Témoignage de Pierre Rigaud sur les sabotages

Légende :

Il s'agit des sabotages de lignes ferroviaires et téléphoniques, notamment celui du 13 août 1944, 48 heures avant le débarquement allié en Méditerranée.

Genre : Son

Type : Témoignage sonore

Producteur : Claude Seyve et Michel Seyve

Source : © AERD Droits réservés

Détails techniques :

Témoignage sonore de 13,22 - Support : cassette magnétique transférée sous format numérique (mp3).

Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Drôme

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Analyse média

Au cours de l’automne 2008, Pierre Rigaud, général de division (gendarmerie) accepte un entretien dans sa résidence secondaire de Saint-Restitut, l’un des lieux qu’il fréquenta épisodiquement pendant la Résistance, et, simultanément, maison familiale ancienne. Le sujet est fixé d’un commun accord : Sabotages des lignes téléphoniques et ferroviaires dans son secteur de commandement. Pierre Rigaud a précédemment témoigné à l’occasion de l’élaboration du dévédérom La Résistance dans la Drôme-Vercors, 2007.

Pierre Rigaud situe le point de départ des missions évoquées dans l’entretien, au 5 juin 1944. Alors qu’il rencontre régulièrement à Valence de Lassus Saint-Geniès, alias \"Legrand\", chef AS (Armée secrète) de la Drôme pour des échanges courants dans la vie clandestine (information, organisation, lutte…), ce jour-là il est informé d’un message d’alerte, à caractère exceptionnel, à l’adresse de tous les maquis.

En effet, \"Legrand\" lui demande de rejoindre son secteur au plus vite avec les deux objectifs que Pierre Rigaud indique dans son intervention. Le retour à vélo de Valence à Saint-Restitut est la solution la plus rapide (une petite demi-journée) ; le choix de ce village s’explique très bien : d’une part, la proximité de la région commandée par \"Georges\" ; ainsi, Valréas est à 13 km de là, Taulignan à 20 km. D’autre part, le lieu est commode : il lui permet le repos et le gîte dans la maison de famille. Tout cela en un minimum de temps. De Saint-Restitut, faire prévenir sur-le-champ les sédentaires du Vaucluse, et de la proximité de Taulignan est relativement aisé, bien que les minutes comptent et que l’ennemi et ses amis français veillent.

Bien sûr, l’objectif de vouloir perturber les communications téléphoniques (à grandes distances) de l’ennemi, le 5 juin 1944, apparaît avec évidence de nos jours. On sait maintenant que le débarquement du 6 juin est imminent et l’on mesure mieux la portée de l’événement ─ un des tournants de la guerre ; et, de ce fait, le poids des ordres liés à la préparation de l’action, dont celui donné lors de la rencontre \"Georges\" -\"Legrand\", saute aux yeux.

L’occupation de Valréas en Vaucluse par les forces résistantes, en même temps que Taulignan dans la Drôme, semble également évident, les deux localités étant distantes de seulement 7 km et faisant partie de la même configuration géographique et militaire, dans les marges immédiates de la basse vallée du Rhône. Les limites départementales n’ont ici aucune raison d’être respectées : le rapide examen d’une carte convainc immédiatement.

L’écrasement de la Résistance et de la population, à Valréas, le 12 juin, lors de la contre-attaque allemande, l’exécution de 57 otages contre un mur de la cité le même jour, attestent l’importance, pour la 19e Armée allemande cantonnée dans le sud de la France, de conserver une voie de repli après le débarquement de Normandie datant seulement du 6. La réussite du sauvetage de l’essentiel des forces FFI (Forces françaises de l\'intérieur) commandées par \"Georges\" dans cet affrontement général n’en revêt que plus d’importance. Il reste que la précipitation de cette occupation de la ville décidée le 5 demeure une question qui suscite encore des débats, les forces allemandes stationnées dans le sud constituant une puissance redoutable. Le commandement allemand ne pouvait accepter une « insurrection » dans les marges de la vallée du Rhône sans réagir, ce qu’il fit avec la vigueur massacrante que l’on sait.

Le recrutement organisé par Pierre Rigaud, après le 12 juin, en marge des actions de sabotage, sujet même de l’entretien, au niveau d’anciens sous-officiers de l’armée d’armistice et de gendarmes de la région, mérite une explication plus large donnée plus loin.


