Eugène Chavant

Légende :

Chef civil du Vercors.

Genre : Image

Type : Photo

Producteur : Inconnu

Source : © Musée de l'Ordre de la Libération Droits réservés

Détails techniques :

Photographie argentique noir et blanc.

Date document : Sans date

Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Drôme

Ajouter au bloc-notes

Analyse média

Portrait de Eugène Chavant :

Originaire d'une famille modeste, Eugène Chavant fréquente l'école communale, qu'il complète par les cours par correspondance de l'École du génie civil, alors qu'il est déjà entré comme ouvrier aux usines métallurgiques Neyret-Beylier. Mobilisé en 1914 au 11ème Dragons, puis au 20ème bataillon de Chasseurs à pied, il termine la guerre comme sous-officier, décoré de la médaille militaire, de la croix de guerre avec quatre citations. Cette expérience combattante devait le marquer profondément : en 1967 encore, il déclarait à Paul Dreyfus que "toute la Résistance, ça ne vaut pas huit jours de Verdun".

Après la guerre, agent de maîtrise, il épouse en 1920 Lucile Blanc, qui lui donne un fils en 1921, et adhère au parti socialiste SFIO. Élu en 1929 conseiller municipal de Saint-Martin-d'Hères sur la liste socialiste conduite par Auguste Beau, il est réélu en 1935 et devient premier adjoint du maire Alexis Jourdan. Après la démission de ce dernier le 26 février 1938, il est élu maire de la commune le 20 mars. Il quitte alors l'usine et devient propriétaire d'un café à l'Ile-Verte, à Grenoble.
Révoqué de ses fonctions par Vichy en février 1941, il participe dès l'automne au noyau socialiste regroupé autour de Léon Martin, ancien maire de Grenoble, avec Aimé Pupin, Paul Deshières, Eugène Ferrafiat. Le petit groupe, visité en août 1941 par l'ancien député du Nord Raymond Gernez, prend en charge la diffusion du Populaire clandestin, et s'affilie au printemps 1942 au mouvement Franc-Tireur. Il est à l'initiative de l'établissement, sur le massif du Vercors, de camps de réfractaires au STO à l'hiver 1942-1943. Quand ce noyau se connecte, au printemps 1943, avec l'équipe de l'architecte Pierre Dalloz, Eugène Chavant ne participe pas au premier "comité de combat" du Vercors. Après son démantèlement et la création, fin juin, d'un nouveau comité, il y participe aux côtés de l'écrivain Jean Prévost et d'Eugène Samuel, et de deux militaires, les capitaines Le Ray et Costa de Beauregard.
C'est seulement en septembre que Chavant devient le "chef civil" du maquis et s'établit définitivement sur le massif. Son itinéraire se confond désormais, jusqu'en juillet 1944, avec celui du maquis du Vercors. Eugène Chavant se rend à Alger fin mai 1944 pour obtenir l'assurance que le projet "Montagnards" est toujours en vigueur. Convaincu par les promesses qui lui sont faites, il revient le 7 juin au matin dans le Vercors et joue un rôle majeur dans la décision de mobiliser le maquis et de verrouiller les voies d'accès. L'investissement du Vercors par les troupes allemandes et l'amertume de ne pas avoir reçu l'aide promise à Alger expliquent les termes de son fameux télégramme envoyé dans la nuit du 20 au 21 juillet : "Si aucune aide, population et nous jugerons Alger des criminels et des lâches. je répète : criminels et lâches".

À la Libération, Eugène Chavant, membre du CDL de l'Isère, d'abord nommé maire de Saint-Martin-d'Hères le 14 septembre 1944, est réélu lors du scrutin des 29 avril et 6 mai 1945, à la tête d'une liste unitaire incluant militants socialistes, communistes, Front national et CGT. Il se présente lui-même comme résistant, sans étiquette, s'étant mis provisoirement, selon ses dires, en congé de la SFIO pour se consacrer au CDL et à l'association des Pionniers du Vercors. Il démissionne cependant le 4 juillet 1945 de ses fonctions de maire, invoquant sa santé précaire et ses occupations personnelles, laissant la municipalité au communiste Fernand Texier.
Cette décision ne marque pas, en tout cas, la fin de sa carrière politique, puisqu'il se présente au scrutin constituant du 21 octobre 1945, en troisième position, sur la liste du "Bloc des républicains et des socialistes résistants de la Renaissance française", conduite par Yves Farge, contre la liste socialiste officielle conduite par Lucien Hussel et Alix Berthet. Dans ses déclarations publiques, il dit s'être ainsi engagé "parce que l'unité ne s‘est pas réalisée" et pour défendre le bilan de la Résistance contre les "planqués" de Londres et d'Alger. Les faibles résultats de cette liste, vivement condamnée par la SFIO, qu'elle prive sans doute d'un siège, amènent son retrait de la politique active et l'éloignement de son ancien parti.

