Armée des ombres (L’), mairie de Piégon, Musée de la Résistance Romans

Légende :

Tableau réalisé par Jean Lhuer pour une exposition sur la Résistance.

Genre : Image

Type : Peinture

Producteur : Jean Lhuer

Source : © avec l'aimable autorisation de Bernard Lhuer et du musée de la Résistance et de la Déportation de Ro Droits réservés

Détails techniques :

Tableau à la mine de plomb. Dimensions : 65 cm de hauteur sur 50 cm de largeur.

Date document : 1985

Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Drôme - Piégon

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Analyse média

L’original se trouve au musée de la Résistance et de la Déportation de Romans-sur-Isère, anciennement CHRDD (Centre Historique de la Résistance en Drôme et de la Déportation) Une copie orne la salle du Conseil municipal de la mairie de Piégon.

Ce tableau est une œuvre de circonstance. Jean Lhuer (1910-1991) l'a présenté en 1985 pour illustrer une exposition sur la Résistance qui se déroulait à Saint-Paul-Trois-Châteaux (Drôme). Sa destinée finale était le futur musée de la Résistance de la Drôme.

Les circonstances historiques ne sont plus celles de 1945. Pourtant, il y a des points communs entre le tableau et les peintures murales, de Jean Lhuer, ornant la salle du Conseil de la mairie de Piégon : les armes, la mitraillette Sten, la grenade et le pistolet. Le caractère onirique, fantastique, permet une multitude de lectures selon l'âge, la sensibilité des observateurs. Un enfant y verra, à coup sûr, une allusion à ET ! L'auteur de la notice a une vision plus terrestre. Il perçoit l'opposition systématique de l'ombre et de la lumière avec des zones claires et sombres. En cela, le tableau confirme bien le titre, L'armée des ombres. La nuit/le noir/l'Occupation sont au centre du tableau. On s'échappe par des scènes claires/la liberté. En haut, à gauche séparé de l'obscurité par un mur épais et un barreau/la prison, se développe un paysage rural, calme, provençal par son architecture et ses arbres. À droite, un visage apparaît, à première vue une femme. Si l'on grossit, des traits masculins font douter du sexe. Peu importe, c'est la femme rêvée ou le mari prisonnier ou le combattant de l'ombre que l'on attend. Cette partie supérieure, le tableau se lisant de haut en bas, peut s'intituler les rêves que l'ont fait pour l'après-guerre. Mais cette dernière est bien présente et il faut combattre clandestinement l'occupant ou le collaborateur. Ce combat se développe dans la clandestinité/l'ombre/la nuit. Les deux animaux symbolisent ces particularités. Possédant une bonne vision nocturne, ils peuvent mener le combat. La chouette est aussi l'oiseau de la sagesse.

Le chat est connu pour sa souplesse, pour son calme apparent qui se transforme en une grande férocité quand il attaque. Ces deux animaux définissent par leurs caractères ce qu'est le combat de la Résistance. La spécificité nocturne/clandestin est omniprésente à travers les pupilles du chat que l'on trouve sur les personnages. Le chat se transforme petit à petit en êtres humains/la Résistance. Cette dernière n'est pas apparue brutalement. Ces êtres sont des hommes portant casquette. Mais leurs yeux étranges peuvent voir la nuit/vision du futur, donc discerner l'ennemi, occupant ou collaborateur. Ces êtres sont tellement imprégnés de leur mission que l'arme prolonge leurs bras : Sten, grenade, pistolet (cf. les peintures murales de la mairie). L'action de ces êtres apparaît au bas du tableau. Toujours dans le clair, surgissant du bois, le Résistant tire au pistolet sur l'ennemi. Ce dernier est représenté au-dessous par plusieurs symboles. La croix gammée est brisée. Elle est constituée par des bottes/claquement des bottes allemandes sur le pavé. L'une d'elle est une tête de crocodile ouverte. Une autre fait partie intégrante d'un corps dont la tête est un doryphore/Allemand. L'homme est abattu, mort. En bas, à droite, le maquisard traverse le mur/surgit de la nuit pour attaquer avec un pistolet. On peut remarquer que le profil du visage de l'homme ressemble à celui du peintre. Il n'y aurait rien d'anormal dans cette représentation. Plus énigmatique, le carton supérieur représente un visage et son ombre face à un homme. On évoque ici la clandestinité du combattant, l'ombre/le pseudonyme, prend contact avec l'homme/Résistant. Ce sont quelques interprétations d'un tableau à très forte charge émotionnelle. Est-ce que de telles scènes ont hanté les cauchemars de ceux qui ont vécu la période trouble et aussi exaltante de l'occupation et de la Résistance ?

