Nicolaï Vasenin

Légende :

En 1943 ou 1944, Nicolas Vasenin, soldat soviétique évadé, est photographié devant la ferme de la famille Bonin à Saint-Sorlin-en-Valloire.

Genre : Image

Producteur : Léa Manigand, Robert Bonin

Source :

Détails techniques :

Photographie argentique couleur

Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Drôme

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Analyse média

Nicolaï Vasenin est photographié devant une ferme, en 1943 ou 1944, à Saint-Sorlin-en-Valloire, pour le souvenir.

Léa Manigand et Robert Bonin, deux des douze enfants de la famille Bonin, vivaient à l’époque dans cette ferme-même ; ils ont conservé ce document et l’ont transmis en mars 2013. Une autre photo – la première exposée en album –, faisant partie de la même collection, montre huit personnes, dont encore Nicolaï Vasenin, posant devant les mêmes dépendances (grange et portes d’écuries ou de remises) : dans ce groupe, Robert Bonin reconnaît sa mère et ses frère et sœur, deux enfants accueillis par la famille ainsi que Pierre Manigand. D’évidence, ce cliché a été pris à la ferme Bonin et vraisemblablement par l’un de ses membres.

La maison, présentée en 3ème position dans l’ALBUM, photographiée en 2013, fait apparaître, à droite, dans le prolongement de la partie habitée, mais, moins distinctement, une partie grange et écurie. Le toit nettement rouge et perpendiculaire au corps de bâtiment évoqué précédemment n’étant pas construit à ce moment-là, en 1943-1944, la prise de vue de N. Vasenin, sur fond de façade bien ensoleillée, a eu lieu à cet endroit.

« La famille de Robert prendra le risque, remarque Laurent Brayard, pour le souvenir, de prendre en photo le solide gaillard qu’était Nicolaï durant l’année 1944. »

Il demeure à en confirmer la date : 1943 ou 1944. Le fait que Nicolaï Vasenin arbore une tenue évoquant un uniforme militaire relativement soigné, comprenant un béret (peut-être à la soviétique ? ) laisserait davantage à penser à 1944, année au cours de laquelle les maquis avaient souvent obtenu quelques armes et équipements, grâce aux parachutages… ou aux moyens du bord !

L’album montre par ailleurs, en 5ème position, par un cliché pris à partir de la ferme Bonin, la proximité (environ 500 mètres) du lieu où réside le maquis dont est responsable Nicolaï : ainsi s’expliquent les fréquentes visites des maquisards à la famille Bonin, notamment pour l’alimentation et, en particulier, la présence de Nicolaï à la ferme précisément sur la photo exposée.

Naturellement, subsiste une question importante : dans quelles conditions Nicolaï Vasenin a-t-il pu se trouver au maquis de Malgarde à Saint-Sorlin ?


Claude Seyve, Michel Seyve

Sources : Témoignage de Robert Bonin et visite, sous sa conduite, lundi 11 mars 2013, des lieux de séjour du maquis de Malgarde à Saint-Sorlin-en-Valloire

Contexte historique

Laurent Brayard, pour La Voix de la Russie, faisait le récit, le 7 mars 2013, de « la destinée particulière » de Nicolaï Vasenin, ancien maquisard à Saint-Sorlin-en-Valloire en 1943-1944, décoré de la Légion d’Honneur en Russie, le 31 mai 2005.

Cet homme de 93 ans vit aujourd’hui dans l’Oural, précisément dans la banlieue d’Ekaterinbourg. Il « est né à Pychak le 5 décembre 1919 et se trouve peut-être le seul Chevalier de la Légion d’Honneur russe encore en vie et ayant servi pour la France durant la Seconde Guerre mondiale. Mobilisé par les Soviétiques le 20 novembre 1939, il est envoyé à Mourmansk et sert durant la guerre russo-finlandaise en janvier et février 1940. Il est alors simple soldat dans le 27ème régiment d’infanterie motorisé de la 17ème division d’infanterie motorisée. Blessé au cours des combats, il se retrouve à nouveau sur le front durant l’été 1941, au moment de l’invasion hitlérienne. Il sert avec le même régiment devant Minsk. Les Allemands encerclent, le 9 juillet, 400 000 soldats soviétiques dans la poche de Byalistock-Minsk. Les Soviétiques doivent se rendre ; c’est une des plus sévères défaites de l’Armée Rouge au début de la guerre. C’est là, durant la défense de la ville, qu’il est [...] fait prisonnier par les Allemands (enregistré comme prisonnier de guerre le 29 juillet 1941). »

