Deux Soviétiques déserteurs de la 19e Armée allemande

Légende :

Lors du repli de la 19e Armée allemande, deux Soviétiques, aidés par le couple Pichon d’Andancette, quittent leur unité et se réfugient dans la Drôme

Genre : Image

Type : Photo

Producteur : Vincent Pichon

Source : © AERD, fonds Vincent et Suzanne Pichon Droits réservés

Détails techniques :

Photographie argentique 6 cm x 8,5 cm.

Date document : août 1944

Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Drôme - Andancette

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Analyse média

Le cliché est pris en septembre 1944 à Andancette. La scène se déroule sans doute peu après le départ de l’unité de la 19ème Armée allemande en retraite qui avait fait une halte, sur la place de l’Église, au village. Deux Soviétiques, qui ont déserté cette unité avec le concours de Vincent Pichon, sont maintenant hors de danger : ils posent, pour la photo souvenir, en compagnie de Suzanne Pichon et de M. Marion, un voisin.

De gauche à droite : M. Marion, un voisin des Pichon, Michaël – un Soviétique, Suzanne Pichon, et Alex – un deuxième soviétique. Le cliché est pris par Vincent Pichon ("Loulou"), l’époux de Suzanne, devant leur maison d’Andancette, 4 place de l’Église, en août 1944.

Suzanne Pichon, à 90 ans, se souvient des événements qui expliquent ce cliché.

Alors que les Allemands occupant la France méridionale se replient vers Lyon, après le débarquement allié du 15 août 1944 en Méditerranée, ils atteignent le nord de la Drôme à la fin du mois. L’une des unités allemandes, gênée par la violence d’un orage – entraînant une coupure d’électricité, quitte la RN 7, se ménage une halte, attendant une accalmie pour repartir. La troupe stoppe sur la place du village. Les soldats cherchent en particulier à s’abriter chez l’habitant.

Les hommes frappent aux portes. Les logis sont envahis, dont celui de la famille Pichon, propriétaire d’une entreprise de production de cirage, les beaux-parents de Suzanne. La maison du jeune couple, légèrement en retrait sur la place, n’est pas sollicitée.

Vincent Pichon, le fils, rejoint la résidence de ses parents toute proche : elle est remplie d’Allemands…. Au sommet de l’escalier en colimaçon permettant d’accéder au premier étage, deux soldats, hors du regard des autres, l’appellent discrètement, lui faisant comprendre qu’ils ne sont pas des Allemands mais des « Russes », et qu’ils désirent fuir. Vincent Pichon leur indique alors l’emplacement de sa propre maison. La nuit étant tombée et l’orage calmé, les Allemands se rassemblent pour poursuivre leur mouvement.

Les deux Soviétiques, profitant de cette situation, parviennent à s’échapper – ils désertent – et à se cacher dans le village, attendant le départ définitif de leur formation. Au moment du départ précisément, les Allemands constatent l’absence des deux soldats. Quelques-uns d’entre eux reviennent à la maison Pichon en voiture, pour les chercher. Mais, ne les trouvant pas, ils menacent, fouillent en vain… Probablement contraints par l’urgence de leur mission, ils quittent les lieux, poursuivant leur remontée vers le nord. Les deux Soviétiques, se sentent plus en sécurité – les Allemands étant d’évidence partis. Ils se dirigent vers la maison de Vincent et Suzanne Pichon, escaladent le mur de clôture et leur demandent de l’aide. Vincent leur dresse un plan sommaire pour atteindre une cache qu’il connaît – un fourré, à proximité du cimetière. Alex, l’un des soviétiques est blessé ; ils parviennent cependant tous les deux, à franchir à nouveau le mur du jardin et à se cacher…

Vincent, le lendemain, avec un ami, Roger Caillet, qui connaît l’allemand, retrouve les deux Soviétiques au lieu conseillé, près du cimetière. Ils sont hébergés dès lors chez les jeunes époux Pichon. C’est un plus tard, et devant chez lui, que Vincent Pichon prend la photo exposée.

Alex, conduit par Vincent Pichon chez le docteur Brodschi de Saint-Sorlin-en-Valloire, est soigné de sa blessure. Durant leur séjour, les deux soldats vont pêcher au Rhône… « Je me souviens de cette anecdote, dit Suzanne en souriant : un jour, Alex nous fait une démonstration de danse russe quelque peu endiablée et il casse une chaise… » Ils se connaissent maintenant mieux : Alex est spécialiste en électricité auto, Michaël travaille au cadastre en URSS (Union des Républiques socialistes soviétiques), « ce qui lui a permis peut-être d’interpréter aisément le plan de Vincent », commente Suzanne.

