Des témoins accablent Charles Palmiéri, La Marseillaise, 22 mai 1946

Légende :

Article intitulé "Des témoins accablent le traître responsable de la déportation et de la mort de nombreux israélites", paru en première page de La Marseillaise, journal du Front national de Libération, édition du 22 mai 1946

Genre : Image

Type : Article de presse

Source : © AD des B.-d.-R. PHI 419/3 Droits réservés

Détails techniques :

Document imprimé sur papier journal (voir aussi l'album photo lié).

Date document : 22 mai 1946

Lieu : France - Provence-Alpes-Côte-d'Azur - Bouches-du-Rhône - Marseille

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Analyse média

La Marseillaise accorde une place importante au procès de Charles Palmiéri et de ses complices, qui se déroule du 21 au 22 mai devant la section B de la cour de justice de Marseille : compte rendu en première page, titre en majuscules et en gras, photos illustrant les articles. Le public est informé des grandes lignes et de l'issue de la procédure engagée contre l’un des lieutenants de Simon Sabiani jusqu'à la conclusion finale lorsque La Marseillaise du 30 juin annonce que Charles Palmiéri a été fusillé la veille [voir le contexte historique].

Dans l'article du 22 mai, on peut suivre la seconde audience du procès. Le titre en gras met en valeur le rôle et le statut de Charles Palmiéri : responsable de la déportation et de la mort de nombreux juifs, en se faisant l'auxiliaire du projet nazi, il a trahi la France. La participation de Français à la déportation et à l'extermination des juifs de France est sans équivoque.

L'introduction juge déjà Charles Palmiéri : « Palmiéri, toujours souriant et cynique... C'est un être d'une insensibilité et d'une cruauté inouïe. Comment peut-il entendre évoquer, sans quitter son sourire narquois, tant de souffrances ?... ». Ce thème revient sans cesse sous la plume du journaliste chargé de suivre les débats, visiblement scandalisé par l'absence totale de remords de Charles Palmiéri. Les témoins à charge montrent comment Charles Palmiéri pourchassait les juifs dans toute la région Sud-Est, sans oublier de les dépouiller au passage. Le sous-titre du témoignage de Mlle Mosse met en valeur les conséquences des arrestations opérées par Palmiéri : « cinq victimes d'une même famille ».

Une place particulière est accordée au témoignage du secrétaire servant d'interprète à Charles Palmiéri, qui charge son chef et évalue à six cents le nombre de juifs arrêtés par Palmiéri (il est à noter que dans l'article de La Marseillaise du 29 juin 1946 qui annonce le verdict du deuxième procès Palmiéri, le nombre est ramené à deux cents [voir l’album photo lié]. Le lecteur peut donc prendre conscience de l'ampleur du crime commis par Charles Palmiéri et ses complices.

Sous le titre neutre de « L'audience de l'après-midi », le dernier paragraphe montre la complexité de l'action de Palmiéri. Pourchasseur impitoyable de juifs le matin, il apparaît comme ayant rendu des services à la Résistance l'après-midi [voir le contexte historique].

L'article conclut sur l'empathie du public avec les victimes et son rejet des bourreaux.


Sylvie Orsoni

Contexte historique

Charles Palmiéri (1911-1946) est membre du PPF depuis 1936 et proche de Simon Sabiani. Comme nombre de sabianistes, il mêle gangstérisme, ce qu'il appelle faire des « affaires », et politique. Lors de son interrogatoire par le juge d'instruction, le 10 mars 1945, il relate sans fausse pudeur sa carrière de trafiquant, ce qui lui vaut d'être arrêté par la police allemande et incarcéré à la prison Saint-Pierre en janvier 1943. À partir de cette date, il travaille pour les Allemands.

D'après ses déclarations, c'est le lieutenant Kompe, travaillant au 425 rue Paradis, qui organise le « bureau Merle », pseudo-officine commerciale installée au 8 rue Paradis et chargée, d'après Charles Palmiéri, qui adopte le pseudonyme de Merle », de collecter des renseignements. Ses activités sont bien plus vastes : il s'agit de rechercher les dépôts d'armes et de camions, les réfractaires au STO, les résistants, les soldats italiens restés en France après l'armistice de septembre 1943. À partir de mars 1944, le « bureau Merle » ajoute la traque des juifs. Le « bureau Merle » opère dans toute la région Sud-Est, d'Orange à Nice.

