Francis André, dit « Gueule Tordue »

Légende :

Ce personnage a laissé de très mauvais souvenirs à la Résistance drômoise.

Genre : Image

Type : Photo

Producteur : Inconnu

Source : © AERD Droits réservés

Détails techniques :

Photographie argentique noir et blanc.

Date document : Sans date

Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes)

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Analyse média

Photo anthropométrique de Francis André, dit « Gueule Tordue », un abominable tueur de la Milice et du PPF (Parti populaire français).

Durant le procès de Francis André, en janvier 1946, sa laideur, et plus encore l’horreur de ses multiples crimes, impressionnent le journaliste Lachat qui écrit :
« L’image de la brute aux 160 victimes ne s’effacera jamais de ma mémoire. Il était plus laid, plus bovin, plus immonde que toutes les photos qu’on garde de lui, avec la trace de son hideuse paralysie faciale. Son nez déraciné semblait ne tenir que d’un côté, au milieu d’une longue cicatrice serpentant d’un front énorme et lourd jusqu’à la grosse lèvre pendante. Ses mains d’étrangleur passaient et repassaient sur sa bouche, à chaque question qu’on lui posait. Geste qui avait l’air d’essuyer l’horreur des réponses. Car il était loquace, l’abominable assassin ! ».


Auteurs : Robert Serre

Contexte historique

« Le plus fidèle collaborateur de Klaus Barbie » est un Drômois, moins effrayant par sa laideur, qui lui valait son surnom de « Gueule Tordue » que par l’horreur sanguinaire de ses crimes contre ses compatriotes.

S’il est un Drômois dont il vaudrait mieux ne pas parler, c’est bien Francisque, dit Francis, André que le procureur Thomas, en le jugeant le 14 janvier 1946, qualifiera de « véritable monstre, une bête assoiffée de sang, la plus sinistre figure de la Gestapo lyonnaise ».

Francis André est né le 25 février 1909 à Lyon. Sa mère était originaire du quartier de Chastel à Die, où il avait encore de la famille. Il demeure ensuite à Romans. Il ne passe jamais inaperçu en raison de son faciès peu engageant, déformé par un rictus dû à une paralysie faciale ou un accident d’enfance, origine de son surnom de « Gueule Tordue ».
D’abord communiste, il est passé en 1937 au PPF (Parti populaire français), mouvement fascisant de Jacques Doriot dont il est parfois le garde du corps. Ancien boxeur, il exploite ses talents en participant à de nombreuses bagarres contre des militants communistes et socialistes.

Il se met au service du gouvernement de Vichy et des Allemands dès 1940 : membre du Groupe de protection (GP) du Maréchal, il participe à l’arrestation de Laval le 13 décembre 1940. Les GP ayant été dissous, Francis André devient responsable de la propagande de l’Union nationale du travail nouvellement créée. Puis il s’engage dans la LVF (Légion des volontaires français contre le Bolchevisme), effectue ses « classes » en Pologne, puis combat en Russie où il prend très vite du galon. En bisbille avec les Allemands qui l’utilisent, lui et ses amis, comme arrière-garde constamment attaquée par des francs-tireurs et qui veulent leur interdire toute activité politique, il est réformé et revient à Lyon en mai 1942.

Il commence à rassembler autour de lui des adhérents du PPF, d’autres groupuscules collaborationnistes, de la Milice, mais aussi quelques dizaines de truands, des gangsters, des criminels, des escrocs, des souteneurs, des prostituées, formant une équipe intégrée au SD (Sicherheitsdienst, Service de sûreté attaché au parti national-socialiste) dès la fin 1942 et dépendant de la Gestapo.
Il continue cependant à s’activer sur Romans et on le trouve cité dans la liste des responsables de Partis dans la Drôme dressée le 23 septembre 1943 : « PPF Romans : André Francis, dit « le boxeur », chef phalangiste et responsable du SO, demeurant à Romans, 3 place Carnot. »