Eugène Chavant se consacre désormais entièrement à l'Amicale des pionniers du Vercors (devenue Association nationale des pionniers et combattants volontaires du Vercors), créée le 4 novembre 1944 à Pont-en-Royans, qu'il préside jusqu'à sa mort. Sous son impulsion, elle joue un rôle majeur dans la construction d'une mémoire nationale du maquis du Vercors, "Bir-Hakeim de la Résistance en métropole", selon sa propre formule, gérant aussi les deux nécropoles dites "nationales" de Saint-Nizier et Vassieux-en-Vercors, en fait propriété de l'association. Eugène Chavant, liquidateur des attestations de l'activité résistante de la partie iséroise du Vercors, occupe aussi une place décisive au sein de la commission départementale d'attribution des cartes de CVR, où il fait prévaloir, en référence à la Grande Guerre, sa définition du résistant comme "combattant au feu", qui valorise l'action armée au détriment des autres formes d'activité résistante.

À sa mort, il est inhumé dans la nécropole de Saint-Nizier. Eugène Chavant était compagnon de la Libération (décret du 20 novembre 1944) et commandeur de la Légion d'honneur. Un espace public du centre de Grenoble, où est érigé un monument en son honneur, porte son nom.


Auteurs : Gilles Vergnon

Contexte historique

L'histoire du Vercors résistant se décompose en trois phases :

Le premier Vercors (1942-1943) voit la greffe du projet géostratégique de Pierre Dalloz sur un semis de camps de réfractaires créé en dehors de lui. À Grenoble, un noyau de militants socialistes, réuni depuis l'automne 1940, cours Berriat, dans la pharmacie du docteur Léon Martin, ancien député-maire de la ville, est activé en août 1941 par la visite de Raymond Gernez, ex-député du Nord pour diffuser Le Populaire, organe socialiste clandestin. Ce groupe contacte, au printemps 1942, d'autres noyaux socialisants, spécialement à Villard-de-Lans (le médecin d'origine roumaine Eugène Samuel, l'hôtelier Théo Racouchot, le directeur de banque Edouard Masson, les frères Huillier, etc.) et dans le Royans (l'instituteur révoqué Benjamin Malossane à Saint-Jean-en-Royans, Jean et Louis Ferroul à Saint-Nazaire-en-Royans, Louis Brun à Pont-en-Royans). Ce tissu militant, dans lequel le cafetier grenoblois Aimé Pupin joue les premiers rôles, progressivement affilié au mouvement Franc-Tireur, est à l'origine du camp d'Ambel (C1 en janvier 1943), puis d'autres camps de réfractaires au STO : C2 à Carette, C3 à Autrans, C4 à Cornouze, C6 au col de La Chau.

En parallèle, Pierre Dalloz, architecte installé aux Côtes-de-Sassenage, écrit en décembre 1942 une « Note sur les possibilités militaires du Vercors ». Cette première version, modeste, distingue un « programme d'action immédiate » et un « programme d'action ultérieure » subordonné à l'acceptation du premier et à un futur débarquement allié en Provence. Cette note, transmise fin janvier 1943, par l'intermédiaire Yves Farge à Jean Moulin qui donne son accord, devient le « projet Montagnards » après la rencontre, le 10 février 1943, entre Dalloz, Farge et le général Delestraint, chef de l'AS, qui l'emmène à Londres. Accepté par la France libre, bien financé, ce projet, qui donne une dimension stratégique à des camps isolés en montagne, permet la fusion des deux équipes début mars et la création d'un premier "comité de combat" (Dalloz, Farge, Rémi Bayle de Jessé, les militaires Marcel Pourchier et Alain le Ray). Celui-ci est vite démantelé par les arrestations de la police italienne (Léon Martin, le 24 avril, Aimé Pupin le 27 mai). Pierre Dalloz gagne Paris, puis Alger en novembre, où il rédige une nouvelle note, plus ambitieuse que la précédente. Mais les arrestations en juin de Delestraint et de Jean Moulin cassent cependant le fil entre un projet que les acteurs locaux continuent ou croient continuer d'appliquer, et la hiérarchie de la France libre.

