Tracts avant le 11 novembre 1943

Légende :

Ils sont distribués à Portes-lès-Valence.

Genre : Image

Type : Tract

Source : © ADD, 4 W 15. Droits réservés

Détails techniques :

Format 21 x 27cm, 80 x 37 mm, chaque papillon mesurant environ 10,5 cm sur 7 cm.

Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Drôme

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Analyse média

Huit tracts appelant toutes les catégories sociales à faire grève et manifester à Valence et à Portes-lès-Valence pour célébrer la « fête de la Victoire ».

Feuille ronéotée, prête à être découpée. Les tracts portent différentes signatures : Comité d’union, Front National de Lutte, Comité des Ménagères, Parti Communiste Français, selon leurs destinataires : ouvriers, cheminots, commerçants et artisans, paysan(ne)s, ménagères, patriotes et anciens combattants.
Pièce jointe au PV de gendarmerie.


Auteurs : Robert Serre

Contexte historique

La date du 11 novembre devrait constituer « la clé de voûte de la mythologie pétainiste ». Le Maréchal lui conserve son statut de fête nationale. Mais les Allemands ne peuvent accepter que soit célébré ce jour honni d’une défaite qu’ils contestent. Vichy s’incline et donne à cette célébration la plus grande discrétion : le jour ne sera plus férié et chômé, pas de pavoisement, pas de défilé, pas de concert, pas de discours sur la Grande Guerre. La célébration de l’armistice de 1918, le plus souvent couplée à la Toussaint, devient une journée « dédiée aux morts des deux guerres ». Le pilier de l’organisation, c’est évidemment la Légion. Après l’occupation de la zone Sud par les Allemands, la fête disparaît quasiment. Par contre, la Résistance s’est emparée tout de suite de cette date au fort symbolisme, en dépit de l’aggravation de la répression et de l’interdiction de La Marseillaise à partir de 1943, aggravation que nous mesurons au travers des rapports sur les multiples incidents.

Le préfet signale la diffusion massive de tracts dans les jours précédant le 11 novembre 1943, invitant la population à manifester et les travailleurs à se mettre en grève.

À Saint-Vallier-sur-Rhône, la manifestation est freinée par le déploiement de la police. Mais dans le voisinage, à Albon, Sarras, Saint-Uze, Saint-Barthélemy-de-Vals, Ponsas, de magnifiques cérémonies groupent parfois le quart de la population (58 sur 218 à Ponsas). Gerbes, bouquets, drapeaux sont déposés aux monuments aux morts. Des allocutions invitent les patriotes à l'action immédiate. À Saint-Uze, une cinquantaine d'ouvriers d'une usine de céramique cessent le travail.

À minuit, le corps-franc de Roger et Paul Maisonny, de Bourg-lès-Valence, plante une croix de Lorraine de 3 mètres de haut taillée dans un madrier, en plein milieu du cimetière de Valence dans le carré des « Morts pour la France ». Paul dépose une pancarte où est inscrit « toute personne qui touchera à cette croix sera punie de la peine de mort ». Au jour, les Allemands, découvrant la chose et, craignant qu'une bombe fût placée sous la croix, font venir des artificiers.

Mille manifestants sur les 3 000 habitants de Dieulefit observent une minute de silence, puis chantent la Marseillaise devant le monument aux morts. Il en est de même au Poët-Laval, où on compte 200 manifestants sur 350 habitants et où l’énergique allocution du maire, exprimant la volonté de lutte du peuple de France, ne passe pas inaperçue.

À Montélimar, un bouquet a été déposé de bon matin au monument aux morts. Les ouvriers d'une fabrique de chocolat quittent leur travail à 11 h. À la même heure, d’autres ouvriers et ouvrières du cartonnage Milou, et de l'entreprise Harlez se regroupent devant le monument, quatre gendarmes avec la mitraillette leur intiment l'ordre de passer leur chemin. En contrepartie, les manifestants obtiennent qu'ils chantent La Marseillaise avec eux. 250 ouvriers du cartonnage Milou tentent à leur tour de s’arrêter devant le monument aux morts : la gendarmerie et la police interviennent et le groupe se disperse après avoir chanté tous ensemble l’Internationale.

Dans le Vercors et ses abords, où les Allemands n’osent pas se risquer, les cérémonies de commémoration de l'armistice de 1918 prennent un certain éclat : devant le monument aux morts d’Oriol-en-Royans, un embryon de fanfare monté par quelques personnes joue de son mieux La Marseillaise. Le maquis de la Chabotte dirigé par Wap défile à 11 h au son du clairon devant le monument aux morts de Saint-Martin-en-Vercors qu'ils ont fleuri d'une croix de Lorraine en chrysanthèmes et la fête se termine même « devant l'alambic municipal qui bouillait un cru » !

Des cérémonies sont organisées dans tout le secteur de la Résistance Sud-Drôme (Nyonsais, Baronnies). À Nyons, 1 000 manifestants sur 4 000 habitants se rassemblent devant le monument aux morts et chantent la Marseillaise. Dans les environs, à Mirabel, Taulignan, Valréas, Tulette, Saint-Ferréol, Saint-Maurice-sur-Eygues, se déroulent de belles manifestations. Dans la nuit du 10 au 11, à Taulignan, des tracts du « Front national de la Résistance » sont collés sur les maisons, les murs, portes, arbres, etc. invitant la population à manifester le 11 novembre. Bien que la gendarmerie les ait immédiatement lacérés et détruits, un rassemblement de 80 à 100 personnes se forme vers 11 heures devant le monument aux morts, des gerbes de fleurs sont déposées, la foule se recueille. Les maquisards du camp Pierre (Challan-Belval) envoient un détachement à L'Estellon pour une cérémonie au monument aux morts avec les paysans ; un autre groupe défile à Bouvières devant la population, les hommes font une prise d’arme et déposent une gerbe au monument aux morts.

On remarque que, à l’exception de Valence-sur-Rhône où le préfet fait état de quelques bombes, de Nyons, où est signalée une explosion chez le docteur C-, et de Tain, où deux bombes explosent dans l'immeuble d'un entrepreneur président de la Légion et « ennemi du peuple », les initiatives de la Résistance n’ont visé qu’à dénoncer l’occupation, contester la soumission de l’État de Vichy et sa perversion autoritaire des symboles.


Auteur(s) : Robert Serre
Sources : AN, F/1CIII/1152, rapport préfet du 03/01/1944. ADR 182 W 108. SHGN, Rapport R4 Section Montélimar n°66/4 du 19/11/1943. SHGN, rapport Cie Drôme R4, n°105/4 du 24/11/1943. ADD, 4 W 15, 268 W 4, rapport gendarmerie de Taulignan n°27/43 du 11/11/1943. Georges Menant, Le Dauphiné Libéré, 19/08/1954. Pour l'Amour de la France, p. 37, 174. Amicale Maquis Morvan, témoignage René-France Audibert, page 194. Pierre Faraud, page 61. Challan-Belval, page38, 58. Gerland, La Résistance en Drôme Centrale, p. 56. Drôme terre de liberté, p. 79. Le Cri de la Patrie, journal du Front National Drôme-Ardèche, n°1, novembre 1943, archives du Musée de la Résistance nationale, Champigny.