La chronologie de la Résistance

Légende :

Une fiche de la chronologie de la Résistance, initiée par le Comité d'Histoire de la Seconde Guerre mondiale, et réalisée par Mme Regnard, correspondante départementale du Comité - Mme Regnard a travaillé pendant une dizaine d'années à la réalisation de la chronologie de la Résistance dans le département de l'Yonne. Dépouillant des dizaines de cartons d'archives, elle remplissait des fiches normalisées qui étaient ensuite renvoyées au Comité, relues par Henri Michel, et ensuite indexées à une chronologie globale de la Résistance en France, après qu'il eut parfois demandé des précisions complémentaires

Genre : Image

Type : Notes manuscrites

Source : © Archives départementales de l'Yonne - 33 J 10 Droits réservés

Détails techniques :

Photographie numérique en couleur (2016). Voir aussi l'album photo lié.

Date document : 1966-1975

Lieu : France - Bourgogne - Franche-Comté (Bourgogne) - Yonne

Ajouter au bloc-notes

Analyse média

La correspondante du CH2GM participe pour le département de l'Yonne à la grande entreprise de recherche collective lancée par le Comité. Elle doit remplir une fiche par "événement". L’ampleur et la complexité de la tâche étaient telles que le Comité a ressenti la nécessité d’unifier les procédures de mise en forme des données collectées dans les départements.

Une fiche standard a été élaborée afin que les fichiers départementaux puissent un jour se rassembler dans un fichier national. Les fiches sont de trois couleurs : une pour les faits de guerre, une pour l’administration allemande ou française, une troisième pour les actes de résistance, pour lesquels les rapports de gendarmerie fournissaient à eux seuls un gisement énorme mais devaient être complétés par de multiples autres sources.

Les fiches sont normalisées : la partie supérieure mentionne en haut à gauche, la date, le plus précisément possible (ici non seulement le jour, mais aussi l'heure).
En lettre majuscule est ensuite mentionné le thème : ici, Sabotage (avec la précision du type de sabotage), mais il y a d'autres thèmes, tous définis à Paris par le Comité : Répression (avec la précision "exécution"), Opération aérienne, Organisation, etc. (voir l'album photo lié)

En haut à gauche, le nom du département est toujours mentionné (car l'objectif final est d'avoir un fichier national qui les rassemble tous). L'événement est résumé avec clarté et précision dans la partie centrale de la fiche, avec toujours le lieu mentionné en premier : ici, il s'agit de faits de répression des Feldgendarmes à Avallon.

La colonne de gauche mentionne toutes les références qui ont permis de connaître l'événement, en commençant par les archives (ici des rapports de police et de gendarmerie), mais aussi les journaux clandestins ou non, ou toute autre source. Si nécessaire, le contenu se poursuit au verso.

La fiche est ensuite envoyée au Comité, lue par Henri Michel, qui souvent la renvoie avec des commentaires : demande de précision, ou parfois motivation du refus d'intégrer la fiche dans la chronologie nationale. Mme Regnard a terminé le travail et rédigé des milliers de fiches. De plus en plus nombreuses, évidemment, en se rapprochant de la Libération. Des centaines de fiches concernent le printemps et l'été 1944, avec la multiplication des sabotages et de la guérilla. Ce travail, sans doute assez fastidieux et nécessairement rigoureux, lui a pris une dizaine d'années et remplit trois cartons conservés aux Archives départementales de l'Yonne.


Auteur : Joël Drogland

Sources :

Archives départementales de l'Yonne, 33 J 10 à 33 J 12.

Contexte historique

Dans l'Yonne comme partout ailleurs, l'histoire de la Seconde Guerre mondiale a d'abord été celle de la Résistance, et elle a d'abord été faite par les résistants eux-mêmes. Dès la fin de la guerre ont été mises en place des institutions nationales destinées à constituer des archives, à recueillir les témoignages des acteurs, pour « saisir les événements avant qu’ils ne soient entrés dans l’histoire » d’une part, pour commencer un travail d’histoire, d’autre part. Il s’agit de la Commission d’histoire sur l’Occupation et la Libération de la France (CHOLF), à vocation documentaire, créée dès le 20 octobre 1944, et du Comité d’histoire de la guerre, fondé le 6 juin 1945. La CHOLF est dirigée par Edouard Perroy, résistant, historien spécialiste du Moyen-Âge ; le Comité est constitué d’historiens connus, comme Lucien Febvre et Pierre Renouvin ; le secrétaire général est Henri Michel, résistant et historien. Ces deux structures fusionnent en 1951 pour former le Comité d’histoire de la Deuxième Guerre mondiale, où Henri Michel joue un rôle essentiel. Il est décidé qu’il y aura un correspondant dans chaque département. La préoccupation principale était de recueillir le maximum de documents, d’archives, de témoignages, avec le sentiment de l’urgence : les souvenirs sont encore « frais ».

