Carte de Combattant volontaire de Kurt Blumenfeld

Légende :

Un Tchèque dans le premier maquis de la Drôme.

Genre : Image

Type : Faux papiers

Source : © Archives Éva Blumenfeld Droits réservés

Détails techniques :

Carte identité papier rose.

Date document : novembre 1943

Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Drôme

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Analyse média

Carte de Combattant volontaire des FFI (Forces françaises de l'intérieur) de Blumenfeld Kurt, datée de novembre 1943. Elle est signée par de Lassus Saint-Geniès ("commandant Legrand").


Auteurs : Robert Serre

Contexte historique

Le long périple de Kurt Blumenfeld mérite d'être raconté. Kurt avait fait des études de Droit en Tchécoslovaquie pour devenir avocat selon le désir de son père, commerçant juif. D'une intelligence remarquable, il avait, en autodidacte, appris une multitude de langues : il maîtrisait parfaitement le tchèque, l'allemand, le français, l'anglais, le russe et le polonais, ainsi que le latin et le grec. La musique était une autre de ses passions : il jouait du violon et de la clarinette et savait diriger un orchestre.
C'est un peu par hasard qu'il s'était installé en France où il était venu en 1933 pour un voyage touristique et pour voir sa soeur Ilsé, venue deux ans auparavant pour étudier le français et qui s'était mariée avec l'acteur et cinéaste Charles Goldblat [1]. Hébergé chez sa soeur en banlieue parisienne, il se prend d'une telle passion pour le domaine artistique où on l'a accueilli très chaleureusement qu'il décide de se fixer en France. Faute de carte de séjour ou de travail, il connaît cependant bien des difficultés pour gagner sa vie et doit se contenter de menus travaux occasionnels, restant constamment sous la menace d'une expulsion.
Il habite alors un appartement en location avec sa mère, le couple Goldblat et leur bébé, ainsi que son autre soeur Lola Zwobada avec son mari, lui aussi cinéaste. Kurt se marie en 1936 avec une puéricultrice française catholique et trois enfants naissent rapidement, en 1936, 1937 et 1938. Grâce à ses beaux-frères, il devient en 1937 assistant-monteur de films, puis monteur à la Warner Bros en 1938. Avec sa petite famille, ils ont trouvé un logement à Saint-Maurice, proche des studios où travaille Kurt.

À la déclaration de guerre, tous doivent s'éloigner vers la Normandie. Les hommes sont mobilisés dans l'Armée tchèque que les ressortissants de ce pays vivant en France venaient de former et d'instruire à Agde, et Kurt voit s'interrompre une carrière qui s'amorçait. Cette Armée tchèque monte à pied d'Agde à Gien et, malgré la fatigue de la longue marche, combat aux côtés de l'Armée française. Kurt est très choqué par les bombardements.
Après la défaite et la débâcle de mai 1940, il se retrouve au camp d'Agde. Sans nouvelles, son épouse veut le rejoindre avec ses trois jeunes enfants (l'aîné a quatre ans). Dans la panique de l'exode, elle met huit jours en train et à pied pour gagner le sud-ouest de la France où elle pense que son mari a été emmené. Elle y perd ses bagages, mais pas ses enfants qu'elle tenait "en laisse". Arrivée à Arcachon, elle est hébergée par une brave femme, puis par un bûcheron dans la forêt des Landes.
Elle apprend enfin que Kurt est à Agde, dans le 352e GTE (Groupe de travailleurs étrangers) qui vient d'y être formé, et s'y rend aussitôt. Mais le GTE vient d'être transféré à Lentiol, commune de l'Isère limitrophe de la Drôme. Toujours avec ses trois bambins, la jeune maman retrouve enfin son mari. Elle s'installe au Grand-Serre dans un appartement misérable dont elle paie le loyer (ainsi que la nourriture familiale, son mari étant privé de toute ressource) en travaillant dans une usine de ficelles ou chez un boulanger et en cultivant une petite parcelle des jardins familiaux que le maire lui avait attribuée.
Lors du déménagement à Crest du 352e GTE, Kurt étant maintenu en détachement chez son employeur, son épouse et ses enfants peuvent demeurer au Grand-Serre. Le voisinage était d'abord plutôt hostile à ces étrangers, considérés de surcroît comme juifs. Peu à peu, les choses évolueront, des paysans les cacheront et le village assurera leur survie. En 1942, les deux soeurs de Kurt et leurs familles, jusqu'alors réfugiées à Marseille, rallieront Le Grand-Serre où elles passeront toute la guerre, en permanence sous alerte, parfois obligées de quitter le village et de se cacher dans la campagne.
Kurt Blumenfeld est le premier de tous les travailleurs étrangers du camp de Crest à entrer dans la Résistance drômoise. À l'exception de deux mois passés au chantier d'Aouste et de la forêt de Saoû, il était resté employé dans la région du Grand-Serre. Il s'engage dès juillet 1943 dans les premiers maquis formés dans le nord de la Drôme. En fait, il était dans la clandestinité depuis 1942. Il avait échappé à la rafle des juifs de l'été et, depuis, il se camouflait, évitant toute visite à sa famille rassemblée au Grand-Serre, chez qui les gendarmes venaient à sa recherche presque quotidiennement.
Kurt réussit à prendre contact avec "Thivollet" (Geyer) et entre dans son maquis. Au moment où celui-ci gagne le Vercors, le 24 décembre 1943, avec 90 hommes, Kurt et une dizaine de maquisards restent dans les Chambarans pour former l'ossature d'une nouvelle unité commandée par "Bozambo" (Charles-André Lahmery) qui s'installe à Saint-Christophe-et-le-Laris et dont les effectifs dépasseront les cinquante hommes. Cette compagnie déploie une intense activité, en particulier dans la chasse aux miliciens et collaborateurs. Kurt, qui fait fonction de sous-lieutenant, participe à l'attaque sur la route nationale 7, au sabotage de l'usine hydroélectrique de Beaumont-Monteux et de la ligne de chemin de fer Marseille-Lyon, puis aux combats pour libérer Tain et Saint-Vallier.
Engagé dans les Chasseurs alpins pour la durée de la guerre, il part en Maurienne. Sa femme, une nouvelle fois affolée de rester sans nouvelles, met ses enfants en pension et part le retrouver au Mont-Cenis, prenant des risques insensés dans des champs de mines.

Plus de cinquante ans après, "Bozambo" n'a pas oublié Kurt Blumenfeld, cet "homme remarquable, intelligent, très courageux" qu'il est fier d'avoir eu sous ses ordres.

[1] Sous le pseudonyme de "Charles Dorat", il a joué dans nombre de films, dont certains grands classiques comme des films de Duvivier. Dans La belle équipe, il est avec Jean Gabin et Charles Vanel, l'un des gagnants du fameux billet de loterie. Il fut également réalisateur.


Auteurs : Robert Serre
Sources : Dvd-rom La Résistance dans la Drôme-Vercors, éditions AERI-AERD, février 2007.