Auteurs : Claude Seyve, Michel Seyve

Contexte historique

Le chemin parcouru par Pierre Rigaud, \"Georges\", jusqu’à cet entretien relatant les sabotages de lignes ferroviaires et téléphoniques, permet d’accéder aux motivations profondes qui ont amené cet acteur de la Résistance à se rebeller ; ce chemin, avant tout prise de conscience, l’a mené à la clandestinité, et finalement fait de lui un chef. Il a dirigé des combats jugés illicites pour l’État vichyste en place, auquel il était sensé obéir, jusqu’à prendre part au commandement des dernières batailles, aux côtés des Alliés, qui ont abouti à la libération de la Drôme, de la France, à la fin de la puissance nazie.

Le 3 septembre 1939, alors que la guerre vient d\'être déclarée, Pierre Rigaud passe l\'oral du concours de l\'École d\'officiers de Saint-Cyr au lycée Champollion, à Grenoble. Les épreuves sont interrompues et tous les admissibles - dont il est - sont déclarés admis.

À la fin mars 1940, le sous-lieutenant Rigaud rejoint Romans où il est incorporé. Les opérations militaires se terminent provisoirement pour lui à Saintes où il est fait prisonnier. Il s\'évade à la mi-juillet et rejoint son dépôt d\'infanterie à Romans. Il fait alors partie de l\'armée concédée au gouvernement de Vichy lors de l\'armistice. Puis il vit la dissolution de cette armée, à la suite de l\'invasion allemande de la zone libre, à partir du 11 novembre 1942. Dans ce parcours, l’évasion signe une volonté de ne pas subir le joug de l’envahisseur.

Au début 1943, comme de nombreux officiers placés en congé d\'armistice, il reçoit une couverture civile et se retrouve ingénieur auxiliaire des Eaux et Forêts à Die. Cette situation professionnelle officielle est bienvenue pour se ménager des activités résistantes.

En fait, il s\'est trouvé, à partir de 1940, ainsi que beaucoup d\'officiers de l\'armée d\'armistice du gouvernement Pétain demeurés en France, jusqu\'en 1942, devant un dilemme. Il l\'énonce lui-même de cette façon : « Faut-il rester dans la voie de l\'obéissance au régime de Vichy et attendre les ordres, ou s\'engager dans la désobéissance caractérisée, qui conduira à participer à la Résistance ? ». En novembre 1942, lors de l\'invasion allemande et de la dissolution de l\'armée de Vichy, il estime que les militaires sont devant un nouveau cas de conscience. Les plus âgés, les plus gradés, souvent, tergiverseront, confrontés à un choix solitaire. Mais, « de jeunes capitaines et lieutenants, guidés par l\'enthousiasme et le refus de subir », optent pour le combat selon « les principes de l\'honneur ». Ainsi en décide Pierre Rigaud. C\'est une sorte de « bousculement cérébral - brainstorming ! » qu\'il vit alors, au début 1943, quand il s\'agit de songer à un projet clandestin d\'envergure.

Avec d\'autres officiers du 25e BCA (Bataillon de chasseurs alpins), auquel il avait été affecté antérieurement, il participe à une tentative de reconstitution clandestine de ce bataillon. « Si je suis capturé, prenez contact avec la Résistance locale ! », avait dit le chef du réseau avant son arrestation... C\'est cette voie que Pierre Rigaud suit : il rencontre les chefs locaux de l\'AS Drôme, dont de Lassus Saint-Geniès (\"Legrand\"). Pierre Rigaud devient alors \"Georges\", chef militaire de la Drôme méridionale.

Nous avons vu qu’il n’intervient pas en terrain vierge ; il prend contact avec l\'organisation de Résistance qui, depuis 1942, œuvre dans la région sous l\'impulsion de quelques patriotes. Parmi eux, Amédée Tena est industriel à Montségur (Drôme) ; Louis et Marius Gras sont deux agriculteurs ; Clarice, ancien de la Guerre d\'Espagne et sans doute lié à un réseau allié par l\'intermédiaire de la Suisse ; Louis Bazzini est transporteur – « dont l\'enthousiasme voire la témérité font merveille ». Amédée Téna, appartenant à une famille d\'origine suisse, entretient des contacts avec des réseaux alliés, ce qui permet aux maquisards du canton de Valréas de recevoir des armes parachutées à Comps (Drôme), dès 1943.
C\'est dans cet environnement favorable que \"Georges\" va rechercher et recruter des volontaires dispersés. Il faut ensuite leur donner une formation, notamment sur les armements de provenance anglo-saxonne : c\'est un travail de patience et de discrétion. Il apprécie l\'aide que lui apportent des sous-officiers démobilisés de l\'Armée d\'armistice ainsi que des gendarmes de son secteur.

