Le Comité local de Libération de Pertuis s'érige en tribunal du peuple, novembre 1944

Légende :

Article de presse intitulé « Le Comité local de Libération de Pertuis s'érigeant en tribunal du peuple avait prononcé cinq condamnations à mort », paru dans Le Provençal du 28 novembre 1944

Genre : Image

Type : Article de presse

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Détails techniques :

Document imprimé sur papier journal.

Date document : 28 novembre 1944

Lieu : France - Provence-Alpes-Côte-d'Azur - Vaucluse - Pertuis

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Analyse média

La presse régionale suit au jour le jour les événements qui se déroulent à Pertuis après l'explosion du château de La Simone, le 26 novembre 1944, avec des approximations sur le déroulement des événements, le nombre des personnes arrêtées ou les interventions des personnalités. Ces variations qui marquent les articles du Provençal, de La Marseillaise et de La France de Marseille et du Sud-Est [voir l'album] reflètent la très forte tension qui règne à Pertuis et les enjeux politiques qui sont sous-jacents.

Le titre en gras et en gros caractères annonce la condamnation à mort de cinq personnes par le Comité local de Libération (CLL) siégeant au nom du peuple. Le sous-titre suggère que ce tribunal populaire ne respectait pas tout à fait les normes juridiques puisqu'il précise : « Les condamnés ont été transférés en Avignon, où ils seront jugés selon la légalité républicaine ».

Le deuxième sous-titre, sous une apparence anodine, est susceptible de susciter des polémiques : l'enquête a pour but de déterminer les circonstances dans lesquelles une trentaine de jeunes FFI ont été tués. Or la presse, Le Provençal compris, avait, dès l'annonce du drame, imputé l'explosion à « la cinquième colonne ». La thèse de l'attentat ne faisait aucun doute pour les résistants et une grande partie de la population de la région. Laisser supposer qu'il pouvait s'agir d'un accident - comme le développe le troisième paragraphe de l'article - peut profondément choquer.

Le corps de l'article est consacré à expliquer comment le CLL s'est érigé en tribunal populaire en commettant une erreur chronologique : l'explosion de La Simone s'est produite le samedi matin, le CLL ne s'est pas érigé en tribunal populaire dans la nuit du vendredi à samedi, mais dans la nuit du samedi au dimanche.

Le Provençal attribue à « la population de Pertuis » l'arrestation de 37 personnes (en réalité les chiffres varient) considérées comme des collaborateurs notoires. On se trouve donc en présence d'une épuration extrajudiciaire puisque les arrestations ne sont pas effectuées par des personnels de police ou de gendarmerie. L'intervention du préfet du Vaucluse, M. Charvet, semble décisive pour éviter que toutes les personnes arrêtées ne soient condamnées à mort. Cinq condamnations sont finalement prononcées et doivent être exécutées le lendemain. L'article montre combien les autorités régionales s'affairent pour éviter des exécutions sommaires et rétablir un minimum de légalité républicaine. Leurs interventions se déroulent dans un grand climat d'hostilité. Paulin Biage, directeur du cabinet de Raymond Aubrac, Commissaire régional de la République retenu à Paris, et le général Chaldebec de Lavalade, commandant de la XVe région militaire, en plaidant pour le respect du droit, ont un faible impact sur la foule massée devant la mairie, devenue à la fois tribunal et prison. Le dernier orateur, Jean Cristofol, président du Comité régional de Libération, arrive à persuader les manifestants d'accepter un sursis de 24 heures. Le Provençal, lié au Parti socialiste, ne tient pas à mettre exagérément en valeur Jean Cristofol, responsable régional du Parti communiste, il associe donc Paulin Biage au succès de Jean Cristofol : « Les avis de MM. Biage et Cristofol prévalurent et la foule accorda le sursis ».


Sylvie Orsoni

Contexte historique

La réaction du CLL et de la population de Pertuis traduit le désenchantement qui s'est installé dans l'opinion à propos de l'épuration. Les cours de justice spéciales mises en place dès septembre à Marseille, Aix, Arles, Avignon ont déjà déçu une grande partie de la population et suscité la méfiance des organisations de résistance. Elles ont eu beau prononcer des condamnations à mort, elles sont accusées tout à la fois de laxisme, de lenteur et d'incohérence dans leurs verdicts. Or, une série d'attentats non élucidés se produit dans la région. Le 27 novembre, des inconnus tirent sur l'adjoint au maire et le commandant de la commission militaire du Front national d'Arles. Des actes similaires se produisent à Berre-L'étang. Le camp FFI de Mérindol est attaqué le lendemain de l'explosion de La Simone et un jeune FFI est tué. La population est persuadée que les collaborateurs relèvent la tête et que « les maquis blancs » coordonnent une vaste offensive contre les personnalités de la Résistance et les FFI, alors que la guerre se poursuit. L'explosion de La Simone parce qu'elle frappe des jeunes gens issus de toute la région décidés à s'engager dans l'armée pour terminer la libération de leur pays et vaincre définitivement l'ennemi émeut profondément les populations. La presse en présentant dès ces premiers articles l'explosion de La Simone comme un attentat de miliciens ou de la cinquième colonne ancre la population de Pertuis dans l'idée qu'il est légitime de se faire justice sans passer par les institutions judiciaires.

En revanche, les autorités régionales que ce soit le commissariat de la République représenté ici par Paulin Biage en l'absence de Raymond Aubrac, commissaire régional de la République appelé à Paris pour une réunion, le préfet du Vaucluse, ou encore la hiérarchie militaire tiennent à ce que l'autorité de l'État soit préservée et interviennent pour éviter des exécutions sommaires. Jean Cristofol, député communiste avant-guerre et président du Comité régional de Libération, arrive à contenir la colère de la foule en taxant de provocateurs ceux qui réclament une exécution immédiate des condamnés. Les organes de presse présentent des versions différentes des solutions proposées par Jean Cristofol. Pour La Marseillaise, Jean Cristofol promet que la cour de justice se transportera d'Avignon à Pertuis pour avaliser les condamnations. Pour Le Provençal et La France, ce sont les condamnés à mort qui seront transférés à Avignon pour « permettre à la cour de statuer légalement », ce qui laisse planer le doute sur le verdict final. La crise se dénoue le lendemain selon des modalités encore différentes.

L'affaire de Pertuis témoigne de la distance qui s'est établie entre les autorités représentant l'État et la population. Les responsables des partis politiques et les autorités régionales doivent à la fois tenir compte de la volonté populaire prête à des exécutions sommaires et de la nécessité de maintenir un État de droit Les quotidiens régionaux rendent compte des événements en fonction de leur sensibilité politique, mais en s'efforçant de ne pas s'aliéner l'opinion publique.


Auteur : Sylvie Orsoni

Sources :

Michèle Bitton, « Pertuis, 25 novembre 1944. L'explosion du château de La Simone »,Mémoire et Histoire, novembre 2011.

Robert Mencherini, La Libération et les années tricolores (1944-1947). Midi Rouge, ombres et lumières, tome 4, Paris, Syllepse, 2014.