Dans l’Yonne, le premier correspondant de la CHOLF puis du Comité d'histoire de la Seconde Guerre mondiale a été le résistant Pierre Vauthier. Il est resté en fonction jusqu'en 1956, puis René Regnard, militant socialiste dans les années 1930, résistant membre du Front national et du Bureau des opérations aériennes (BOA), déporté, vice-président de l’ADIF, lui a succédé. Il participe à l’enquête sur la déportation. À sa mort en 1966, c'est son épouse qui devient correspondante, ainsi que Claude Hohl, directeur des archives départementales. Ils réalisent la carte de « la Souffrance », puis M. Hohl travaille à l'enquête sur l'épuration, tandis que Mme Regnard entreprend la chronologie de la Résistance.

De jeunes universitaires entrent dans la commission d’histoire de la Résistance du CH2GM : François Bédarida en 1963 (il est alors maître-assistant à la Sorbonne) puis, en 1966, Dominique Veillon qui entreprend une thèse de 3e cycle sur le mouvement Franc-Tireur.

Huit commissions fonctionnent au sein du Comité : sur le système concentrationnaire, sur la captivité de guerre (Fernand Braudel, Jean-Marie d’Hoop), sur la Résistance (Daniel Mayer), sur l’histoire militaire (Pierre Renouvin), sur l’histoire économique et sociale (Jean Fourastié, Jean Bouvier, Robert Franck), sur la collaboration (René Rémond), sur l’empire colonial (Charles-Louis Ageron), sur les groupements religieux (Jean-Marie Mayeur) : les plus grands historiens participent au travaux de recherche du Comité.

Les correspondants travaillent au plan départemental à plusieurs enquêtes nationales. Ils disposent d’une autorisation spéciale d’accès aux archives, qui sont alors interdites à la consultation et, de ce point de vue, leurs travaux sont souvent porteurs d’une approche novatrice, mais ils ne sont pas publiables ; « Vous avez travaillé dans l’interdit », dira Henri Michel dans son discours d’adieu aux 156 correspondants, le 28 novembre 1980.
Ils sont réunis à Paris, au siège du Comité, plusieurs fois par an pour des réunions de travail au cours desquelles les échanges sont intenses. Un bulletin d’information publie divers petits articles et fait part de l’avancée des travaux et des problèmes rencontrés. Henri Michel suit personnellement et de très près le travail de chacun. Ainsi sont réalisés une carte de la Souffrance départementale (exécutions, fusillades, déportations), une carte de la Résistance (parachutages, sabotages, maquis, etc.), une enquête sur les partis politiques de la collaboration, une autre sur l’épuration judiciaire et extra judiciaire.

La chronologie de la Résistance est sans doute le projet le plus ambitieux. Il s’agissait pour les correspondants départementaux d’établir autant de fiches qu’ils relevaient d’actes de résistance dans les archives qu’ils dépouillaient. « Il n’est pas question encore d’écrire l’histoire locale de la Résistance, mais d’établir des faits », précise Henri Michel en 1961, dans le cadre de travaux « confidentiels », ne divulguant pas les « documents utilisés », un travail d’équipe, un travail indépendant : « Le Comité ne reçoit ni directives, ni interdictions ».
La question qui allait se poser était celle de la définition des faits et des actes de résistance, et par là même, celle de la définition de la Résistance. Sur ce plan la réflexion n’était pas encore menée. Il en résulta que ce travail sans fin et sans véritable cadre théorique prit une ampleur démesurée. En vingt ans d’un travail de bénédictin, 150 0000 fiches furent rédigées et rassemblées. Quand le CH2GM disparut en 1980, l’enquête n’était pas terminée et on tablait sur 200 000 fiches à la fin de l’opération. Jamais les fiches ne seront exploitées scientifiquement au plan national ou même régional. Cependant, ce travail a été beaucoup utilisé par les chercheurs, étudiants en maîtrise, thésards, historiens locaux.
Dans l'Yonne, l'énorme travail de Mme Regnard a été l'une des bases sur lesquelles se sont appuyés les historiens de l'ARORY. Elle a permis de dresser des statistiques précises et de dégager des tendances qui ont orienté les recherches.


Auteur : Joël Drogland

Sources :

Laurent Douzou, La Résistance française : une histoire périlleuse. Essai d’historiographie, Paris, éditions du Seuil, 2005.

Jean-Marie Guillon, « La Résistance, cinquante ans et 2000 titres après », in Jean-Marie Guillon et Pierre Laborie (dir.), Mémoire et Histoire : La Résistance, actes du colloque de Toulouse, Toulouse, éditions Privat, 1995.

Faire l'histoire de la Résistance, sous la direction de Laurent Douzou, Presses Universitaires de Rennes, 2010.