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Ordonnance n°7 créant l'Ordre de la Libération, 17 novembre 1940

Légende :

Ordonnance n°7 du 17 novembre 1940 créant l'ordre de la Libération, corrigée, datée et signée de la main du général de Gaulle. 

Genre : Image

Type : Texte législatif

Source : © Musée de l’Ordre de la Libération Droits réservés

Détails techniques :

Document dactylographié et annoté

Date document : 17 novembre 1940

Lieu : Congo - Brazzaville

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Analyse média

Sur le texte original de l’ordonnance présenté ici, le terme de « croisés » fut employé. Cette appellation de « croisés » témoigne parfaitement de l’idée qui était à l’origine de l’ordre ; l’idée d’une nouvelle chevalerie regroupant, comme au Moyen Âge, les serviteurs d’une cause et d’un idéal presque religieux. Il semble que ce soit René Cassin qui proposa de remplacer l'appellation "Croisés" par le terme de "Compagnon". Ce mot de « Compagnon » fut agréé par le général de Gaulle, et l’ordonnance définitive, publiée au Journal officiel de la France Libre le 10 février 1941 (voir verso) comporte ce terme qui ne fut jamais remis en cause.


Fabrice Bourrée

Contexte historique

Dès le début de l’été 1940, Charles de Gaulle voulut que les volontaires de la France libre soient mis à l’honneur. Le 14 juillet, quelques centaines d’entre eux défilèrent à Londres, avant que leur chef ne dépose une gerbe au pied de la statue du maréchal Foch. Par la suite, des cérémonies commémoratives, défilés et prises d’armes furent régulièrement organisés en Angleterre, dans l’Empire libéré puis au fur et à mesure de la libération du territoire sur le sol métropolitain. Le combat des Français libres et des résistants de l’intérieur fut célébré dans les émissions françaises de la BBC et des stations animées par les Comités de la France libre à travers le monde. Mais très vite la question se posa de décerner des décorations aux plus méritants des « volontaires de l’aube ». Or, le 26 juillet 1940, Philippe Pétain, chef de l’Etat français, avait reçu le collier de Grand Maître de la Légion d’honneur. Sous son autorité, le pouvoir vichyste avait commencé à attribuer la plus haute décoration française. De son côté, considérant que la légitimité des institutions françaises était « en suspens », Charles de Gaulle répugnait à décerner la Légion d’honneur(1). Mais il tenait à récompenser avec éclat les plus méritants de celles et ceux qui l’avaient rejoint.

En octobre 1940, alors qu’il venait de subir un terrible échec à Dakar et que la reconquête du Gabon s’annonçait difficile, il prit sa décision : « Notre entreprise est hérissée de difficultés. Les Français seront lents à nous rallier. Le risque leur fait peur. Ils ont besoin d’être encouragés, stimulés. Je suis décidé à créer un insigne nouveau face à l’imprévisible conjoncture »(2). Le 16 novembre à Brazzaville, c’est-à-dire, soulignons-le, au cœur de l’Empire français libre et non à Londres, de Gaulle signa une ordonnance créant l’Ordre de la Libération afin de « récompenser les personnes ou les collectivités militaires et civiles qui se ser(aie)nt signalées dans l’œuvre de la libération de la France et de son Empire » (article 1er de l'ordonnance n°7). Cette création eut lieu alors même que naissaient les premières institutions politiques de la France libre. En instituant l’Ordre de la Libération le jour où il signa la Déclaration organique démontrant l’illégalité du gouvernement de Vichy, Charles de Gaulle souligna l’importance qu’il accordait à la nouvelle décoration et affirma ses « prérogatives régaliennes ».

C’est bien un Ordre que l’homme du 18 juin tint à créer, et non une simple décoration. Ce faisant, l’auteur de La France et son armée qui n’ignorait rien de la nécessité de flatter « l’amour-propre individuel » adopta une démarche similaire à celle, par exemple, de Louis XI en 1469 qui fonda l’Ordre de Saint-Michel afin d’encourager les grands féodaux à le rallier contre Charles le Téméraire. A l’origine prévus pour s’appeler « croisés », les membres de l’Ordre furent finalement nommés « compagnons de la Libération ». L’une et l’autre expressions sont pétries d’imaginaire chevaleresque. Quant au mot de « compagnon », il renvoie à la cohésion de l’élite ainsi formée et au principe égalitaire d’un ordre qui ne devait donc comporter qu'un seul grade. Deux significations à cela : il était impossible de hiérarchiser l’engagement et la bravoure parmi les compagnons ; il n’était rien de mieux que l’accession à l’Ordre, comme l’écrivit de Gaulle à John Hasey, premier Américain nommé compagnon, en 1942 : « Il n’existe pas, dans les Forces françaises libres, de plus haute distinction que la Croix de la Libération, et tous ceux à qui elle est décernée, du général au simple soldat, deviennent pour la vie des compagnons » (3).



(1-2) Amiral Georges Thierry d’Argenlieu, Souvenirs de guerre. Juin 1940-janvier 1941, Paris, Plon, 1973, p. 197-198
(3) Lettre du général de Gaulle à John Hasey, 1er avril 1942, reproduite dans John Hasey, Yankee fighter : the Story of an American with the Free French Foreign Legion, Boston, Little, Brown and Compagny, 1944


Extrait de Guillaume Piketty, « Economie morale de la reconnaissance. L’Ordre de la Libération au péril de la sortie de Seconde guerre mondiale », Histoire@Politique. Politique, culture, société, N°3, novembre-décembre 2007