés durant la semaine du 21 au 27 juillet. Les pistes, sommaires, détrempées par les orages, défoncées, furent réparées et notamment équipées en grilles favorisant décollages et atterrissages en vue du débarquement prochain. Or, sur ces terrains étaient basés de nombreux appareils, des chasseurs surtout, venant opérer sur la vallée du Rhône. Ces explications ne sont pas satisfaisantes. Des bombardiers basés en Italie, en Afrique du Nord, pouvaient agir. Sur Chabeuil, ils intervinrent le 24 juillet alors que l'affaire du Vercors était en grande partie terminée. Un fort ressentiment naquit de cet événement, renforçant la rumeur que le Vercors avait été abandonné ou sacrifié tant par Alger que par les Alliés. On peut invoquer aussi la pénurie de matériel disponible en temps voulu. L'incompréhension des états-majors alliés quant à l'importance du Vercors a été soulignée. Pour eux, le Vercors n'était qu'un pion tactique et nullement un élément stratégique. Les bombardements étaient planifiés plusieurs semaines, voire plusieurs mois à l'avance et ne pouvaient accepter l'improvisation. Autant que pour des raisons politiques, difficiles à préciser, on trouve là une raison pertinente pour expliquer l'absence d'aide par l'allié au moment crucial de la bataille du Vercors. Le 12 août, le message du lieutenant-général Gammel, chef d'état-major des forces alliées, au général Cochet rejette la responsabilité de l'échec du Vercors sur les Français. Ce n'est pas l'absence du bombardement de la Trésorerie qui en est responsable.  « La perte du Vercors était due, dans une large mesure, à deux facteurs, qui vous ont été rappelés à plusieurs reprises, à savoir : 1) La publicité continue dans les journaux français d'Afrique du Nord et dans les bavardages de la radio française dépeignant le Vercors comme un territoire libre et parlant de la force du maquis dans ce territoire. 2) Les FFI ne peuvent engager avec l'ennemi un combat à outrance, offensif ou défensif, du fait de leur organisation, du type d'armes dont ils sont munis et du manque de moyens de transports ».

L'exemple tragique de l'histoire de l'aérodrome de Valence montre de façon pertinente les difficultés de la coopération entre les Alliés et la Résistance. Il n'est pas nécessaire de faire appel à la trahison ou à l'abandon pour trouver une explication. Les uns pensaient stratégie, échelle européenne, les autres tactique et petit massif préalpin.  

L'album photo montre quelques types d'avions qui utilisèrent l'aérodrome de Valence-Chabeuil. On peut penser que certains se posèrent sur les aérodromes de Montélimar-Ancône et d'Albon-Le Creux de la Thine.


Alain Coustaury

Sources : Histoire de l'aviation en Rhône-Alpes, Société lyonnaise de l'aviation et de documentation aéronautique, 1998. Pilotes français sur la vallée du Rhône, Daniel Decot, 1982 Témoignages sur le Vercors, Joseph La Picirella, 1991 dvd-rom « La Résistance dans la Drôme – le Vercors » , AÉRD, 2007