Ordres de mission du 2 août 1944 de De Lassus Saint-Geniès (« Legrand ») au capitaine Paul Pons

Légende :

Désorganisé par l'attaque allemande de juillet 1944, le service des communications utilise des moyens de fortune pour assurer les liaisons entre les unités

Genre : Image

Type : Ordre de mission

Source : © Archives privées Albert Fié, fonds compagnie Pons Droits réservés

Détails techniques :

Textes dactylographiés sur une feuille de papier.

Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Drôme - L’Escoulin

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Analyse média

La présentation serrée des ordres du commandant "Legrand" traduit un manque de papier et une certaine précipitation. Elle contraste avec celle de nombreux ordres de mission précédant le 21 juillet 1944. En témoignent l'absence d'en-tête, d'espace entre les divers ordres.

L'intérêt du document est de présenter trois aspects de la Résistance. Le premier évoque la situation militaire du moment, le second aborde les besoins financiers des résistants, le troisième les difficultés d'équipement et de l'entretien des armes.



Contexte historique

Au moment où Jean-Pierre de Lassus Saint-Geniès écrit son message à Paul Pons, la Résistance dans le Vercors a été anéantie à la suite de l'opération Bettina qui a débuté le 21 juillet 1944. De nombreux résistants, des civils ont été tués. Les maquisards les plus aguerris se sont dispersés dans les profondeurs de la forêt. Au pied du Vercors, dans la vallée de la Drôme, la compagnie Pons, ainsi que d'autres compagnies ont durement supporté l'assaut des troupes allemandes. Elles ont éclaté face à un ennemi supérieurement armé et entraîné. La situation est maintenant relativement plus calme, elle se «décongestionne». Au début du mois d'août, les unités sont en cours de regroupement. Plusieurs d'entre elles retrouvent le campement initial qu'elles avaient abandonné. C'est le cas de la compagnie Morin. En tant que commandant des FFI (Forces françaises de l'intérieur) de la Drôme, de Lassus Saint-Geniès fixe l'objectif essentiel de la Résistance : préparer le débarquement de Provence par des missions de renseignements sur l'ennemi. Contrairement aux semaines précédentes et surtout au lendemain immédiat du 6 juin 1944, la Résistance ne doit pas se dévoiler, les maquisards ont interdiction de se promener, voire de parader en armes dans les villages. En cas de rencontre avec l'ennemi, l'affrontement direct est à proscrire, la tactique recommandée est la guérilla, c'est-à-dire une attaque rapide et ponctuelle sur les flancs et les arrières de l'ennemi suivie d'un retrait immédiat. Ces précisions tendent à montrer que, précédemment, une autre tactique était de mise. Les cuisants échecs des combats de juillet sur et autour du Vercors ont amené les chefs militaires de la Résistance à modifier totalement la conduite des opérations. Implicitement, "Legrand" reconnaît les erreurs qui ont été commises, avec leurs dramatiques conséquences. Désormais, il faut rechercher des renseignements sur l'ennemi, ses effectifs, ses concentrations, ses intentions, tout ceci dans le but de préparer le futur débarquement sur les côtes méditerranéennes.

Le chef des FFI de la Drôme aborde ensuite la question des besoins financiers des combattants. Ceux-ci reçoivent 30 francs par homme et par jour afin de subvenir à leurs besoins ou à ceux de leur famille (1 litre de lait coûte, officiellement, entre quatre et cinq francs en 1944 dans la Drôme). On constate qu'au moment où la Résistance drômoise vient de subir un dramatique revers, les rouages administratifs de l'intendance fonctionnent correctement, que les prêts francs, sorte de solde, sont versés aux maquisards. Ce ne doit pas être le cas pour toutes les unités de la Résistance. L'écriture en toutes lettres de la somme envoyée, la demande d'un accusé de réception, doivent permettre d'éviter des malversations.

Le dernier sujet abordé par "Legrand" concerne les difficultés de l'équipement de la Résistance. Dans le désordre sont évoqués l'armement et deux aspects de la vie quotidienne. Les canons dont il est fait état ne sont pas des pièces d'artillerie mais les tubes de rechange des fusils-mitrailleurs ou des mitrailleuses. Ces derniers, les Bren britanniques, les FM 24/29 français, les mitrailleuses M 30 ou M 50 étatsuniennes sont les armes d'appui les plus lourdes dont dispose la Résistance drômoise. Elles sont intensément utilisées et leurs canons s'échauffent et s'usent. Il faut donc les remplacer. Or les parachutages sont insuffisants ou mal répartis, entraînant une mise hors service des armes dont il faut remplacer le tube. L'hétérogénéité de celles-ci conduit à un mauvais approvisionnement en munitions, les chargeurs britanniques pour le Bren ne convenant pas au fusil-mitrailleur FM 24/29 français. Une même insuffisance est révélée en ce qui concerne les chaussures absolument nécessaires pour des hommes qui se déplacent le plus souvent à pied dans un relief escarpé.

"Legrand" termine son message en précisant qu'il fait parvenir à Paul Pons du papier pelure, des crayons afin de pouvoir rédiger des messages. Cela traduit la pénurie récurrente en fournitures de première nécessité. Quant aux deux piles, elles doivent alimenter un poste de radio dénommé biscuit à cause de sa petite taille.

Ces deux messages permettent de bien apercevoir les difficultés de la vie quotidienne d'une unité qui vient de subir une attaque et qui est en cours de réorganisation. Quant au commandement, il tire les leçons d'un dramatique échec.


Auteurs : Alain Coustaury
Sources : Documents Albert Fié, Mémoire d'un vieil homme, archives Paul Pons.