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Article de Julia Pirotte intitulé "Le rôle des femmes dans la bataille", Rouge-Midi, septembre 1944

Légende :

Article de presse signé de Julia Pirotte, extrait de Rouge-Midi, 3 septembre 1944

Genre : Image

Type : Article de presse

Source : © AD des Bouches-du-Rhône - 5 Fi 682 Droits réservés

Détails techniques :

Document imprimé sur papier journal et reproduction d'une photographie analogique en noir et blanc.

Date document : 3 septembre 1944

Lieu : France - Provence-Alpes-Côte-d'Azur - Bouches-du-Rhône - Marseille

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Analyse média

L'article et les photos publiés le 3 septembre 1944 dans le quotidien communiste Rouge-Midi sont l'œuvre de la photographe et militante Julia Pirotte.

Gina Diament-Julia Pirotte (1908-2000) naît dans une bourgade juive de la région de Lublin en Pologne. Elle milite très jeune dans les rangs du Parti communiste polonais, ce qui lui vaut quatre ans d'emprisonnement entre 1925 et 1929. En 1934, elle doit s'exiler pour éviter une nouvelle arrestation. Elle gagne la Belgique, où elle épouse en 1935 le militant syndical Jean Pirotte. Tout en travaillant en usine, Julia Pirotte poursuit ses activités syndicales et se forme au journalisme et à la photographie. Le 10 mai 1940, à la suite de l'invasion de la Belgique par les Allemands, elle s'exile de nouveau et gagne Marseille. Elle travaille dans une usine d'armement puis est engagée par l'hebdomadaire Dimanche illustré, qui lui sert de couverture pour ses activités dans la résistance. Membre des FTP-MOI (mouvement de résistance regroupant les communistes étrangers), elle est agent de liaison et participe à la fabrication de faux papiers. Elle réalise aussi des reportages sur la vie quotidienne dans les quartiers populaires de Marseille, sur les enfants juifs du centre d'internement de l'hôtel Bompard, antichambre de Drancy et d'Auschwitz.

Avec la compagnie Marat des FTP-MOI, Julia Pirotte participe aux combats pour la libération de Marseille en photographiant l'insurrection. « Les plus grands jours de ma vie furent ceux de l'insurrection de Marseille. Comme tant d'autres, j'avais des comptes à régler avec les nazis, mes parents et toute ma famille étaient morts dans des camps en Pologne et dans les ghettos. J'étais sans nouvelle de ma sœur, prisonnière politique, je ne savais pas encore qu'elle était morte guillotinée. Je me trouvais avec mon groupe de partisans, le 21 août 1944 à 15 heures devant la Préfecture. Les Allemands en fuite tiraient. Accroupie à l'abri de la roue d'une camionnette, j'ai réalisé ma première photo de la liberté retrouvée. L'ennemi reculait devant les partisans, c'était le début de l'insurrection. » Dans les jours qui suivent, Julia Pirotte continue à photographier et rendre compte de la libération de la ville. Ses photos et reportages sont publiés dans la presse communiste, comme ici dans Rouge-Midi.

L'article est un hymne aux femmes résistantes. La photo, prise dans le quartier d'Endoume, publiée en première page de Rouge-Midi sous le titre « Le rôle des femmes dans la bataille », met une femme au premier plan. Bras levé, celle-ci semble diriger le groupe qui porte un blessé sur une civière. Une autre femme se distingue près de la civière. La photo reprend le thème fréquemment traité par les photographies d'insurrections de la Libération : les femmes soignent, ravitaillent les combattants. Mais la légende de la photo insiste sur l'engagement des femmes aux côtés des hommes : « À Endoume, des femmes marseillaises en première ligne, ramènent un blessé. » Les hommes qui apparaissent sur le cliché sont passés sous silence. Dans la suite de l'article en page 4 du journal, la photo renvoie encore au rôle traditionnel des femmes (« les distributions de vêtements aux enfants »), mais le corps de l'article rompt avec l'image de la femme réduite à dispenser soins et nourriture. La composition est chronologique. Les deux premiers paragraphes rappellent que les femmes ont activement  participé à la Résistance, hors de la sphère domestique : « Ces centaines de femmes dans les transports d'armes, dans les renseignements, fabriquant des faux papiers ». Elles ne se sont pas contentées de cacher, héberger les militants pourchassés que les hommes de la famille ramenaient à la maison. Elles ont payé le même tribut que les hommes : torturées, déportées, exécutées. La sœur de Julia Pirotte en est un exemple tragique : membre du mouvement de résistance communiste MOI (main-d'œuvre immigrée), elle est arrêtée en 1942 et exécutée en 1944 dans la prison de Breslau. Les quatre paragraphes suivants décrivent la participation toute aussi importante des femmes dans les combats de l'insurrection, aux côtés des hommes. Encore une fois, Julia Pirotte place une femme au premier rang de ce qui constitue un acte symbolique de la libération de Marseille, la prise de la Préfecture le 21 août 1944 : « Et puis je les ai vues dans la bataille insurrectionnelle : une femme, drapeau tricolore en main, à la tête de la première manifestation, qui, s'emparant d'armes boches, pénétra la première à la préfecture. » Julia Pirotte ne cherche pas à nommer cette femme. Son objectif est de montrer qu'il s'agit d'une femme parmi toutes les héroïnes anonymes qui ont participé aux combats. Ces femmes incarnent le peuple tout entier : « Femmes de toutes couches et opinions politiques : ouvrières, institutrices, sœurs, qui, dans un effort commun, organisaient hôpitaux et cliniques, lingerie et nurseries pour les enfants, ravitaillement pour toute la population affamée». Les femmes remplissent leur rôle traditionnel, mais en sortent également : « Et celles qui faisaient les agents de liaison, restant nuit et jour auprès de leur compagnie dans la bataille. » Cette promiscuité et cette intrusion dans l'espace public, en particulier la nuit,  étaient en rupture avec la place habituelle des femmes, surtout dans une société méditerranéenne.