Comme tous les officiers en congé d\'armistice, il doit pointer une fois par mois à la gendarmerie de Valence ; les officiers qui le reçoivent (commandant Raffort-Deruttet et lieutenant Morel), n\'hésitent pas à lui donner toutes les informations qu\'ils ont sur les intentions des Allemands, concernant le sud du département. Après ce contact officiel opportun, il prend les consignes de \"Legrand\", dans une maison du vieux Valence. C’est là que le 5 juin 1944, il reçoit l’ordre dont il est question dans l’entretien, saute sur le premier vélo rencontré et pédale vers Saint-Restitut.

À partir du 6 juin 1944, le début de ce qui va être la bataille de Normandie, « le signal d\'insurrection » donné par les messages de Londres déclenche, partout en France, la manifestation des organisations de la Résistance. Une réelle effervescence se propage dans l\'Enclave, à proximité et au-delà. Dans les zones dites « libérées », comme le Diois et le Nyonsais, où les Allemands ne se sont manifestés que par des incursions limitées, la Résistance civile apparaît au grand jour (Buis-les-Baronnies, par exemple, est libérée le 7 ou le 8 juin, et le demeurera d\'ailleurs définitivement). Mais, dans la vallée du Rhône, axe stratégique pour les forces allemandes, et les zones proches, comme l\'enclave de Valréas, il en va tout autrement.

Quoi qu\'il en soit, \"Georges\" applique l\'ordre d’Alain d\'occuper Valréas et Taulignan, les FTP (Francs-Tireurs et partisans) faisant de même. La cité de Valréas se libère dans l\'allégresse les 7 et 8. Mais la contre-attaque allemande, le 12 juin, aboutit à l\'écrasement des forces résistantes ; environ 71 morts du côté français sont à déplorer dans les communes du secteur.

À la suite de l\'attaque allemande du 12 juin, Pierre Rigaud se met au vert avec quelques camarades de combat, à Rieutord (Ardèche), jusqu\'au 10 juillet. Il pense à reconstituer sa compagnie afin de poursuivre la lutte. Il s\'y consacre dès le départ de l\'ennemi du pays de Valréas et Taulignan, aidé par Marius Gras et par Clarice. L\'effectif atteint environ 200 hommes dont un groupe de réception de parachutages d\'une cinquantaine. On s\'arme, on s\'entraîne, avec l\'aide des gendarmes. Pierre Rigaud aguerrit son unité, en « évitant soigneusement tout affrontement classique, qui n\'aurait conduit qu\'à un échec sanglant ». C’est dans cette période que les lignes téléphoniques à grandes distances sont attaquées, et que, précisément dans la nuit du 11 au 12 août, se situe la destruction du pont sur la voie ferrée au nord de Pierrelatte, pendant que les maquis de l\'Ardèche en font autant sur la rive ouest du Rhône. Une autre équipe décroche un wagon de sucre à Pierrelatte, le vide de son contenu qu\'il distribue aux unités du sud de la Drôme, etc.
Après le 15 août 1944 (débarquement de Méditerranée), l\'unité de Pierre Rigaud devient la 8e compagnie du 4e bataillon AS Sud-Drôme sous les ordres du commandant Bernard. Elle participera, avec ce bataillon, à la réduction de la poche de Montélimar, servant d\'unité d\'accompagnement à un élément blindé de la Task-Force Butler. Dès le 20 août, elle s\'installe au lieu-dit Le Bridon avant de progresser sur l\'axe Dieulefit-Montélimar.


Auteurs : Claude Seyve, Michel Seyve
Sources : Entretien avec Pierre Rigaud (Interviewer : Claude Seyve et Michel Seyve - Durée : 13’22’’ - Date interview : 07/08/2009 - Lieu interview : chez le témoin (résidence secondaire de Saint-Restitut) - Support origine : cassette magnétique). Dvd-rom La Résistance dans la Drôme-Vercors, éditions AERI-AERD, février 2007.Dvd-rom La Résistance dans la Drôme-Vercors, éditions AERI-AERD, février 2007.