Wagons en feu à la Cécile lors de la libération de Valence

Légende :

Wagons en feu au quartier de la Cécile lors de la libération de Valence, le 29 août 1944

Genre : Image

Type : Lieu

Producteur : Cliché Boussand

Source : © Collection Pierre Vincent-Beaume Droits réservés

Détails techniques :

Photographie argentique en noir et blanc.

Date document : Sans date

Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Drôme - Valence-sur-Rhône

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Analyse média

Le 29 août 1944, les Allemands en fuite incendient les derniers wagons de marchandises restant en gare de Valence. Un wagon-citerne plein de nitroglycérine explose, provoquant d’énormes dégâts et de nombreux morts. La photo montre les carcasses fumantes de quelques-uns des wagons incendiés.


Auteur : Robert Serre

Contexte historique

Valence attend sa délivrance : après une tentative de libération avortée le 24 août, la ville préfecture, déjà frappée et endeuillée par les bombardements alliés des 15 et 18 août, est une nouvelle fois meurtrie par l'énorme explosion dans le quartier de la Palla. Le passage des Allemands en retraite ne détend nullement la nervosité.

Le 24 août a lieu un premier assaut contre le chef-lieu du département. De Lassus Saint-Geniès ("Legrand"), soucieux du sort des nombreux prisonniers que détiennent les Allemands dans Valence et inquiet des résultats désastreux des bombardements alliés sur la ville dont il craint le renouvellement, a demandé au colonel américain Steel d'accélérer l'assaut sur Valence. La décision, brusquement prise le 24 août dans l'après-midi pour un lancement le soir même à 20 h, ne laisse pas à "Legrand" le temps de joindre ses unités de résistants, ce qui conduit les Américains à retarder l'opération de deux heures. Aussi vite que possible, l'ordre est diffusé aux compagnies.
L'offensive est engagée à 22 h. Les officiers FFI (Forces françaises de l'intérieur) dans leur ensemble, et même certains officiers américains, jugent cette tentative prématurée : l'artillerie allemande garde de très fortes positions autour de la ville et ses troupes restent nombreuses et fortes. Peu après le démarrage des unités FFI accompagnées de chars américains, l'artillerie allemande entre en action : deux chars américains, frappés par des projectiles de 88, flambent. Aussitôt, le colonel Adams donne l'ordre d'abandonner l'attaque et de faire demi-tour. Même s'ils n'y croyaient guère, la déception est immense chez les combattants français, d'autant que les blindés américains se replient à la hâte en laissant sur le terrain leurs hommes et les maquisards se débrouiller comme ils peuvent pour se sortir du guêpier. La délivrance de la préfecture, symbole de l'autorité départementale, est primordiale pour les Drômois et les résistants. Elle n'a pas d'intérêt stratégique pour les Américains qui n'ont qu'une hâte : avancer vers Lyon où ils espèrent écraser les Allemands bloqués par une de leurs divisions. Cette attaque ratée explique la décision de la Résistance de recommencer en agissant seule le moment venu.

Pendant la dernière semaine d'août 1944, l'armée allemande bat en retraite dans la vallée du Rhône. La bataille dite de Montélimar s'achève. En dépit de lourdes pertes, la 19e armée a réussi à s'arracher à un piège mortel et poursuit son repli. Sous les ordres du general der Infanterie Wiese, elle compte encore 130 000 hommes, dont la 11e Panzer-Division presque intacte.
À Valence, tous les trains ayant été enlevés pour transporter les Allemands, il ne reste dans la gare des marchandises entre la Palla et le pont de la Cécile que deux rames de wagons que les derniers soldats allemands du Génie ont reçu l'ordre d'incendier. Au matin de ce 29 août, à l'aide de paille et de lampes à pétrole, ils créent une série de foyers sur les voies et dans les bâtiments. L'incendie fait rapidement rage sous le regard de badauds accoudés au pont de la Cécile, s'interrogeant sur ce qui peut advenir d'un wagon chargé de torpilles sous-marines et d'un wagon-citerne léché par les flammes. Soudain, vers 13 h, c'est l'explosion. Avec un bruit extraordinaire qui affole tous les Valentinois, le souffle de la déflagration arrache des toitures, éventre les immeubles voisins, défonce les vitrines, projette les gens et les meubles, ébranle les maisons, brise les vitres, arrache des portes, des fenêtres, des cloisons ; un immense champignon s'élève au-dessus de la ville. À l'emplacement du wagon-citerne - un wagon de nitroglycérine, dit-on -, un cratère est bordé de ferrailles tordues, de rails brisés, de wagons démantelés. D'un cercle de ruines d'un kilomètre de rayon, on retirera une quarantaine de morts et une centaine de blessés qu'on transportera à Bourg-lès-Valence, au château du Valentin transformé en hôpital.

La chaleur orageuse est étouffante. Depuis huit jours, le service d'enlèvement des ordures ménagères ne fonctionne plus : les rues sont sales et la puanteur se répand. Ni eau, ni gaz, ni électricité, ni TSF. Les bobards continuent à circuler, confortés par l'explosion de la Cécile. Tout le monde a les nerfs à fleur de peau. Ce 29 août, Valence, une fois encore horriblement meurtrie, attend sa délivrance.