Palmiéri indique ses émoluments : 10 000 francs par mois, auxquels il ajoutait les salaires d'obligés à qui il avait fourni des certificats de travail de complaisance « afin qu'ils ne soient pas ennuyés dans la rue » ; « j'encaissais pour chacun la somme de cinq mille francs que je ne leur remettais pas. » Charles Palmiéri énumère au juge tous ses complices, dont son frère Alfred, ainsi que leur rôle. Les déclarations de Palmiéri se caractérisent par leur froideur et leur absence d'affect.

Il n'en va pas de même des témoignages. L'inhumanité des membres du « bureau Merle », leur âpreté au gain est signalé par de nombreux témoins, que ce soit lorsqu'ils arrêtent à Orange la famille Mossé [voir album témoignage de Raymond Mossé et Emile Pélissier] ou font une descente à Digne dans la maison de santé La Sympathie [voir album témoignages de Mlle Cuvier, Mlle Gide, Mme Lévy]. Palmiéri et ses complices rançonnaient, se faisaient remettre bijoux et valeurs, sans oublier de piller les appartements de leurs victimes.

Lorsque la Libération approche, Palmiéri, son frère et certains de leurs complices s'enfuient. Le 14 septembre 1944, la gendarmerie de Blois arrête quatre Français qui viennent d'être parachutés afin d'effectuer des sabotages. Parmi eux, Alfred, qui se suicide dès son arrivée à la gendarmerie, et Charles Palmiéri.

Palmiéri tente alors de commencer une nouvelle carrière au service du « Deuxième Bureau ». Le lieutenant Bernardet du service de sécurité militaire déclare : « Amené à notre service, Charles Palmiéri s'est mis à notre disposition et il était d'accord avec notre service pour effectuer une mission en Allemagne pour le compte du 2e Bureau français. Les autorités alliées n'ayant pas accepté le parachutage de Palmiéri en Allemagne, celui-ci fut mis à la disposition du Bureau de Sécurité du Territoire. » Il semble donc que les services de renseignements français étaient prêts à recycler Palmiéri. Devant le veto des Alliés, Palmiéri devenait sans valeur, d'autant qu'il avait dénoncé tous ses complices. Il est finalement déféré devant le juge d'instruction de Marseille. Lors de l'audience du 21 mai, il bénéficie du témoignage favorable d'Etienne Mercuri, secrétaire général pour la police de la région de Marseille et membre du réseau Ajax, réseau de résistance recrutant dans la police. Cela ne modifie pas l'opinion des jurés, qui condamnent Palmiéri à mort le 22 mai. Ce jugement est cassé par la cour d'appel d'Aix-en-Provence à la suite d'une étonnante erreur de procédure du président qui, alors que les jurés eurent délibéré, appelle à nouveau à la barre un des prévenus et son défenseur. À l'issue d'un second procès, Charles Palmiéri est condamné à mort le 28 juin 1946, malgré les efforts de son défenseur Me Chiappe, qui essaie de minorer ses crimes, comme le relate La Marseillaise du 29 juin : « Me Chiappe qui avait tenté d'expliquer que son client n'était pas un si grand criminel puisqu'il n'avait arrêté, somme toute, que des israélites étrangers. C'est évidemment un argument inattendu. » Charles Palmiéri est exécuté le lendemain à Malmousque.


Auteur : Sylvie Orsoni

Sources :

Archives départementales des Bouches-du-Rhône, 55 W 148, dossier d'instruction de Charles Palmiéri.

Robert Mencherini, Vichy en Provence. Midi Rouge, ombres et lumières, tome 2. Paris, Syllepse, 2009.

Robert Mencherini, Résistance et Occupation (1940-1944). Midi Rouge, ombres et lumières, tome 3. Paris, Syllepse, 2011. 

Robert Mencherini, La Libération et les années tricolores (1944-1947). Midi Rouge, ombres et lumières, tome 4. Paris, Syllepse, 2014.