Le second Vercors (1943-juin1944) voit l'institutionnalisation et la militarisation des camps. Un second comité de combat, animé par le capitaine Alain Le Ray (« Rouvier ») chef militaire et Eugène Chavant (« Clément ») chef civil, avec Jean Prévost (« Goderville »), Eugène Samuel (« Jacques ») et Roland Costa de Beauregard (« Durieu »), travaille à transformer les réfractaires en combattants, créer des compagnies civiles de réserve, mobiliser à leurs côtés des segments d'institutions (Églises, gendarmerie, municipalités) encadrant une population qui s'accommode progressivement au maquis. De janvier à juin 1944, le nouveau chef militaire, Narcisse Geyer (« Thivollet ») poursuit cette ligne, malgré des frictions croissantes avec les responsables civils et des habitants découvrant, après les incursions allemandes (22 janvier aux Barraques et 18 mars 1944 à Saint-Julien) et de la Milice à Vassieux en avril 1944, la réalité de la guerre.

Le troisième Vercors (9 juin-21 juillet 1944), le plus connu, transforme la zone en petite République. Le Vercors est mobilisé dans la nuit du 8 au 9 juin, et ses accès routiers bouclés par décision de Marcel Descour (« Bayard »), chef d'état-major régional, qui l'impose à François Huet (« Hervieux »), nouveau chef militaire nommé fin mai. Cette décision controversée a deux origines : le message de Jacques Soustelle ramené d'Alger par Chavant le 6 juin, qui l'assure de la pérennité du « projet Montagnards », et, surtout, une dynamique spontanée de montée au maquis, imprévue dans son ampleur, amenant les effectifs à plus de 4 000 volontaires. Venant surtout de Grenoble et Romans-sur-Isère, ces nouveaux maquisards cumulent enthousiasme et manque d'expérience militaire. L'euphorie, l'assurance d'une aide alliée et d'un débarquement imminent en Provence amènent, dès avant la « restauration » officielle de la République le 3 juillet, à l'institution d'un embryon de contre-État (journal Vercors libre, administration, censure, tribunal et même un camp pour prisonniers allemands et suspects), alors que Huet reconstitue officiellement des régiments réguliers (chasseurs alpins et cuirassiers). La Wehrmacht lance, après une première attaque manquée à Saint-Nizier (Isère), les 13-15 juin, une offensive générale le 21 juillet (opération Bettina) incluant un débarquement aéroporté sur Vassieux, qui en font l'opération la plus importante menée contre la Résistance en Europe occidentale. Celle-ci, marquée par de nombreuses atrocités (Vassieux, La Chapelle, grotte de la Luire) disloque en trois jours le maquis. Dans la nuit du 21 juillet, Chavant envoie son fameux télégramme, affirmant que les services de Londres et Alger « n'ont rien compris à la situation... et sont considérés comme des criminels et des lâches », base de polémiques futures sur la « trahison » du Vercors. En fait, celui-ci est doublement victime (au-delà de l'égarement du projet initial, des promesses inconsidérées et des rivalités entre services) du caractère secondaire qu'occupe à la fois la Résistance dans les plans alliés et le Vercors chez les stratèges de la France libre, et d'une mobilisation prématurée par rapport au débarquement en Provence, encouragée par l'euphorie de juin 1944. Le bilan est lourd : 456 tués (326 Résistants et 130 civils) dans les communes du massif. Les survivants participent à la libération de Romans, Grenoble et Lyon.


Auteurs : Gilles Vergnon, Alain Coustaury
Sources : Gilles Vergnon, Le Vercors. Histoire et mémoire d’un maquis, éditions de l’Atelier, 2002. Dvd-rom La Résistance dans la Drôme et le Vercors, éditions AERI-AERD, 2007.