La Drôme complètement libérée, Alex et Michaël rejoignent les Américains stationnés à Saint-Rambert-d’Albon, sont gardiens de leur dépôt, puis sont regroupés à Saint-Sorlin-en-Valloire, avec d’autres Soviétiques, sous les ordres du lieutenant Nicolaï. Le groupe est dirigé ensuite sur Grenoble. C’est dans cette période qu’une lettre d’Alex et Nicolaï parvient à Suzanne Pichon. « On nous a dit, ajoute Suzanne Pichon avec quelque tristesse, que tous les deux se sont suicidés par la suite, craignant des représailles pour eux et leur famille, au retour, dans leur pays d’origine. »


Auteur : Michel Seyve

Contexte historique

Bien entendu, la photo elle-même et le récit qui l’accompagnent, suggèrent une question importante et complexe, dont on ne peut faire l’économie. Comment expliquer la présence de soldats soviétiques dans la 19ème Armée allemande après le 17 août 1944, date à laquelle Hitler lui avait donné l’ordre de repli ? En ce qui concerne Alex et Michaël, on sait – ils l’ont un jour expliqué à leur hôtes français – qu’ils ont été fait prisonniers lors de l’avance allemande en URSS, au début de la Guerre, et enrôlés dans l’Armée allemande.

Remarquons qu’ils n’étaient probablement pas les seuls Soviétiques dans l’unité qui s’est arrêtée à Andancette, que d’autres Soviétiques ayant fui la Wehrmacht, furent regroupés à Saint-Rambert-d’Albon puis à Saint-Sorlin-en-Valloire et Grenoble. D’autres encore apparaissent dans les maquis drômois. La question ne semble donc pas être marginale.

Il convient de rappeler que la rupture du pacte germano-soviétique a été suivie de l’invasion de l’URSS, à partir du 22 juin 1941 et de l’avance foudroyante de la Wehrmacht. Des milliers de prisonniers soviétiques ont été capturés à ce moment-là. Ils ont été rassemblés dans des camps, en URSS puis en Allemagne. D’autres ont-ils pris le chemin des camps de concentration, où ils ont souvent subi un sort particulier, très mal traités.

Mais la Wehrmacht, étendant sa sphère de conquête dans le monde, s’éloignant sans cesse de ses bases, avait besoin de renforcer ses effectifs : elle a donc puisé dans cette nouvelle réserve, de gré ou de force. Il semble maintenant établi que près de 18 millions d’hommes passèrent dans ses rangs, l’Allemagne seule ne pouvant répondre à un tel besoin.

Dans un dossier intitulé Les mercenaires du Reich, Vincent Bernard estime, dans Lignes de Front, n° 16 de mars-avril 2009, que les Républiques soviétiques ont fourni de forts contingents. « Entre 1939 et 1945, écrit-il, près de 2 millions de non-Allemands provenant de toute l’Europe et au-delà, vont porter, de façon volontaire ou contrainte, l’uniforme allemand. » Les deux déserteurs d’Andancette devraient être dans ce groupe.

Songeant encore à Michaël et Alex, qui ne se décident à fuir qu’à la veille de la libération totale de la Drôme, à leurs motivations, évoquons à nouveau le dossier cité, quitte à découvrir notre ignorance quant à la connaissance réelle de leurs pensées intimes. « Que ce soit par conviction ou pour « la gamelle », pour échapper aux camps de prisonniers ou par engagement idéologique, que ce soit au service de la « Nouvelle Europe» ou simplement pour celui de leur propre cause nationale, on retrouvera ces étrangers de toutes origines, nationalités et religions, au sein d’unités combattantes, logistiques ou de servitude, en première ligne et dans des opérations de « sécurité » anti-partisans à l’arrière du front… » Et l’auteur d’insister : « Cette participation active à l’effort de guerre du Reich » a constitué « un véritable phénomène massif prenant singulièrement toute son ampleur dans les derniers mois de la guerre ». Il est même signalé, dans les milieux russes de l’émigration, en connivence avec des officiers dissidents de l’Armée rouge, des espoirs naïfs de reconstituer une Armée blanche « devant jouer un rôle politique dans la Russie débarrassée des Soviets ». Et même le cas extrême du général Vlassov…

Nous ignorons tout du comportement de Michaël et Alex depuis 1941… Nous supposons que d’autres soviétiques, comme Alex et Nicolaï, ont fui leur cantonnement allemand bien plus tôt, et se sont engagés dans la Résistance française.

Toutefois, si nous supposons la présence d’un groupe de soviétiques dans l’unité d’Alex et Michaël, nous remarquons que la majorité d’entre eux a poursuivi ; par contre, eux-mêmes ont eu le courage de déserter. Ils ont pris des risques incontestables à l’égard de leur encadrement demeuré très solide, se confiant à des Français inconnus, ceci sans doute au cours d’une opération de repli, mais alors même que certains espoirs pouvaient habiter les forces hitlériennes, alors que l’on est encore loin de la fin de la guerre (9 mois séparent la prise de cette photo du 8 mai 1945).


Auteurs : Seyve Michel
Sources : document photographique et interview de Suzanne Pichon.