Article "Les vraies femmes de France", La Marseillaise, 25 août 1944

Légende :

Article de presse intitulé « Les vraies femmes de France », paru en page 2 du quotidien du Front national, La Marseillaise, 25 août 1944

Genre : Image

Type : Article de presse

Source : © AD des Bouches-du-Rhône 419 PHI 1 Droits réservés

Détails techniques :

Document imprimé sur papier journal.

Date document : 25 août 1944

Lieu : France - Provence-Alpes-Côte-d'Azur - Bouches-du-Rhône - Marseille

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Analyse média

La Marseillaise, journal mensuel clandestin du Front national-région Sud, mouvement structuré par le Parti communiste français, paraît au grand jour dès le 24 août 1944 et devient un quotidien.

Le 25 août, un article intitulé « Les vraies femmes de France », est publié sur deux colonnes, au verso de l'unique feuillet du journal.

À la Libération est associée l'image de la femme tondue pour avoir collaboré avec les occupants. L'article entend montrer que ces femmes ne représentent en aucun cas les Françaises. Le chapeau de l’article rapporte en huit lignes un exemple de tonte réalisée sur la Canebière par « nos vaillants FFI ». Des femmes vues sur la Canebière en compagnie d'Allemands ont été arrêtées et tondues par des FFI. L'article suggère la simultanéité du délit et du châtiment, ce qui coupe court à toute interrogation sur la façon dont ces femmes ont été désignées à la vindicte. La tonte est effectuée par des FFI dont le courage est loué et constitue une marque publique et spécifique  d'infamie. Elle intervient avant tout jugement, puisque l'article précise : « Elles seront jugées ! », jouant sur l'ambiguïté : jugement dans les formes prévues par le gouvernement provisoire et/ou par l'opinion publique. La formule « doublement prostituées » peut suggérer que les femmes tondues étaient des prostituées professionnelles et qu'elles ont ajouté à leur déchéance le fait de compter des Allemands comme clients ou qu'elles ont une vie sexuelle libre qui les conduit à se commettre avec l'occupant. Il y a donc, en filigrane, un jugement moral. Les « vraies femmes de France » ne doivent pas seulement avoir résisté, mais doivent avoir une morale sexuelle irréprochable. L'article considère que les FFI qui ont tondu ces femmes poursuivent de cette façon la défense et la régénération morale de la nation.

L'article ne s'attarde pas plus longtemps sur celles qui ont failli, et consacre les douze paragraphes suivants à montrer que ces femmes ne constituent qu'une minorité.                                                 

Dans un premier temps, ce sont les héroïnes anonymes de la Résistance qui sont célébrées. L'article insiste sur l'extrême jeunesse de ces résistantes et sur les supplices qu'elles endurèrent. Les femmes plus âgées et chargées de famille, « les ménagères » n'ont pas démérité, même si leur action s'est exercée dans la sphère domestique. L'article trouve des accents gaullistes pour les évoquer : « Elles surent partout, chez les voisins, chez les commerçants, devant leurs enfants, « la France qui grandit », être les apôtres de la France éternelle. » On retrouve dans le reste de l'article cette alternance entre célébration des résistantes actives et des femmes qui participèrent au combat dans le cadre des fonctions féminines traditionnelles. Les unes rompirent avec le rôle assigné aux femmes par la propagande de Vichy, et le payèrent souvent  de leur vie. Elles se situent dans la lignée des grandes héroïnes comme Jeanne d'Arc, Olympe de Gouges et Louise Michel. Dans cette énumération, une patriote, une féministe, une libertaire témoignent de la volonté du Front national de mobiliser les icônes de toutes les sensibilités. Les autres furent simplement les femmes de « tant de héros emprisonnés, torturés, déportés ». Les difficultés de ravitaillement, et le mécontentement qui en découle, deviennent manifestations de résistance : « Obscurément, les moins exposées d'entre elles assurèrent dans des conditions héroïques le ravitaillement de leur famille. Elles furent souvent aussi, au sein de cette famille, devant le mécontentement quotidien, la conscience de la lutte héroïque pour la Libération. » Entre avril et juin 1943, le département des Bouches-du-Rhône a vu une flambée de manifestations de ménagères, ce qui a valu des visites domiciliaires à celles qui étaient considérées comme des meneuses. Dans ses tracts, la Résistance utilisait les pénuries pour mobiliser contre les occupants et le régime de Vichy.

Les femmes sont également présentes dans les combats de la Libération. Membres à part entière des FFI : « Nous les vîmes sur les barricades avec le brassard des FFI » ou incitant les hommes qui les entourent à faire leur devoir : « Elles ont encouragé leurs fils, leurs maris, leurs fiancés à entrer dans les groupes de combat ».

Les Françaises ont donc, dans leur immense majorité, accompli leur devoir de patriotes. En conclusion, l'article considère que l'octroi des droits civiques est la récompense légitime de cet engagement, et que c'est la nation qui accorde aux Françaises une citoyenneté pleine et entière. Alors que le Parti communiste a défendu le vote des femmes dans l'entre-deux-guerres au nom de l'égalité, l'article de La Marseillaise reprend le thème rebattu par les partis politiques, les autorités et la presse : les Françaises ont gagné la citoyenneté par leur  mérite. Mérite que les hommes n'ont jamais eu à prouver. Le débat sur le droit de vote des femmes, qui traversa l'entre-deux-guerres, est passé sous silence car il ne permettait pas l'unanimisme recherché à la Libération.


