Yves Farge prononçant un discours, à Die, le 14 juillet 1944

Légende :

Yves Farge prononçant un discours sur le socle de la statue de la République, à Die, le 14 juillet 1944. Au même moment, à Vassieux-en-Vercors, les Allemands bombardent le terrain couvert de containers parachutés le matin-même.

Genre : Image

Type : Portrait

Producteur : Cliché Thérèse Pezet

Source : © AERD, collections Michel Tallon et Albert Fié Droits réservés

Détails techniques :

Photographie argentique noir et blanc.

Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Drôme - Die

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Analyse média

Photographie montrant Yves Farge prononçant un discours sur le socle de la statue de la République, à Die, le 14 juillet 1944. Autour de lui, la foule l'écoute.

Dans Souvenirs de la Résistance dioise, 1941-1944, Jean Veyer évoque cet événement :
« Yves Farge, dit "Grégoire", juché sur le socle de la statue, agrippé d'un bras à la statue de la République et tendant l'autre vers la foule, proclamant sa foi dans la libération prochaine. Ses accents de tribun, sa tête auréolée de cheveux blancs sont assez convaincants. Mais il n'y a pas tellement de civils pour l'écouter »


Auteurs : Robert Serre
Sources : Jean Veyer, Souvenirs de la Résistance dioise, 1941-1944, Die, Imp. Cayol, 1986.

Contexte historique

Les maquisards de la compagnie Pons descendent de leur refuge d’Estrieu, sur les contreforts du Vercors. On va célébrer la fête nationale à Crest par un défilé des trois compagnies du secteur. La compagnie Pons défile le matin. Sur le cours du Joubernon, le capitaine Pons, sa casquette d’ancien matelot sur la tête, précède quelques marins réservistes avec col blanc et béret bleu à pompon rouge, puis les hommes de sa compagnie. Pour la circonstance, Paul Pons a fait confectionner par les établissements Argod, de Crest, spécialisés dans les vêtements religieux, des chemises marron, des pantalons bleus et des brassards tricolores ornés de l’ancre de marine. Uniformes qui remplacent avantageusement les tenues bariolées et rafistolées portées jusqu’alors, mais qui se révèleront d’un tissu si peu solide qu’ils ne dureront guère au-delà de la journée. Derrière vient la compagnie Chapoutat. L'après-midi, c'est la compagnie Brentrup (« Ben ») qui défile avec, à sa tête, son chef pilotant une moto. La foule est nombreuse et enthousiaste, peu consciente de la réalité de la situation. Aussitôt terminée la parade crestoise, les hommes sont embarqués vers Die, où doit avoir lieu la cérémonie officielle.

Malgré les réticences de quelques chefs militaires – dont de Lassus Saint-Geniès (« Legrand ») et Pierre Raynaud (« Alain ») –, le commissaire de la République Yves Farge (« Grégoire ») envoyé par Alger, le futur préfet Pierre de Saint-Prix, le Comité départemental de Libération, les notables locaux ont convaincu Legrand. Des affiches sur fond vert sont collées dans la ville, appelant à fêter le 14 juillet et déclarant que le Diois est en état de siège. Die fait partie du territoire qu'a libéré la Résistance tout autour du Vercors et où la République a été proclamée. Sous-préfecture du département, la ville est devenue un symbole.

Quand les hommes de Pons, et ceux de nombreuses compagnies drômoises, sont en place dans la sous-préfecture bien rangés et l'arme au pied, ils peuvent observer, bien rangés et l’arme au pied, les allées et venues des chefs civils et militaires parcourant les bistrots où pastis et clairette coulent à flots. Déjà pourtant, des signes inquiétants apparaissent. Le matin, on a vu passer des dizaines de B17 forteresses volantes allant parachuter des armes sur Vassieux. L’espoir d’un débarquement imminent en Méditerranée et surtout d’une aide alliée importante renforce la perspective d’une Libération proche. Mais quelques minutes après, le passage d’avions allemands basés à Chabeuil, en mission pour empêcher la récupération des armes parachutées, provoque peur et crainte. Les bruits sourds d’un bombardement prolongé écornent un peu l’enthousiasme, mais la fête continue. À midi, Yves Farge ("Grégoire"), Claude Alphandéry ("Cinq-Mars"), Pierre de Saint-Prix sont rejoints par le colonel Henri Zeller ("Joseph", "Faisceau"), Francis Cammaerts ("major Roger" du SOE - Special operation executive), qui avait déniché un invraisemblable uniforme très britannique, et son adjointe Christine Granville (Pauline) ainsi que la mission américaine. Sont présents également le commandant Antoine Benezech ("Antoine"), le commandant Lucien Fraisse ("Xavier"), les capitaines Jean Rueff, Pierre Raynaud ("Alain"), Félix Germain ("Morvan"), Laurent Riausset ("Laurent"), René Gainet ("Vaillant"). Et encore des maires de la libération du Nyonsais et du Diois.