L’auteur de l’œuvre délivre un autre message et explique ce qu’il a dessiné. Il l’a écrit dans une lettre affichée sur le mur de la salle du conseil de la mairie de Piégon :

« L’écrivain et journaliste Joseph Kessel dit « Jeff » était l’auteur d’un livre terriblement vrai sur la Résistance : « L’ARMÉE DES OMBRES ». L’ayant connu dans la Drôme à la libération, je me suis permis de reprendre son titre, ici, pour tenter de représenter ceux qui silencieusement comme des chats à l’affût, comme des oiseaux de nuit au vol discret et efficace, se sont transformés en ombres muettes méconnaissables dans l’obscurité. Pour leur action, pour retrouver la liberté.

Un Résistant était :
- Pour beaucoup : inexistant ou ignoré
- Pour les collabos : un voyou à casquette
- Pour l’occupant : un « TERRORIST » qui mettait les nerfs à vif. Bien sûr ! puisqu’il cherchait à se confondre avec les arbres, avec les pierres et qu’il se risquait à des rencontres angoissantes allant jusqu’à la mort pour faire basculer cul-par-dessus-tête le « Doryphore », parasite botté. »


Jean Lhuer définit par trois expressions très fortes le résistant. Sa transposition picturale est remarquable et mérite d’être retenue tout autant que d’autres définitions.


Auteurs : Alain Coustaury

Contexte historique

Jean Lhuer, né le 5 mai 1910 à Paris, est le descendant d'une famille d'artistes. Élève des lycées Charlemagne et Louis-le-Grand, il va aussi à l'école supérieure des Arts décoratifs. À la sortie des "Arts Déco", il entre dans la vie active comme dessinateur chez un fabricant joaillier. Il crée des modèles pour les grandes maisons parisiennes de la rue de la Paix : Boucheron, Van Cleef & Arpels, Mauboussin, etc. Il fait partie de l'équipe que dirige Jean Carlu à l'exposition universelle de Paris en 1937. Mobilisé en 1939, il abandonne son atelier du boulevard de Clichy. La débâcle le conduit dans le sud de la France où il est démobilisé. Mais, ne voulant pas travailler pour l'occupant, refusant le STO, il ne rentre pas à Paris et se réfugie dans la Drôme à Saint-Restitut. Le 7 juin 1944, en liaison avec Amédée Tena, de Montségur-sur-Lauzon, il est incorporé à la 8e compagnie AS du lieutenant Rigaud (« Georges »). Il participe aux actions de la Résistance, notamment à la tragique affaire de Taulignan, le 12 juin 1944. Il s'installe à Piégon. C'est donc un Résistant qui imagine, réfléchit et traduit de façon picturale sa vision de 1945 dans un lieu public, la salle de réunion du Conseil municipal de la modeste commune de Piégon. Quarante ans après, il délivre un autre message avec L’Armée des Ombres.

L'étude de l'œuvre de Jean Lhuer a permis à l'auteur de constater que le dessinateur était en contact avec d'autres artistes parisiens réfugiés dans le sud de la Drôme à Saint-Restitut et à Saint-Paul-Trois-Châteaux. On peut citer Maurice et Poppy Debouté, créateurs de joaillerie et d'horlogerie, André Tzanck, peintre parisien déjà coté et musicien accompli. Le souvenir de Jean Lhuer est encore vivace à Saint-Restitut. Ces artistes constituent un noyau vivant pendant quelques mois dans le sud de la Drôme, notamment dans le Nyonsais. Ils enrichissent le nombre des intellectuels et des artistes que la Drôme a accueillis et cachés pendant la Seconde Guerre mondiale.


Auteurs : Alain Coustaury
Sources : Dvd-rom La Résistance dans la Drôme-Vercors, éditions AERI-AERD, février 2007.