Sylvie Orsoni

Contexte historique

L'article paraît le 25 août 1944, alors que se déroule la bataille de Notre-Dame-de-la-Garde. La garnison allemande capitule après des combats meurtriers. Le 15 août avait débuté l'opération Dragoon, sous la direction du général Patch commandant la VIIe armée américaine. Le débarquement de Provence rassemble des milliers de soldats américains, britanniques et français. La Résistance intérieure se mobilise et prend le contrôle de nombreuses villes des Bouches-du-Rhône, en particulier autour de l'étang de Berre. À Marseille, dès le 18 août, des affrontements sont signalés dans le quartier périphérique de la Pomme entre troupes allemandes et « réfractaires », puis les combats s'intensifient dans les jours qui suivent, alors que les Allemands se retranchent dans les forts Saint-Jean, Saint-Nicolas, à Notre-Dame-de-la-Garde, dans les îles et les sites fortifiés du Merlan, du Foresta et du Racati. Le CDL peut, dès le 22 août, s'installer à la Préfecture. Il est rejoint le 24 août par Raymond Aubrac, le commissaire régional de la République désigné par le Gouvernement provisoire de la République française. Le 28 août 1944, le général Schaefer accepte les clauses de la capitulation présentées par le général de Monsabert. Les combats prennent fin le 29 août avec la reddition des garnisons allemandes des îles Pomègues et Ratonneau.

L'Assemblée consultative provisoire définit le cadre juridique et juridictionnel de l'épuration à mettre en œuvre au fur et à mesure de la libération du territoire métropolitain. L'ordonnance du 26 août 1944 crée le crime « d'indignité nationale », puni par la dégradation nationale, ainsi que des juridictions d'exception : Haute Cour de justice au niveau national, cours de justice au niveau départemental. L'ordonnance complémentaire du 26 décembre 1944 institue les chambres civiques pour examiner les cas des personnes susceptibles d'encourir une condamnation pour indignité nationale. L'ordonnance du 26 décembre ne retient pas les relations sexuelles avec l'occupant parmi les conduites susceptibles d'entraîner une condamnation pour indignité nationale. À aucun moment, le marquage physique des personnes condamnées n'est envisagé. Cependant, dans les premiers jours de la libération des villes et villages, une violence spécifique touche des femmes supposées avoir collaboré avec les Allemands ou/et dénoncé des résistants. C'est ce qu'Alain Brossat a appelé le « carnaval moche », qui suit un rituel pratiquement identique : les femmes sont rasées, marquées de croix gammées et promenées parfois nues dans les rues en présence d'une foule nombreuse. La mémoire collective attribue ces actes aux « résistants de la vingt-cinquième heure ». Elle établit une distinction entre les résistants qui ont lutté au péril de leur vie et des hommes qui croient ainsi faire acte de patriotisme et faire oublier une attitude souvent attentiste pendant l'Occupation. L'historien Fabrice Virgili a montré que la réalité était plus complexe. Des femmes ont été tondues et exhibées par des FFI dans les premières heures qui suivent la libération de localités, elles l'ont été dans le huis clos des casernes après leur arrestation et avant leur jugement. Le fait déclencheur des tontes n'est pas forcément la « collaboration horizontale » ou la dénonciation de résistants, mais la proximité professionnelle avec l'occupant. Les femmes qui passent en jugement doivent répondre de leur vie sexuelle antérieure à la guerre. Toute liberté prise avec la morale traditionnelle induit une culpabilité ultérieure. Il y a donc un lien direct entre les tontes et la reprise en main symbolique des femmes à la Libération.

À la fin mai 1941, le PCF lance un appel à « la formation d'un Front national de l'indépendance de la France ». Le Front national se développe dans les Bouches-du-Rhône à partir de 1942-1943. Il recrute au-delà du Parti communiste, même si les militants du PCF sont prépondérants. Le Front national défend l'union de tous les résistants et, plus généralement, du peuple de France. Le Parti communiste et les organisations qui lui sont liées se sont toujours adressé aux femmes. L'action en direction de ce groupe spécifique se poursuit à la Libération avec une énergie renouvelée car les femmes sont maintenant des électrices.


Auteur : Sylvie Orsoni

Sources :

Robert Mencherini, Résistance et Occupation. Midi rouge, ombres et lumières, tome 3Paris, Syllepse, 2011.

Robert Mencherini, La Libération et les années tricolores (1944-1947). Midi rouge, ombres et lumières, tome 4. Paris, Syllepse, 2014.

Sylvie Orsoni, dossier pédagogique n° 8, La Libération du côté des femmes, Archives départementales des Bouches-du-Rhône.

Fabrice Virgili, La France « virile », Des femmes tondues à la Libération, Paris, Payot, 2000.