Les autorités décident que le défilé n’aura lieu qu’après 17 heures en raison de ce qui se passe à Vassieux. Il est demandé à la population de rester sous le couvert des arbres de la place de la République.
Vers 18 heures, en présence de tous les officiels civils et militaires, défilent des détachements, FTP (Francs-Tireurs et partisans) et AS (Armée secrète), avec en tête une compagnie descendue du Vercors. Les combattants de l’accrochage de Montclus du 22 juin, la section " Oualhou ", présentent leur prise de guerre, deux canons de 37 mm accrochés aux coffres des traction-avant. Bien que ne possédant pas d'uniformes, plusieurs compagnies défilent en donnant l'impression d'une force disciplinée et parfaitement militaire. Le défilé est clos par les représentants des syndicats ouvriers arborant le drapeau rouge. De Lassus Saint-Geniès, en gants blancs décore quelques vaillants, des blessés, les FTP de Montclus, des hommes de la compagnie Maisonny qui s'est distinguée à La Rochette, du groupe-franc de Paul Bernard (compagnie Pons), le lieutenant Ladet, le capitaine Roger qui aurait abattu au fusil-mitrailleur un avion allemand du côté de Valence. Après qu'il ait remis d'autres décorations, notamment à "Alain", Yves Farge, juché sur les marches du socle de la statue, dans un vibrant discours, exalte les valeurs de la République restaurée. Mais il n'y a pas tellement de civils pour l'écouter : les bombardements du Vercors et le survol de Die par les avions allemands ont provoqué un nouvel exode et une crainte justifiée d'un bombardement possible de la ville.

Un cinéaste amateur, E. Brochier, filme des scènes de la manifestation.

Deux témoins oculaires relatent bien l’atmosphère du moment, contredisant d’autres témoignages :
Pour René Ladet, « Farge a déclaré : " vous êtes en terre libérée " pendant que les avions allemands bombardaient le Vercors, cela faisait une drôle d'impression. De Lassus était en gants blancs pendant que les gars défilaient débraillés ».
Jean Veyer, malgré une erreur de chronologie, précise que « la prise d’armes est, dramatiquement, ponctuée par le bombardement lointain qui continue inexorable. Il y a eu un beau, un vibrant discours d’Yves Farge, juché sur le socle de la statue, agrippé d’un bras à la République et tendant l’autre vers la foule, proclamant sa foi dans la Libération prochaine. Ses accents de tribun, sa tête auréolée de cheveux blancs sont assez convaincants. Mais il n’y a pas tellement de civils pour l’écouter. Die commencerait, semble-t-il, à avoir peur. Beaucoup de gens se terrent chez eux. Il y a eu ensuite un défilé, type 14 juillet [...] Tout cela ne manque pas d’allure. Mais je suis rongé d’inquiétude. Il y a longtemps que je ne confonds plus l’esprit de combat et l’esprit de parade. »

Après les cérémonies, conscients de la gravité des événements, Alphandéry, de Saint-Prix, Farge, Félix Maurent montent à Vassieux pour connaître la situation après le parachutage de l’USA Air Force et la réplique des avions allemands.

La célébration festive de Die est caractéristique des espoirs (illusions ?) entretenus depuis le 6 juin sur une Libération prochaine. On avait oublié que l'ennemi n'était pas encore tout à fait vaincu.


Auteurs : Robert Serre
Sources : Combats pour le Vercors et pour la liberté. Jean Veyer, Souvenirs sur la Résistance dioise. Abbé Bossan, Témoignage. Yves Farge, Rebelles, soldats et citoyens. Pour l'Amour de la France. Archives Paul Arthaud : notes de Robert Noyer sur la Résistance dioise. Dauphiné Libéré, 24/08/1984. Drôme terre de liberté. Entretien René Ladet, 20 août 2000. Albert Fié, Mémoires d’un vieil homme, Le Crestois, 9 et 16 juillet 2004.