Vassieux-en-Vercors : le terrain d'atterrissage « Taille-crayon »

Légende :

Le développement des camps de résistants, la construction d'une piste d'atterrissage étaient étroitement surveillés par les avions d'observation allemands. Afin de conserver sa liberté de mouvement dans la vallée du Rhône, la Wehrmacht monta une opération pour détruire la Résistance du Vercors.

Genre : Image

Type : Photo aérienne

Producteur : Cliché Alain Coustaury

Source : © Collection Alain Coustaury Droits réservés

Détails techniques :

Photographie argentique couleur.

Date document : 2006

Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Drôme - Vassieux-en-Vercors

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Analyse média

Le document est une photographie couleur renseignée. Elle a été prise à l'est du village de Vassieux, en direction de l'ouest. La topographie révèle une zone relativement plane, encore que parsemée de petites dépressions karstiques, comme au premier plan. L'ensemble est dominé par le puissant chaînon de la Grande Combe qui culmine à plus de 1 500 mètres, dominant Vassieux situé à 1 050 mètres environ. On a déterminé par une zone jaune l'emplacement du terrain d'atterrissage « Taille-crayon » préparé par la Résistance au début du mois de juillet 1944. Il s'étendait au sud-est du village. Les résistants avaient bouché de petites dépression, aplani une bande large d'une centaine de mètres et longue de moins d'un kilomètre. Une ligne électrique, toujours existante, avait été déposée afin de dégager l'axe d'atterrissage des appareils.

La photographie permet également d'apprécier le site du Mémorial du col de La Chau.


Auteur : Alain Coustaury

Contexte historique

Pensant que des forces importantes de la Résistance sont massées dans le Vercors, les Allemands essaient d'en mesurer la valeur par une série d'opérations préparatoires à un investissement général.

Les Allemands avaient sondé la puissance des forces de la Résistance dès le 13 juin 1944 en attaquant au niveau de Saint-Nizier-du-Moucherotte, un point faible du dispositif de la Résistance. Malgré le retrait des Allemands, le commandement de la Résistance était conscient de la faiblesse de ses troupes. Le début du mois de juillet voit l'intensification de la pression allemande.

Le 10 juillet 1944

Vers 16 heures, une colonne allemande composée d'une moto, de deux véhicules légers, de deux automitrailleuses, d'une chenillette, de deux canons portés et de cinq camions se présente à l'entrée ouest de Saint-Nazaire-en-Royans. Les soldats tirent sur les buissons et le bac. Deux personnes sont blessées. Les Allemands détruisent quelques mètres de la route nationale 531. Un avion de reconnaissance prend des photos et la colonne repart, vers 17h30, après avoir pillé plusieurs maisons. Des éléments de la compagnie Sabatier observent sans pouvoir intervenir, à cause de la proximité du village. Sabatier demande du renfort pour ce secteur. Quelques heures après, la route est déblayée et un convoi du maquis peut monter sur le Vercors. Cette opération permet certainement aux Allemands d'estimer, de tâter les capacités de la Résistance.

Le 12 juillet 1944

Un message radio d'Alger au Vercors avertit que plusieurs indices laissent prévoir une prochaine action allemande d'envergure contre le massif. Au PC de Saint-Martin-en-Vercors, les renseignements confirment l'imminence de l'assaut. Les garnisons allemandes de Valence, Romans-sur-Isère, Grenoble, sont renforcées. On annonce l'arrivée de blindés venant du Midi. Les survols d'avions se multiplient. Les services du général Cochet préviennent Descour et Huet de l'imminence de l'attaque. Donc, il n'y a pas un effet de surprise. On s'attend à une attaque. Or il n'y a aucune DCA (défense contre avion) sérieuse pour protéger le terrain « Taille-crayon ». Des mesures pour éviter un combat en ligne que l'on sait impossible à tenir ne sont pas prises. On peut déceler une certaine négligence, notamment à Vassieux, pouvant s'expliquer par une ambiance euphorique créée par le parachutage de missions alliées, l'achèvement prochain de la piste, par les parachutages du 14 juillet. Tout ceci semble présager l'arrivée, en force, des Alliés. Si l'on y ajoute l'impression de sécurité donnée par la topographie, le tour de force créée par la proclamation de la République, on tient une explication du drame. Le même jour, la Chapelle-en-Vercors est bombardée. Il y a plusieurs tués (deux ou quatre). Selon André Vincent-Beaume, cette attaque aérienne est la conséquence directe de la libération de la maîtresse d'un milicien de Romans. Parce qu'elle avait vu plusieurs officiers à La Chapelle, elle avait pensé que c'était la ville où était l'état-major. Le pilote devait croire qu'il bombardait la base militaire du Vercors.

Le 13 juillet 1944

Vers 19 heures, pour la première fois, Vassieux est bombardé. Il y a cinq tués et quinze blessés. Les appareils ont décollé de l'aérodrome de Valence. Un deuxième bombardement, vers 20 heures, ne cause pas de victimes. Un avion semble avoir été touché.

