Note des Renseignements Généraux de Briançon sur le vote des femmes, octobre 1944

Légende :

Note des Renseignements Généraux de Briançon sur le vote des femmes, 12 octobre 1944

Genre : Image

Type : Note des RG

Source : © AD des Bouches-du-Rhône - 149 W 128 Droits réservés

Détails techniques :

Document dactylographié d'une page.

Date document : 12 octobre 1944

Lieu : France - Provence-Alpes-Côte-d'Azur - Hautes-Alpes - Briançon

Ajouter au bloc-notes

Analyse média

Le commissariat des Renseignements Généraux de Briançon produit une note de synthèse sur les réactions que provoque le droit de vote accordé aux femmes par l'ordonnance du 21 avril 1944.

Le premier paragraphe montre que la presse a été le principal vecteur d'information de la nouveauté introduite par l'ordonnance du 21 avril 1944. Il témoigne de la hâte du Gouvernement provisoire de la République française de restaurer la démocratie en organisant des élections au suffrage universel dès février 1945 pour désigner les conseils municipaux et généraux. Délais impossibles à respecter car il fallait refaire complètement les listes électorales afin d'inscrire les nouvelles électrices, écarter les électeurs qui avaient perdu leurs droits civiques et, plus généralement, tenir compte des mouvements de population. Seules les élections municipales - qualifiées de « provisoires » dans l'attente du retour des prisonniers et déportés - auront finalement lieu le 29 avril et le 13 mai 1945. Elles sont d'autant plus attendues que les électrices voteront pour la première fois. Les paragraphes suivants analysent les réactions et les hypothèses nées de l'octroi des droits civiques aux femmes.

Le deuxième paragraphe montre l'ambiguïté des réactions. Le droit de vote accordé aux femmes ne constitue pas la préoccupation première de la population, mais institue une rupture suffisamment marquante avec la tradition politique, qui n'accordait de droits civiques qu'aux hommes, pour faire l'objet de commentaires.

On retrouve dans les paragraphes trois et quatre les idées dominantes sur l'orientation politique que l'on pouvait prêter aux nouvelles électrices. Droite et gauche s'accordaient à penser que les femmes seraient plus conservatrices et plus soumises à l'influence de l'Église. Les radicaux avaient utilisé avec constance ce postulat pour retarder l'accès des femmes à la citoyenneté. Georges Bidault, dirigeant du Mouvement républicain populaire, d'orientation démocrate-chrétienne, proclamait   en prévision des élections à l'assemblée constituante de 1945 « Avec les femmes, les évêques et le Saint-Esprit, nous aurons cent députés ». On retrouve l'argument traditionnel de la femme sous influence, qui peine à faire des choix intellectuels rationnels et autonomes.

Le dernier paragraphe envisage les répercussions sociales du vote féminin. Il débute par une affirmation que l'on retrouve aussi bien dans les débats de l'Assemblée consultative d'Alger que dans la presse de l'époque : les femmes sont aussi aptes à voter que les hommes. Leur compétence est particulièrement reconnue dans le domaine familial. La conclusion de l’article contredit cependant en partie l'image de femmes sous influence, puisque la paix des ménages pourrait être menacée par des divergences d'opinion au sein du couple. L'épouse pourrait donc faire d'autre choix que celui de son mari. Mais on peut aussi l'interpréter comme une angoisse de la part des hommes qui craignent de ne pouvoir rivaliser avec des influences extérieures à leur ménage.


Sylvie Orsoni

Contexte historique

Dans ses Mémoires de guerre, le général  de Gaulle consacre deux phrases à ce qui a constitué l'élément le plus novateur de l'ordonnance du 21 avril 1944 : « En outre, les droits de vote et d'éligibilité étaient attribués aux femmes. L'ordonnance du 21 avril 1944 réalisait cette vaste réforme mettant un terme à des controverses qui duraient depuis cinquante ans. ».

En 1901 puis en 1911, René Viviani et Ferdinand Buisson déposaient à la Chambre des députés des propositions de loi accordant partiellement ou totalement le droit de vote aux femmes.

Le 8 mai 1919, un débat a lieu à la Chambre des députés sur l'octroi du droit de vote aux femmes, soutenu avec enthousiasme par Aristide Briand. Une très large majorité, 344 voix contre 97, accorde aux femmes  l'intégralité des droits politiques.

Le Sénat, après trois ans d'atermoiements qui lui ont permis de produire un florilège d'arguments misogynes, repousse le texte par 156 voix contre 134. La Chambre, en 1925, 1932 et 1935, renouvelle son vote. Le Sénat réussit à enterrer le projet jusqu'à la guerre.
Le débat rebondit à Alger au sein de l'Assemblée consultative provisoire. Dix débats sur les 27 qui eurent lieu entre le 23 décembre 1943 et le 24 mars 1944 sont consacrés partiellement ou entièrement au vote des femmes. Les radicaux, en la personne de Paul Giacobbi, président de la commission de Réforme de l'Etat, essaient d'enterrer à nouveau la réforme, mais paraissent incarner des combats d'arrière-garde et sont mis en échec par la force de conviction de Louis Vallon et de Ferdinand Grenier. L'amendement proposé par ce dernier est adopté par 51 voix contre 16, et devient l'article 17 de l'ordonnance du 21 avril 1944 : « Les femmes sont électrices et éligibles au même titre que les hommes. »

La presse de la Libération, tout en annonçant les futures élections, contribue aux débats autour du vote des femmes et alimente les conversations, dont rend compte la note des renseignements généraux de Briançon.


Auteur : Sylvie Orsoni

Sources :

Maurice Agulhon, André Nouschi, Ralph Schor, La France de 1940 à nos jours, Paris, Nathan Université, 1995.

Maïté Albistur, Daniel Armogathe, Histoire du féminisme français, Tome II, Paris, Des Femmes, 1977.

Christine Bard, Les femmes dans la société française au 20e siècle, Paris, Armand Colin, 2001.

Isabelle Debillly, Claude Martinaud, Madeleine Roux, Aux urnes citoyennes, Marseille CRDP, 1995.

Jean-Marie Guillon, Philippe Buton, Les pouvoirs en France à la Libération, Paris, Belin, 1994.

Robert Mencherini, La Libération, et les années tricolores (1944-1947), Midi rouge, ombres et lumières, tome 4, Paris, syllepse, 2014.

Sylvie Orsoni, La Libération du côté des femmes, Dossier pédagogique n° 8, Archives départementales des Bouches-du-Rhône.