À la demande de Jacques Doriot, il crée en novembre 1943 le MNAT, Mouvement national antiterroristes, qu’il présente dans un tract comme un « groupement ni inféodé à l’Allemagne, ni vendu au capitalisme juif anglo-américain, un groupement de Français qui veulent voir se relever la France » et assure que le MNAT « répondra aux coups par des coups. Pour chaque National assassiné, un dirigeant terroriste sera exécuté ». Il organise et accroît son équipe avec, entre autres, plusieurs Drômois dont trois deviennent ses lieutenants :
- René Sambet ou Gambet, responsable de la propagande du PPF dans la région de Romans, ex-chef phalangiste de la Drôme,
- Jean Durand, moniteur de natation à Romans,
- Guy Athénose, réfugié tunisien à Romans…
Pudiquement camouflé sous la dénomination d’une société de cinéma, la Neutra, et protégé par le lieutenant SS Moritz, officier du SD de Berlin, muté de Marseille à Lyon, André et sa bande se livrent à des chantages sur des personnalités locales, des représailles après les actions du maquis, des arrestations, des pillages, toujours sous le couvert du MNAT dont il laisse la signature sous la forme d’un papier épinglé sur les victimes portant : « Tueur contre tueur, cet homme paie de sa vie la mort d’un national ! » ou « Abattu par des antiterroristes. Sa mort répond de celle d’un patriote ».
Installé par Moritz dans un logement au 14 bis, avenue Leclerc à Lyon, il a l’appui de la police allemande à qui il livre ses prises, et la prudente passivité de la police française qui redoute un individu ayant de si puissantes relations. Après des accords passés avec le général Oberg, chef des polices allemandes en France, un généreux financement est assuré au MNAT par le partage du butin. De leur côté, les nazis bénéficient ainsi d’un sérieux renfort numérique et de gens du pays connaissant le terrain et disposant de réseaux de dénonciateurs. La bande de « Gueule Tordue » est une des équipes les plus zélées et les plus actives, qui va jusqu’à envoyer une lettre aux personnes choisies, leur disant qu’elles sont désignées comme otages et qu’elles seront exécutées après tout attentat « contre un membres du PPF, de l’AF, du RNP, de la Légion, de la Milice, du PSF, de la LVF, des Francistes, des Jeunes de l’Europe nouvelle ». Membre du PPF, André avouera qu’il avait des relations avec tous ces groupes et les finançait, ainsi que d’autres travaillant pour les Allemands, par exemple la Ligue antibolchevique.

Au printemps 1944, la bande de Francis André, tout en conservant son indépendance et en restant sous l’autorité de son chef, est intégrée à la Gestapo et ses services s’installent chez les amis allemands, au siège de la Gestapo, place Bellecour. « Gueule Tordue » la renforce de recrues nouvelles, en particulier les Drômois Chevrolat, Contamin et Gellerat. Il arrivera à avoir sous ses ordres 60 individus répartis en trois groupes : chaque groupe était à tour de rôle chargé des arrestations de Juifs ou résistants, des interrogatoires ou mis au repos. Quand il avait affaire à des FTP (Francs-tireurs et partisans), qu’il haïssait particulièrement, André les arrêtait, les interrogeait, puis les passait aux Allemands et s’attribuait la moitié du butin. Quand c’étaient des Juifs, il les remettait à la section antijuive de la Gestapo, mais conservait la totalité du butin, qu’il partageait entre « l’entretien de son équipe » et la caisse du PPF. Dans les opérations lucratives qu’il affectionne, André tente souvent de tromper ses amis nazis : il recueille des renseignements, puis les exploite à son profit, il dévalise un Juif qu’il livre aux Allemands non sans garder pour lui les 600 000 francs qu’il a raflés. Une opération contre des FTP lui fournit de nombreuses adresses qui lui permettent de s’approprier un énorme butin, dont trois voitures. Le chantage est un moyen discret de bénéfices inavoués.
Ladislas de Hoyos rapporte le témoignage d’un journaliste qui narre comment Francis André opère auprès des familles, ramassant ainsi de beaux magots. La mère d'un étudiant en droit, sur les conseils d’un secrétaire d'État du gouvernement de Vichy, a obtenu un rendez-vous avec M. Francis, à l'École de santé militaire. « Gueule tordue » la reçoit, sourit de toutes ses dents en or et lui fait comprendre que pour sauver son fils, il aurait besoin de graisser la patte de certains Allemands : trois millions. La maman fait la tournée des amis et revient quelques jours plus tard avec les liasses. M. Francis la rassure : « Madame, votre fils sera chez vous ce soir. » Imaginez la joie... Or, ce jour-là, le jeune homme qui souffrait déjà de plusieurs fractures dues à la torture était achevé d'une balle dans la tête.
Mais « Gueule Tordue » se fait souvent berner par les Allemands, par exemple après avoir dévalisé un bijoutier juif, il est obligé de rendre les diamants alors que les Allemands gardent les pièces d’or et les titres ! Dans une autre affaire, il ne peut conserver que 1,6 million de francs alors que les Allemands s’attribuent près de 5 millions et confisquent les pierres précieuses et l’or.
Mais c’est surtout une impressionnante série d’assassinats qui est à mettre au crédit de « Gueule Tordue ». Les expéditions avec ses acolytes se concluent par des pillages, des arrestations, des tortures, des meurtres. À Lyon, des médecins, des avocats, des professeurs sont abattus.
En novembre 1943, il démantèle un réseau de Résistance ardéchois et arrête la plupart de ses membres qui sont internés ou déportés.
À Grenoble, après le 11 novembre 1943 où une puissante manifestation (interdite) avait célébré l’anniversaire de l’armistice de 1918, les Allemands procèdent à 700 arrestations qui engendrent 500 déportations. La Résistance riposte en faisant sauter le dépôt de munitions du Polygone d’artillerie. L’équipe de Francis André est envoyée en renfort de la Gestapo et des membres du PPF. Les assassinats émaillent le parcours de la Traction noire de « Gueule Tordue » qui coche sur une liste de noms l’avancement de sa mission : Georges Duron fleuriste, Roger Guigues, le docteur Girard, le docteur Butterlin, le journaliste Jean Pain, abattu par Athénose, le docteur Valois, le docteur Carrier, le professeur Jean Bistési, Jean Gosse avocat et son fils.
L’équipe se distingue encore dans une rafle de 43 Juifs le 23 décembre 1943, dans l’assassinat le 25 novembre 1943 de deux résistants après torture sans résultat, dans la noyade de Juifs dans l’Isère.
Mais « Gueule Tordue » s’est beaucoup manifesté dans la Drôme qu’il connaissait bien. On le trouve dirigeant de nombreuses « descentes », rafles contre des Juifs, piégeages de résistants, saisies d’otages… L’une de ses victimes, Eugène Mercédès Vincent, arrêté par lui à Cléon-d’Andran le 21 février 1944 et déporté à Auschwitz, puis Buchenwald, pendant qu’il se remettait peu à peu au sanatorium, a été appelé trois fois à témoigner au procès de « Gueule Tordue ».