Le 14 juillet 1944

Deux parachutages sont effectués le 14 juillet à Vassieux. Dans la nuit, une dizaine d'appareils parachutent armes et munitions. Mais le plus important est celui de la matinée. Il est effectué par 72 B17 forteresses volantes. Vers 10 heures 30, la dernière forteresse volante disparaît vers le nord. Les camions arrivent sur le terrain jonché de containers et de parachutes en soie blanche ou en toile grise. Au même moment, ayant décollé de Valence-Chabeuil, deux chasseurs-bombardiers Focke-Wulf 190 mitraillent à bout portant « Taille-crayon ». Ce premier mitraillage est suivi d'une courte accalmie qui permet d'évacuer les blessés vers l'hôpital de Saint-Martin-en-Vercors. Le bombardement reprend. Au bout d'une heure, les communications avec l'extérieur sont coupées et le village de Vassieux est complètement isolé. En ajoutant les pertes dues aux incidents de parachutage à celles causées par le bombardement allemand, on peut considérer qu’au moins la moitié du matériel parachuté est détruite ou perdue. Les Allemands, jugeant qu'il n'y avait plus rien à démolir, abandonnent Vassieux qui disparaît dans un épais nuage de fumée. Leur nouvelle cible est La Chapelle-en-Vercors. Depuis Die, Jean Veyer décrit ce que l'on peut percevoir de ce qui se passe sur le « donjon » : « 18 heures 30. J'assiste place de la République, à une prise d'armes, dramatiquement ponctuée par le bombardement lointain qui continue inexorable [sur le Vercors]. Il y a eu un beau, un vibrant discours d'Yves Farges, dit Grégoire, juché sur le socle de la statue, agrippé d'un bras à la République et tendant l'autre vers la foule, proclamant sa foi dans la Libération prochaine. Ses accents de tribun, sa tête auréolée de cheveux blancs sont assez convaincants. Mais il n'y a pas tellement de civils pour l'écouter. Die commencerait, semble-t-il, à avoir peur. Beaucoup de gens se terrent chez eux. Il y a eu ensuite un défilé, type 14 juillet. Tout cela ne manque pas d'allure. Mais je suis rongé d'inquiétude. Il y a longtemps que je ne confonds plus l'esprit de combat et l'esprit de parade. »

Le 15 juillet 1944

Dès 6 heures 30, le « mouchard » survole le Vercors. Vassieux et la Chapelle sont ensuite bombardés. Les Allemands concentrent des troupes à Grenoble et dans la vallée du Rhône.

Le 18 juillet 1944

Les photos prises par l'avion d'observation Fieseler storch révèlent que la piste d'atterrissage de Vassieux sera opérationnelle dans quelques jours. Le général Pflaum voit là une raison d'intervenir le plus vite possible. Au sud-est du Vercors, le col de Grimone est attaqué par une compagnie du 7ème bataillon de pionniers allemands. Le groupe Baudet tient la position pendant 3 heures. Le maquis Wap est envoyé en renfort pour seconder la compagnie Duval.

Le 20 juillet 1944

Les Allemands commencent à occuper les villages situés au pied du Vercors. Un accrochage assez sérieux se déroule à Vaunaveys. Dans l'après midi, sans combat, les Allemands occupent Crest. Les positions au col de Grimone sont menacées. On note une intense activité sur la route nationale 75. À Die, dans la soirée, tous les jeunes de l'AS (Armée secrète) du Vercors pouvant se trouver en ville sont rappelés de toute urgence à leurs postes. Les bruits les plus divers circulent. Des difficultés dans le commandement se font jour. Jean Veyer se rend au PC de Pierre Raynaud (« Alain ») pour appeler le PC de Chamaloc. Le lieutenant « Paul » est seul. Il demande à Jean Veyer de se rendre au col de Grimone. Jean Veyer rétorque qu'il ne reçoit ses ordres que du Vercors et qu'il ira à Chamaloc. Le groupe de sédentaires de Jean Veyer se rassemble et part au grand complet avec armes et bagages en pleine nuit à Chamaloc. Les accrochages se multiplient autour du Vercors. Une colonne composée de Russes et de Polonais quitte Valence, progresse vers Saint-Nazaire-en-Royans en passant par Romans. Vers 15 heures, la compagnie d'Edmond Sabatier, à la tour de Saint-Nazaire-en-Royans, reçoit l'assaut allemand venu par Pont-de-Manne. Elle est soutenue par la compagnie William accourue de Rochechinard. La compagnie tient sa position jusqu'au soir. Elle se replie avec deux blessés. Dans le Vercors, la compagnie de Tirailleurs sénégalais est au lieu-dit Fleur du Roy à l'est du Pas de l'Âne qu'elle doit interdire. Dans la soirée, elle subit l'assaut d'un bataillon allemand. Elle se replie, sous une pluie battante, vers Herbouilly.

Le 21 juillet 1944

L'attaque générale se déclenche. L'aspect le plus spectaculaire est l'atterrissage de planeurs à Vassieux-en-Vercors. Contrairement à ce qui est souvent dit ou écrit, les planeurs DFS 230 n'utilisent pas la piste préparée par la Résistance mais se posent près de leurs objectifs respectifs.


Auteurs : Alain Coustaury
Sources : Gilles Vergnon, Le Vercors, Histoire et mémoire d'un maquis, Les éditions de l'Atelier, 2002. Fédération des Unités combattantes de la Résistance et des FFI de la Drôme, Pour l’amour de la France, Drôme-Vercors 1940-1944, édition Peuple Libre, 1989.