Les Allemands continuent leur retraite vers le nord. Les Alliés et la Résistance ajoutent, le 30 août, environ 3 000 prisonniers aux 1 200 des 28 et 29 août. Tout le secteur au sud de la rivière Drôme est "nettoyé" après la capture des derniers Allemands lors de leur ultime contre-attaque à La Coucourde. Les Américains font barrage à Saulce, Condillac, Loriol. À 7 h le 30 août, Livron est pris par les Américains ; à 9 h 15, ils conquièrent le confluent du Rhône et de la Drôme. À 17 h 30, René Ladet et son groupe de sédentaires armés prennent par surprise le poste du relais provençal à Portes-lès-Valence, dernière défense organisée avant Valence. Ils font soixante prisonniers dont un colonel et trois officiers qui sont conduits à Beauvallon. Toute la journée du 30 août, Valence voit un passage ininterrompu d'hommes, de chevaux, de véhicules les plus hétéroclites. La retraite allemande n'est pas toujours aisée, il lui faut s'ouvrir la route, la Résistance ne lui laissant guère de répit. Une colonne allemande essaie par deux fois de forcer le passage par le coteau de Saint-Sorlin-en-Valloire tenu par la compagnie Monot : après avoir brûlé deux maisons dans le village et blessé à coup de grenades plusieurs civils, femmes et enfants, elle doit se retirer à nouveau sur Anneyron, d'où elle gagnera la route nationale. À Peyrins, au matin, une unité venue de Grenoble avec un canon de 47 mm attaque un élément blindé allemand, composé de trois chars lourds, quatre chenillettes et des voitures légères. Après une demi-heure de combat, les Grenoblois se retirent. Dans la soirée, des résistants en reconnaissance attaquent une batterie allemande de 20 mm en position à Saint-Uze et provoquent des blessés et des morts chez les Allemands. Affaiblie, l'armée allemande doit parfois ruser. Au début de la matinée, trois trains sortent du tunnel de Serves surmontés de croix rouges bien en évidence. Leurs locomotives sont blindées. Un millier de civils sortent des wagons. Ce sont des fonctionnaires allemands, en majorité cheminots, rapatriés des bords de la Méditerranée. Protégés par des mortiers, ils rétablissent cinq coupures faites la nuit précédente. Les trois trains réussissent à poursuivre leur voyage et à s'échapper en roulant au pas.

Après leur passage, les Allemands tentent de freiner leurs poursuivants en détruisant tout ce qui pourrait les aider. À Valence, ils rendent inutilisable leur central téléphonique particulier avenue Maurice Faure. À 20 h, ils coupent le pont sur le Rhône. Un officier qui s'apprête à incendier 1 200 litres d'essence est abattu au moment où il va mettre son projet à exécution. Dans les villages environnants, le même souci anime les Allemands. Entre Alixan et Romans, ils coupent le viaduc de la Vernaison. Ils font sauter le poste à haute tension de Beaumont-Monteux. À La Roche-de-Glun, ils détruisent le pont routier sur l'Isère et pillent la gare. À 23 h, ils démolissent la réparation provisoire qu'ils avaient faite pour le passage des trains sur le viaduc de l'Isère. La passerelle routière Marc Seguin sur le Rhône entre Tain et Tournon est démantelée. Plus loin, ce seront le pont de l'Herbasse à Clérieux et le pont suspendu sur le Rhône entre Saint-Vallier et Sarras. Les derniers soldats de la Wehrmacht essaient aussi d'abattre le pont de pierre de la RN7 sur la Galaure et le viaduc de la voie ferrée Paris-Marseille. Heureusement, 120 hommes des compagnies Mabboux, "Bozambo", Martin et Guettaz les en empêchent. À Saint-Vallier au matin, les Allemands font sauter la gare de marchandises, l'usine Montagne et la villa Jay. La dernière unité allemande constituée traversant Andancette fait sauter le pont et la maison du secrétaire de mairie et emmène trois hommes dont l'un sera fusillé dans la cour d'école d'un village voisin. À Épinouze, les deux transformateurs qui alimentent l'usine Carbone-Lorraine sont détruits par explosion. À Saint-Rambert-d'Albon, à 23 h, les Allemands incendient la gare et l'entrepôt frigorifique.

Ce 30 août, le flot s'épuise à Valence : alors qu'à 6 h du matin, de nombreux convois allemands remontaient vers le nord, il ne passe plus, à midi, que quelques camions avec des soldats noirs de poussière. Dans la nuit du 30 au 31, les chars de la 11e Panzer-Division rendent la N 7 inabordable. Au lever du jour, la N 7 entre Tain et Saint-Vallier est déserte, la division blindée a tout ramassé, il ne reste plus dans Tain, Saint-Vallier, Saint-Rambert, que des arrière-gardes attendant, à l'abri de l'aviation alliée, la nuit pour continuer leur retraite.


Auteurs : Robert Serre
Sources : SHAT, 13 P107. ADD, 9 J 23, 9 J 1, 9 J 4, 97 J 91. Combats pour le Vercors et pour la liberté, Drôme-Nord, terre d’asile et de révolte, 1940-1944, La Picirella, Témoignages sur le Vercors, Henri Faure, Étais-je un terroriste ?, Pons, De la Résistance à la Libération, Micoud, Nous étions cent cinquante maquisards, Ladet, Ils ont refusé de subir. La Résistance en Drôme (Mémoires d'un corps-franc et d'une compagnie FFI). Portes-lès-Valence "zone rouge", 1942-1944, Pour l’amour de la France, Drôme-Vercors 1940-1944.