Les deux derniers paragraphes ouvrent sur l'avenir et les combats politiques qui restent à mener. À travers Yolanda, se dessine ce que doit être la jeunesse française pour le Parti communiste : sans appartenance politique jusqu'alors, Yolanda, qui est définie par son appartenance à la classe ouvrière et à la nation française, a compris l'importance de lutter aux côtés du Parti communiste : « Je ne suis d'aucun parti. Je combats en étant ouvrière et française, mais maintenant je serai avec vous. » Le Parti communiste insiste sur son ancrage dans la nation.

Le dernier paragraphe est un appel aux femmes qui ont lutté pendant l'Occupation pour qu'elles rejoignent les rangs communistes afin de remporter l'ultime bataille, celle « pour une vie meilleure. »

L'article de Julia Pirotte va au-delà d'un témoignage sur l'insurrection de Marseille. Il restitue, par son style incantatoire, l'exaltation des résistants dans les combats de la libération. Il est aussi  une déclinaison de la ligne du Parti communiste : la résistance a uni tous les vrais patriotes, hommes et femmes à égalité. Une fois l'ennemi intérieur et extérieur vaincu, la lutte doit continuer autour du Parti et de ses organisations pour que triomphe l'idéal communiste.


Sylvie Orsoni

Contexte historique

Lorsque l'article de Julia Pirotte paraît, le 3 septembre 1944, dans le quotidien communiste Rouge-Midi, la bataille de Marseille est terminée depuis le 29 août. Elle a été précédée par le débarquement des troupes alliées sur les côtes varoises le 15 août 1944 (opération Dragoon). La résistance intérieure, malgré les lourdes pertes subies en juin 1944, se mobilise et par de multiples actions soutient la progression des armées alliées. Le 19 août 1944, un tract de la CGT appelle à la grève générale insurrectionnelle. Les groupes italien, arménien et juif des FTP-MOI interviennent dans plusieurs dépôts de tramways. Les Milices patriotiques harcèlent les groupes allemands isolés et s'emparent d'armes et de munitions. Le préfet, Emile Maljean, se rend à la Résistance le 21 août. Dans l'après-midi, le CDL appelle à un rassemblement devant la préfecture. Deux manifestations convergent : l'une, partie de Castellane, l'autre de la rue-d'Aix. Les manifestants entrent dans la préfecture et le CDL, présidé par Francis Leenhardt, s'y installe le 22 août. Les troupes allemandes se replient sur des positions fortifiées comme les forts Saint-Jean et Saint-Nicolas, Notre-Dame-de-la-Garde et dans les îles du Frioul, de Pomègues et de Ratonneau. L'insurrection gagne toute la ville. Les troupes du général de Monsabert pénètrent dans Marseille le 22 août. Dès le 24 août, Raymond Aubrac, le commissaire de la République représentant le Gouvernement provisoire de la République française présidé par le général de Gaulle, est installé par le CDL à la préfecture. La bataille pour la prise de la colline de Notre-Dame-de-la-Garde est particulièrement rude. Elle se déroule le 25 août et s'achève dans l'après-midi par le déploiement du drapeau tricolore au sommet du clocher. Les batteries allemandes installées dans les îles et les forts, en particulier au fort Saint-Nicolas, continuent à pilonner les environs de la basilique. Le quartier d'Endoume, évoqué dans l'article par Julia Pirotte, s'est trouvé pris dans les combats qui ne cessent que le 29 août avec la reddition des garnisons des îles Ratonneau et Pomègues. Le général Schaefer avait capitulé la veille auprès du général de Monsabert. Le 29 août a lieu un grand défilé de la victoire sur le Vieux-Port que Julia Pirotte immortalise à travers de nombreux clichés montrant en particulier les femmes des FTP-MOI et de l'Union des Femmes françaises.


Auteur : Sylvie Orsoni

Sources :

Marianne Amar, « Julia Pirotte, photographe de Résistance » in Vingtième Siècle, revue d'histoire, 1995, pp. 152-154.

Paul Goiffon, « Julia Pirotte, photographe de la Libération de Marseille », entretien avec Julia Pirotte, disponible sur www. La marseillaise.fr

Sébastien Madau, « Les 70 ans de La Marseillaise. Un seul Leica comme arme de libération », La Marseillaise, 26 février 2014.

Robert Mencherini, Résistance et Occupation (1940-1944). Midi rouge, ombres et lumières, tome 3. Paris, Syllepse, 2011.

Robert Mencherini, La Libération et les années Tricolores (1944-47). Midi rouge, ombres et lumières, tome 4. Paris, Syllepse, 2014.

Musée de la Photographie de Charleroi, Julia Pirotte, une photographe dans la Résistance, 1994.

Thébaud Françoise, « Julia Pirotte, photographe de la Résistance » in Clio, Histoire, femmes et sociétés, 1997, mise en ligne en 1997.