Après le 6 juin, sur ordre de Doriot, Francis André constitue un groupe d’action chargé de détruire le maquis et de protéger les voies de communication utilisées par les Allemands pour amener des renforts en Normandie. En outre, il joue un rôle actif dans les massacres perpétrés contre les détenus des prisons lyonnaises. Il participe aux exécutions de détenus de Montluc à Neuville-sur-Saône, au massacre de Saint-Genis-Laval qui fait 120 morts, etc. Le 13 juillet 1944, il se livre à des représailles sur le village de Saint-Hilaire-de-la-Côte, dans l'Isère. Mais, aussi violents soient-ils, « Gueule Tordue » et ses sbires ne peuvent plus rien pour empêcher la défaite des nazis. Les Allemands refluent, entraînant avec eux ceux qui les soutenaient. Francis André et son groupe, le 21 août, se regroupent autour de Barbie en Côte-d’Or, puis à Nancy, protégés par l’Abwehr et le RSHA. Ils fuient en Allemagne, avec les PPF, et se réfugient à Mainau. André sera, peu après la défaite, arrêté, ramené en France et incarcéré à la prison Montluc de Lyon où il avait fait enfermer tant de gens.

Au début de 1946, devant la Cour de justice de Lyon, il reconnaît plus de 120 assassinats. Il est condamné à mort le 19 janvier 1946 et fusillé le 9 mars 1946. Au fort de la Duchère où de nombreux résistants avaient précédemment été abattus, son corps s’écroule sous les balles du peloton, dans la neige du fossé.


Auteurs : Robert Serre
Sources : Gérard Chauvy, Lyon 1940-1947, Perrin 2004. Philippe Aziz, Histoire secrète de la Gestapo lyonnaise, 2 tomes, Famot, Genève 1976. Tal Bruttmann, La logique des bourreaux, 1943-1944, Hachette 2003. Claude Muller, Les sentiers de la liberté, Tisserand éditions, 2003. Marcel Ruby, Résistance et Contre-Résistance à Lyon et en Rhône-Alpes, Horvath, 1995. Ladislas de Hoyos, Barbie, R. Laffont, Paris 1987. Jean Veyer, Souvenirs sur la Résistance dioise, Die 1973 et 1986, p. 80. Jean Abonnenc, Il n’est pas trop tard pour parler de Résistance, Die, 2004, p. 257. ADD, 132 J 26.