Un document retrouvé en Allemagne atteste de  « la présence de Nicolaï dans différents stalags allemands », dont l’un d’eux « près de Nuremberg, la capitale emblématique du nazisme (…) ; ayant tenté de s’enfuir une première fois, il fut envoyé ensuite dans divers commandos de travail pour arriver un jour de 1943 en France (…). » Interrogé par son fils Sergueï, « le père parfois peine à se souvenir. Il travailla de manière certaine dans un groupe chargé de creuser des trous pour installer des lignes télégraphiques entre la France et l’Allemagne… ». Ensuite, il « est interné dans un camp en France dont il parvient à s’échapper avec d’autres le 8 octobre 1943 », indique Laurent Brayard. « Nicolaï tenta son évasion sans aide extérieure et erra dans les vignes dans la région immédiate de Saint-Sorlin. Son parcours fut probablement assez court, il se cacha dans le relatif couvert des ceps de vigne avant de se présenter devant une maison cossue où se trouvait, fait assez rare à l’époque et dans cette région, une piscine (ou peut-être un gros bassin). Nicolaï ne se souvient plus des noms des personnes en question… mais ce jour-là, la chance était avec lui.

 Car les habitants de la maison le conduisirent ensuite directement à l’un des chefs de la Résistance parmi les plus importants de la région : le capitaine Monot… »

« C’est le 20 octobre 1943, qu’il fut intégré officiellement dans les rangs de la compagnie Monot, commandé par le capitaine Georges Monot. Ce fut la première maison française où il vécut durant quelques temps [Saint-Sorlin-en-Valloire, village]. Le temps pour Monot et les chefs des résistants de lui fournir des faux papiers et de lui trouver un endroit plus sûr que la maison familiale de Georges Monot se trouvant dans un lieu exposé.

Par la suite, Nicolaï est envoyé dans un maquis proche [du village] de Saint-Sorlin à côté duquel vivait des paysans, dans une ferme, celle de la famille Bonin [quartier de Malgarde]. C’est là que Nicolaï a passé une bonne partie de son temps, dans une autre ferme qui abritait une trentaine de maquisards [sans doute un peu moins] de la compagnie Monot. La ferme Bonin, à Saint-Sorlin-en-Valloire, était à 500 mètres environ du maquis. C’est chez eux, durant un ou deux jours, que Nicolaï fut accueilli et fit connaissance de la famille de Robert Bonin, une famille de [douze] enfants dont deux des plus grands, Jules et Fernand, nés en en 1923 et 1926, servaient d’ailleurs au maquis. Robert Bonin se souvient parfaitement de lui et évoque ses allers et venues à la ferme pour approvisionner le maquis ou demander quelque chose. Il ne parlait pas le français et Robert raconte que Nicolaï dessinait sur un papier ce qu’il voulait pour tenter de se faire comprendre ! Sa mémoire d’un garçon de neuf ans a été marquée par cet insolite soldat russe pour ainsi dire tombé du ciel. Nous imaginons très facilement la curiosité dont Nicolaï fut alors entouré ; pensez donc, un Soviétique ; Robert indique qu’il ne savait pas par ailleurs, à son âge, où pouvait bien se trouver ce pays étrange ! »

Nicolaï Vasenin, sous la tutelle du lieutenant Weill, lui-même sous les ordres du capitaine Monot, à Malgarde, « fut au commandement de la compagnie dite Mongole, une unité (…) formée de Soviétiques des Républiques du Sud et de l’Est de la Russie, Ouzbeks, Turkmènes, Tajiks, etc. Pour les Français, il était difficile de faire la relation ; pour eux, ils s’agissaient simplement de "Mongols".

