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Première condamnation à mort d'une femme à Marseille, octobre 1944

Légende :

Article intitulé "paru en première et deuxième pages de Midi-Soir, supplément vespéral de La Marseillaise, édition du 2 octobre 1944

Genre : Image

Type : Article de presse

Source : © AD des B.-d.-R. PHI 413/1 Droits réservés

Détails techniques :

Document imprimé sur papier journal (recto-verso). Voir aussi l'album photo joint.

Date document : 2 octobre 1944

Lieu : France - Provence-Alpes-Côte-d'Azur - Bouches-du-Rhône - Marseille

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Analyse média

Midi-Soir, quotidien vespéral du Front national de Libération, peut rendre compte des audiences matinales de la Cour de justice. Le 2 octobre, paraît sous la rubrique « À la cour de justice » un article bref mais au titre accrocheur : « Pour la première fois, une femme est condamnée à mort ».

Plus que les actes eux-mêmes, c'est la singularité de la sentence que le journal met en valeur. Dans les trois paragraphes de la première page, l'article résume les faits reprochés aux deux accusées, Marie-Louise Fournier et Rose Scotto. Les deux jeunes femmes, non contentes d'ouvrir leur bar aux troupes d'occupation et de fraterniser ostensiblement avec elles, comme le révèlent les témoignages, ont dénoncé à la Gestapo le père de la plus jeune, qui critiquait leur conduite. L'article précise que l'on ne sait si M. Scotto, arrêté puis déporté, est toujours vivant. Rose Scotto est donc potentiellement parricide et son amie, complice. Elles sont poursuivies en vertu de l'ordonnance du 26 juin 1944 pour atteinte à la sûreté extérieure de l'État.

L'article stigmatise la conduite des deux jeunes femmes, mais établit une différence entre Rose Scotto, qualifiée « d'inconsciente, de déséquilibrée » et Marie-Louise Fournier, son « mauvais génie ». Le commissaire du gouvernement réclame la peine de mort pour les deux accusées. Les jurés tiennent compte de l'expertise mentale du médecin légiste, qui conclut à la responsabilité atténuée de Rose Scotto. Marie-Louise Fournier est condamnée à mort et Rose Scotto, à dix ans de travaux forcés. Le verdict est souligné par la typographie en lettres majuscules et en gras. 

La presse régionale a rendu compte sous des titres voisins de ce jugement [voir l’album photo lié et notamment Le Provençal, 2 octobre 1944].


Sylvie Orsoni

Contexte historique

La Cour de justice, chargée de juger les faits de collaboration, fonctionne à Marseille depuis le 11 septembre 1944 [voir la notice « Première condamnation à mort à la cour de justice de Marseille, septembre 1944 »]. Dans les premières semaines, les journaux rendent compte quotidiennement des grands et des petits procès. La presse issue de la Résistance ne manifeste aucune indulgence pour les accusés.

Les archives départementales des Bouches-du-Rhône conservent sous la cote 55 W 7 le dossier d'instruction qui précède le procès de Rose Scotto et Marie-Louise Fournier. Les témoignages sont tous à charge [voir l’album photo lié]. Les deux jeunes femmes scandalisaient par leur conduite. Elles manifestaient bruyamment leurs sentiments pro-allemands dans les transports en commun, dans leurs conversations. Rose Scotto et Marie-Louise Fournier affirmaient qu'elles dénonceraient des réfractaires si elles en connaissaient. Rose Scotto ne semble pas avoir fait mystère de son rôle dans l'arrestation de son père. Les témoins accusent les deux amies d'avoir pratiqué la collaboration horizontale et d'avoir attiré dans leur bar d'autres jeunes femmes. En même temps, tous les témoins affirment avoir toujours pris leurs distances avec ce lieu de débauche. Rose Scotto et Marie-Louise Fournier incarnent pour l'opinion l'indignité nationale, la trahison de la patrie et, pour Rose, la méconnaissance des obligations filiales élémentaires.

Le médecin chargé d'évaluer l'état mental de Rose Scotto estime que « lorsqu'elle est allée à la Gestapo et qu'elle a signé la plainte contre son père, elle n'était pas en état de démence dans le sens de l'article 64 du Code pénal, et par conséquent, elle doit rendre compte de son acte à la justice ». Il conclut cependant « au moment des faits qui lui sont reprochés, Rose Guérin, née Scotto, n'était que partiellement responsable au point de vue pénal ». Les jurés ne suivent donc pas la réquisition du commissaire du gouvernement et épargnent à Rose Scotto la peine capitale.

Marie-Louise Fournier ne bénéficie d'aucune circonstance atténuante, sa demande de grâce est rejetée par le préfet Veyren, mais son état de santé ne permet pas son exécution. La Marseillaise du jeudi 9 octobre annonce que Marie-Louise Fournier, qui devait être exécutée au Pharo le jour même, obtient un sursis en raison de sa grossesse [voir l’album photo lié]. L'article 27 du Code pénal prévoyait que les femmes enceintes condamnées à mort n'étaient exécutées qu'après l'accouchement. Le 12 octobre 1944, le médecin des prisons informe le préfet que Marie-Louise Fournier a fait une fausse couche et conclut son certificat médical de la façon suivante : « Il ne me semble pas que son état puisse permettre actuellement le transfert et la station debout que nécessite une exécution. » Le préfet reporte l'exécution de Marie-Louise Fournier à dix jours « après sa délivrance  ». On ne trouve pas trace dans la presse de son exécution. On peut penser que sa peine a été commuée en travaux forcés (la dernière femme condamnée aux travaux forcés pour faits de collaboration a été libérée en 1958).


AuteurSylvie Orsoni

Sources :

Archives départementales des Bouches-du-Rhône, 55 W 7.

Françoise Leclerc et Michèle Weindling, « La répression des femmes coupables d'avoir collaboré pendant l'Occupation », Clio, Femmes, Genre, Histoire, 1995 ; mis en ligne le 1er janvier 2005.

Robert Mencherini, La Libération et les années Tricolores (1944-1947). Midi rouge, ombres et lumières, tome 4. Paris, Syllepse, 2014.