« La compagnie Monot participa à plusieurs opérations de guerre comme celle de la nuit du 7 au 8 juin 1944. Les forces engagées […, commente Laurent Brayard,] sont composées des 106 hommes de la compagnie Monot (Saint-Sorlin-en-Valloire) où sert Nicolaï et de la compagnie Gervais (Anneyron). » En fait, il s’agit de l’action la plus importante à l’actif de la Résistance en Valloire, située en corrélation avec le débarquement allié en Normandie. L’ordre est ambitieux : « attaquer et anéantir la garnison allemande de Saint-Rambert et occuper la ville », remarquons-nous dans la notice Georges Monot du Musée Virtuel sur La Résistance Intérieure (Exposition Drôme).

« Parmi les quatre groupes participant à l’attaque de Saint-Rambert, remarquions-nous par ailleurs, dans La Résistance dans la Drôme Le Vercors (DVDRom, 2007), l’un d’eux a pour mission la prise de la salle des fêtes, où est hébergé le gros de la garnison allemande. Théo Colongo en fait partie ; il est dans un sous-groupe, avec le lieutenant Henry Weill, menant l’attaque, Nicolaï (prisonnier soviétique évadé), Albert Gaillard, Lucien Turpin. D’autres maquisards du groupe sont embusqués dans un fossé, en bordure de la chaussée longeant le local. 

Au signal, Nicolaï lance ses grenades, d’autres tiraillent, provoquant sans doute des pertes chez l’adversaire (…). »

Laurent Brayard précise : « Weill est blessé par un maquisard l’ayant entendu s’exprimer en allemand. Weill qui est Alsacien devait peut-être vouloir tromper les Allemands ou transmettre un ordre à Vasenin. » Il est intéressant de relever, chez ce même journaliste, dans l’un de ses articles, que "Nicolaï se rappelle très bien" le lieutenant Weill. On sait que, ce dernier, blessé, a été assisté par Albert Gaillard. La participation active de Nicolaï Vasenin à ces 48 heures intenses de juin 1944 semble établie nettement. 

De juin 1944 à la libération complète du département de la Drôme le 1er septembre 1944 d’autres combats eurent lieu, en particulier, lors du repli de la 19eme Armée allemande occupant le sud de la France, remontant la vallée du Rhône à partir du 17 août 1944. Nicolaï Vasenin intervint notamment à la mitrailleuse contre un détachement de cette armée, le 29 août, à partir d’une butte de la colline de Malgarde, selon les souvenirs de Robert Bonin.

Laurent Brayard fait ensuite le récit des événements qui ont marqué la vie de Nicolaï Vasenin à l’époque de l’URSS puis de la Russie. « À la libération, après un passage par Grenoble, il est envoyé à Paris auprès de l’État-major de la mission soviétique.

Il retourne en Union soviétique via Marseille après le mois d’avril 1945. La guerre est finie en Europe, et c’est la victoire. Pour tromper sa vigilance, on lui indique qu’il part servir contre le Japon, qui ne capitulera que début septembre. Mais aussitôt débarqué dans le port d’Odessa, le masque tombe : pour Staline, tous les prisonniers sont des traîtres et des lâches. Un officier apercevant sa médaille française de la Résistance la lui arrache et la jette à la mer, comparant l’objet à une récompense pour de la prostitution… ; terrible moment. Nicolaï Vasenin est condamné, pour avoir été fait prisonnier et avoir servi la France, à quinze ans de camp. Il effectue sa peine dans les goulags sibériens et il est libéré en 1960. Il ne fut réhabilité dans son honneur qu’au milieu des années 80 ; tardive reconnaissance pour un homme qui avait tant payé de sa personne. »

Nous avons vu que la Légion d’Honneur russe ne lui sera remise que plus tard.


Auteurs : Seyve Claude, Seyve Michel

Sources : Laurent Brayard, journaliste à La Voix de la Russie à Moscou, articles : 7.03.2013, 9.03.2013, 14.03.2013, 19.03.2013, 20.03.2013, 27.03.2013 ;

La Résistance dans la Drôme Le Vercors (DVDRom, 2007) ;

Musée Virtuel, a Résistance Intérieure, exposition Drôme, notices Monot Georges et Attaque de Saint-Rambert-d’Albon, 7-8.06.1944 Copyright lien partenaire : Copyright libre :